• La conjugaison  des verbes aux temps composé est simple et facile. La conjugaison se fait avec les auxiliaires "être" et "avoir" et le participe passé des verbes. En effet il faut conjuguer ces auxiliaires au temps simples puis y ajouter le participe passé du verbe à conjuguer. Lorsqu'on donne un verbe tel que "manger" et on demande de le conjuguer au passé composé, on doit savoir auparavant que le type du verbe (transitif ou intransitif/ admettre un auxiliaire "avoir" ou "être"). On conjugue l'auxiliaire au présent de l'indicatif et on ajoute le participe du verbe manger. On aura donc ceci:

    présent de d'indicatif                                   participe passé

    j'ai                                                             mangé

    tu as                                                         mangé

    etc.

    Nous vous proposons la combinaison de la conjugaison des verbes aux temps composés

     

    passé composé (présent simple de l'indicatif + participe passé)

    plus-que-parfait (imparfait + participe passé)

    futur antérieur (futur simple de l'indicatif + participe passé)

    passé antérieur (passe simple + participe passé)

    subjonctif passé (subjonctif présent + participe passé)

    subjonctif plus-que-parfait (subjonctif imparfait + participe passé)

    conditionnel passé première forme (conditionnel présent + participe passé)

    conditionnel passé deuxième forme (subjonctif imparfait + participe passé)

    etc.

    En d'autres mots il faut connaitre la conjugaison des verbes "avoir" et " être" aux temps simples pour maîtriser la conjugaison des verbes aux temps composé.


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  • COMMENTAIRE COMPOSÉ

    Texte support

     

                                       RAMA KAM

                            (Chant pour une Nègresse)

     

                            Me plaît ton regard de fauve

                            Et ta bouche à la saveur de mangue

                                       Rama Kam

                            Ton corps est le piment noir

                            Qui fait chanter le désir

                                       Rama Kam

                            Quand tu passes la plus belle est jalouse

                            Du rythme chaleureux de ta hanche

                                       Rama Kam

                            Quand tu danses

                            Le tam-tam Rama Kam

                            Le tam-tam tendu comme un sexe de victoire

                            Halète sous les doigts bondissant du griot

                            Et quand tu aimes

                            Quand tu aimes Rama Kam

                            C’est la tornade qui tremble

                            Dans la chair de nuit d’éclairs

                            Et me laisse plein de souffle de toi

                            O Rama Kam !

                                       David Diop, Coups de pilon, Présence Afrique, 1956

     

    Libellé : Vous ferez de ce poème un commentaire composé où vous montrerez comment à travers la beauté de Rama Kam, le poète se trouve dans un état de hantise.

     

     

    Zone de Texte: Phrase amorce            Violence des mots, style tranchant, mouvements éclatants sont autant de « coups » qui doivent se répercuter dans la conscience du lecteur et le pousser à la révolte. Telle est la mission que David Diop s’est assignée avec son unique œuvre Coups de pilon.

    Zone de Texte: Présentation auteur et texte supportToutefois, il décide aussi de magnifier la beauté féminine en occurrence la femme africaine. Et « Rama Kam » est l’un des poèmes dans l’œuvre Coups de pilon où David Diop, poète sénégalais, chante vraiment la femme africaine dans la splendeur de sa beauté ensorcelante. D’ailleurs, c’est le texte support de notre travail.

    Zone de Texte: Annonce du planEn ce qui concerne donc notre travail, il s’agira de montrer l’effet que produit la beauté de Rama Kam sur le poète à tel point d’être hanté.

    Zone de Texte: Annonce du centre d’intérêt 1 et des thèmes directeurs(Saut de deux lignes)

                Le premier vers « Me plaît ton regard de fauve » laisse saisir la beauté de Rama Kam. Quelle beauté qui se lit à travers la beauté physique et naturelle de cette dernière.

    Zone de Texte: Thème directeur 1 du centre d’intérêt 1 et explicationParlant de la beauté physique, elle est mise en évidence à travers un emploi métaphorique corporel de Rama Kam. Le corps de cette dernière s’offre à l’appétence du poète et fait naître chez lui l’appétit du plaisir et du désir : « Qui fait chanter le désir » (v. 7). En effet, par une description statique, la beauté de Rama Kam est présentée par David Diop. C’est d’abord, le « regard de fauve » (v. 7) ; ensuite la « bouche à la saveur de mangue » (v. 2) ; puis le « corps […] le piment noir » (v. 4) et enfin le « rythme chaleureux de [la] hanche » (v. 8) de Rama Kam que le poète métaphorise pour montrer la fascination suscitée par cette beauté inouïe. Le poète est donc obnubilé, hypnotisé par Rama Kama, à tel point d’user d’un champ lexical corporel de la femme en question : « ton regard » (v. 1), « ta bouche » (v. 2), « ton corps » (v. 4) et « ta hanche » (v. 5). Par cet emploi lexical, le poète insinue que tout chez Rama Kam est synonyme de beauté, une beauté qui se saisit dans les moindres détails du corps et qui « fait chanter [donc] le désir » (v. 5) ; pour ainsi dire qui suscite le désir sexuel chez le poète car il a le sexe en érection : « Le tam-tam tendu comme un sexe de victoire » (v. 12). Cette comparaison montre que le poète veut bien faire l’amour avec Rama Kam à la simple admiration ou au simple regard, parce qu’elle est physiquement belle.

    Zone de Texte: Bilan partiel et transition annonçant le 2ème thème directeur.Zone de Texte: Thème directeur 1 du centre d’intérêt 1 et explicationAu-delà de cette beauté physique irrésistible au poète, il y a aussi la beauté naturelle de Rama Kam qui ne laisse pas ce dernier indifférent.

    Zone de Texte: Thème directeur 2 du centre d’intérêt 1 et explication

            La beauté naturelle de Rama Kam est mise en exergue dans ses mouvements. Le poète use donc de la description dynamique pour faire ressortir la beauté naturelle de Rama Kam. Cette beauté saisie dans l’action montre que Rama Kam est plus belle que la nature elle-même. En effet, l’emploi des verbes d’action tels que « passes » (v. 7), « danses » (v. 10) et du verbe de sentiment « aimes » (v. 14 et v. 15) montre que Rama Kam est en plein mouvement, en pleine action ; et son passage est donc synonyme de bouleversement, de renversement de l’ordre, de déchaînement des éléments de la nature à telle enseigne que « la plus belle est jalouse » ( v. 7) et que « la tornade […] tremble » ( v. 16). Ces emplois antithétiques suscitant un paradoxe révèlent que la beauté de Rama Kam est sans artifice, sans artéfact et sans maquillage. C’est une beauté cent pour cent naturelle, pour ainsi dire, qui dérange beaucoup les êtres humains et le cosmos. Rama Kam est sublime dans ses actions car tout se laisse apprécier et appréhender à travers ses faits et gestes qui se lisent. Cela se justifie par l’emploi de l’enjambement : 

                            Quand tu danses

                            Le tam-tam Rama Kam

                            Le tam-tam tendu comme un sexe de victoire

                            Halète sous les doigts bondissant du griot

                            Et quand tu aimes

                            Quand tu aimes Rama Kam

                            C’est la tornade qui tremble (v. 10 au v. 16)

    Dans cet extrait ci-dessus, nous voyons que la beauté de Rama Kam est étalée dans ses mouvements. Beauté saisie dans la danse ; beauté saisie dans la marche et dans ses sentiments ; beauté saisie aussi dans la couleur éclatante de la chair de Rama Kam : « Dans la chair de nuit d’éclairs » (v. 17).

    Zone de Texte: Bilan partiel et transition annonçant le 2ème centre d’intérêt.

La beauté de Rama Kam à la fois physique et naturelle ne laisse point indifférents le cosmos et les autres filles, en général et en particulier, le poète. Rama Kam est physiquement et naturellement belle à telle enseigne que cette beauté fascine David Diop et qu’elle soit pour lui une hantise.

    (Saut d’une ligne)

    Zone de Texte: Annonce du centre d’intérêt 2 et des thèmes directeurs

            Le poète est irrésistible à la beauté de Rama Kam. À la vue de cette dernière, il est comme possédé par une force invisible qui le met en transe et qui délie sa langue afin qu’il puisse par magie ou par envoûtement chanter la beauté fascinante de Rama Kam. C’est sorte de hantise se lit à travers la possession et l’obsession du poète par la beauté de Rama Kam.

    Zone de Texte: Thème directeur 1 du centre d’intérêt 2 et explication

Comme nous l’avons affirmé, le poète se trouve possédé par une force non plus invisible mais palpable. Cette force qui le possède est en fait la beauté de Rama Kam. Le moi du poète est tout entièrement rempli de Rama Kam. L’emploi du déictique de la première personne du singulier « Me » (v. 1 et v. 18) révèle que l’existence, la vie du poète dépend de Rama Kam. Son souffle vital est le souffle de Rama Kam : « Et me laisse plein de souffle de toi » (v. 18). Le poète fait sien du souffle de Rama Kam à telle enseigne que toute son existence découle d’elle. La possession du poète par Rama Kam est aussi mise en évidence par l’emploi de l’anastrophe ou de l’inversion : « Me plaît ton regard de fauve » (v. 1), « Et me laisse plein de souffle de toi » (v. 17). L’ordre inhabituel dans ces phrases prouve que la Beauté de Rama Kam est capable de déranger l’esprit vif et fin du poète, c’est-à-dire cet emploi met en évidence l’état anormal du poète. En effet, le poète dépossédé de ses facultés lucides oublie les règles de la construction syntaxique élémentaire de la phrase simple française. Cela est dû à l’emprise de Rama Kam sur le poète. Il n’est plus lui-même. Il est sous l’emprise de Rama Kam.

    Zone de Texte: Bilan partiel et transition annonçant le 2ème thème directeur.

Zone de Texte: Thème directeur 1 du centre d’intérêt 2 et explication

Loin de la possession, l’état d’âme du poète laisse insinuer qu’il est obsédé par la beauté de Rama Kam. Cette obsession n’est que de l’envoûtement. Le poète est donc envoûté par la beauté de Rama Kam.

    Zone de Texte: Thème directeur 2 du centre d’intérêt 2 et explication            L’obsession du poète s’appréhende par de nombreuses sonorités en « am » : Rama Kam, tam-tam ; en « » : saveur, passes, danses, sous, bondissant, laisse, souffle ; et en « an » : mangue, chanter, hanche, danses, bondissant. Ces nombreuses sonorités connotent sans doute d’une vie qui se déroule au rythme du tam-tam laissant donc dire que le poète est endiablé par le son du tam-tam battu « sous les doigts bondissant du griot » (v. 13) le mettant ainsi en état de transe. À vrai dire, c’est la beauté de Rama Kam qui lui procure la sensation d’être en transe et de donner vie à son poème. Et sous le charme de cette dernière il ne peut qu’exprimer ses sentiments et pousser un cri de satisfaction traduit par l’emploi de l’interjection et du point d’exclamation, et qui, de surcroît, est le seul point employé par David Diop : « O Rama Kam ! » (v. 19). Tout l’état de l’obsession est saisi dans cette expression exclamative à l’allure d’une apostrophe interpellant une divinité ou à l’allure d’un soupir amoureux. Cette obsession est aussi le fait de nombreuses répétitions qui laissent dire que Rama Kam s'impose à l'esprit du poète de façon répétée et incoercible. Elle tend donc à s’accaparer tout le champ de la conscience du poète. Et nous l’apercevons par la répétition excessive de Rama Kam (six fois répété) qui se constitue comme un refrain. À cela, il faut ajouter la répétition de la conjonction « quand » exprimant ainsi une relation temporelle et de simultanéité, pour dire que les effets produits par la beauté de Rama Kam sur le poète sont immédiats. Cela suppose aussi que le poète n’a aucun répit dans l’admiration de cette Nègresse. C’est donc de la pure obsession.

    Zone de Texte: Bilan partielIl harcèle donc cette femme sublime et belle, à tel point d’être à la fois possédé et obsédé par elle et de faire sien le souffle vital de Rama Kam.

    (Saut de deux lignes)

    Zone de Texte: Bilan général            Le poète ne peut rester indifférent face à la beauté physique et naturelle de Rama Kam. Il subit le charme de cette beauté à tel point d’être à la fois possédé et obsédé. Étant donc un chantre de la négritude, nous pouvons dire que David Diop s’assigne la mission de dire à l’humanité que les femmes africaines sont de belles femmes à couper le souffle.

    Zone de Texte: L’ouvertureÀ l’instar de David Diop, Léopold Sédar Senghor en a aussi magnifié la beauté de la femme africaine à travers son poème « Femme noire » dans son œuvre poétique chants d’ombre.

     

     

     

     

    Exemple de commentaire composé

    proposé par Adou BOUATENIN,

    Critique littéraire, poète-romancier

     


    39 commentaires
  • La Négritude dervainienne : l’écriture de négation de soi et l’écriture de l’autre.

     

    Adou BOUATENIN

    Maître ès Lettres Modernes

    Université Félix Houphouët Boigny

    Côte d’Ivoire

    diderplacidus@hotmail.fr 

     

     

     

    L’on n’a pas une idée claire sur Eugène Dervain, c’est-à-dire il semble méconnu par le grand public. Cet auteur ivoirien se considère comme un négritudien. Qu’en est-il de lui-même dans ses textes poétiques ? À la lumière de la psychocritique, nous allons essayer de montrer qu’en se reniant Dervain se bâtit une identité qui semble sa vraie identité car la couleur de sa peau est une couleur prêtée. Par la métaphore obsédante, l’image personnelle de Dervain qui se laisse saisir des réseaux associatifs est celle du poète souffrant d’être un métis. Comme « la psychocritique travaille sur le texte et sur les mots des textes » et se veut « d’abord une méthode de découverte », nous avons jugé fort utile qu’elle nous fournira quelques éléments de réponsespour expliquer pourquoi Dervainrenie sa première identité pour s’accaparer la seconde identité, et du coup pour dire son ivoirité.

     

    Mots clés : Eugène Émile Dervain, Psychocritique, Négritude, l’écriture de négation de soi, l’écriture de l’autre, mythe personnel, l’ivoirité

     

     

     

    Introduction

                Le concept de la Négritude est « un champ de possibilités interprétatives »[1], c’est-à-dire ce terme est ouvert à toutes sortes d’interprétations, et les encres des critiques ne cessent de couler. Pour cela, il est préférable de connaître la définition que lui accordent ses concepteurs, Césaire et Senghor[2].

    Césaire la définit ainsi :

     

          La Négritude est la simple connaissance du fait d’être noir et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture.

     

    Et Senghor l’explique en ces termes :

     

          La Négritude, c’est l’ensemble des valeurs culturelles du monde noir, telle qu’elles s’expriment dans la vie, les institutions et les œuvres des Noirs. Je dis que c’est là une réalité : un nœud de réalité.

     

    Sans se hasarder avec la définition de la Négritude, nous pouvons dire que c’est à partir de ces définitions susmentionnées que nous allons rechercher une définition dans les textes d’Eugène Dervain, une définition qui lui sied. D’abord, cherchons à connaître Eugène Émile Dervain.

                Eugène Dervain est de fonction juriste (avocat). Il est né le 4 février 1928 à Saint Esprit, un petit village du centre de la Martinique. Il épouse une ivoirienne, originaire de l’ouest de la Côte d’Ivoire, et opte la nationalité ivoirienne en 1967. Il décède en 2010[3]. Ancien élève d’Aimé Césaire, ayant côtoyé Léopold Sédar Senghor, il a été nourri à la culture de la tradition africaine, et alimenté aux sèves de la négritude. Le critique Cuche ne dira pas autre chose : « E. Dervain rejoint en cela la pure tradition africaine […], parti à la recherche de sa propre négritude, [il] s’est profondément enraciné dans le continent. »[4] Cet enracinement est dû à l’amour qu’il a pour le continent africain : « Tant pis s’il faut t’aimer silencieusement »[5]La Négritude de Dervain ou la Négritude dervainienne est un mélange de la négritude césairienne et la négritude senghorienne, voire un dépassement de ces deux négritudes. Refuser la « couleur indécise » de sa peau pour revêtir celle de l’autre en brandissant ses valeurs culturelles, c’est écrire sa négritude.

                Notre étude abordera un pan de cette négritude à travers le sujet La Négritude dervainienne : l’écriture de négation de soi et l’écriture de l’autre, à partir de « À ma tante qui découvris l’Afrique en 1965 » et « Duekoué ». Ces deux poèmes sont extraitsde Une vie lisse et cruelle.[6] Que devons-nous entendre de ce sujet ? Eugène Dervain est à la recherche d’une identité qu’il a enfin retrouvée dans l’autre  car son contact avec l’Afrique lui permit de comprendre que ce n’est pas seulement la couleur de la peau qui détermine l’identité mais aussi la manière d’être, de vivre, de se sentir comme l’autre, pour parler comme Paul Ricœur « être soi-même comme l’autre »[7]. La Négritude de Dervain, en refusant que « la race fait nation », montre que l’amour de la culture de l’autre en acceptant sa manière d’être fait l’identité.Sa poésie devient donc une quête identitairecar ses textes poétiques en témoignent. À travers l’écriture de négation de soi et l’écriture de l’autre, quelle personnalité Dervain se présente de lui-même ? Quelle sont les motivations qui l’ont amené à se renier ? Pourquoi se sente-t-il proche de l’autre à telle enseigne de prendre son identité ? À toutes ces préoccupations, il nous a paru utile de « procéder à la psychanalyse effective de l’auteur […] » afin de « montrer le mythe personnel émergent […] »[8] qui se dégage à partir de la superposition de ses textes poétiques. Le plan de notre réflexion est tout-à-faire dessiné par la formulation même du sujet : il s’agira pour nous de voir successivement l’écriture de négation de soi et l’écriture de l’autre. Cependant, il conviendrait de présenter brièvement la Négritude dervainienne.

     

    1-      La négritude de Dervain

                « Le mouvement de la Négritude est né ; peu importe l’origine et l’histoire du mot, l’essentiel est qu’il […] »[9] soit utilisé pour exprimer ou pour faire retentir la voix africaine endormie au plus profond de celui qui se veut africain que les africains pour ainsi dire. La lecture des poèmes de Dervain de Une vie lisse et cruelle montre que ce dernier se présente comme un apatride, celui qui n’a pas de patrie. Il quitte tôt « la CARAÏBE qui en silence prie »[10] avec sa tante pour l’Afrique. Il sait qu’il est un « étranger » et que l’Afrique est « une terre étrangère »[11] à lui : « je suis né loin d’elle » ou bien « personne n’a jamais dit que ce pays est nôtre »[12].  Cependant, avec le temps, il se rend compte qu’il n’est pas un « étranger » comme on veut le faire croire ; et qu’au fait, c’est « Le hasard des courants [qui] a dilué [sa] peau »[13]. Il accuse un certain « on » de l’avoir prêté « une couleur indécise »[14]. Malgré tous ces efforts ou toutes ses accusations, il n’a pas encore défini son identité. L’Afrique ne l’a pas encore accepté, et lui, il renonce déjà son identité de départ.

                L’image de l’apatride est très vite supplée par une autre image. En effet, en refusant sa race d’origine, sa culture d’origine, c’est-à-dire celle de la Caraïbe, Dervain « songe »[15]à épouser les cultures africaines en général et particulièrement la culture ivoirienne, car il s’est mis en tête que l’Afrique est sa patrie d’origine :

     

    Lorsqu’à tous les instants chaque jour il me faut

    Fouiller dans ma mémoire et rappeler aux autres

    […]

    De me dire, mon Afrique, que tu es ma patrie.[16] 

     

    Le poète dit être le possesseur de l’Afrique « mon Afrique » ; il s’octroie l’Afrique car l’Afrique est le continent, le pays de son père, si nous nous référons au sens étymologique du mot « patrie ». Il n’est donc pas étranger à l’Afrique : « Je ne suis pas étranger […] »[17] Il connaît l’Afrique car il est de l’Afrique, et l’Afrique est son continent. Et son pays est la Côte d’Ivoire : Grand-Bassam, Cocody, Anoumabo, Blokoss, ébriés, fanti, Bete, Guere, Niaboua, Senoufo, Duekoue… Ces éléments constituent le folklore culturel ivoirien.

                À vrai dire, la Négritude dervainienne peut se définir sous les traits d’un africanisme pur mêlé aux négritudes césarienne et senghorienne. Africanisme, parce qu’il épouse la culture africaine. Négritude, parce qu’il chante la culture africaine comme Senghor, et accuse la colonisation et la traite négrière de faire de lui un homme aliéné comme Césaire. Cette Négritude particulière de Dervain est servie à la sauce ivoirienne, c’est-à-dire influencée par la culture ivoirienne, faisant donc de cette négritude une négritude propre à la Côte d’Ivoire. Dervain chante son ivoirité[18]. Comme le dit Mamidou Dia, « Tout poème d’une certaine manière est une quête »[19], et de cette quête, Dervain rencontre l’autre dans lequel il se voit, se sent, il est.., et avec qui il partage les mêmes valeurs culturelles, humanistes. Cependant, cette Négritude est empreinte d’une négation de soi et d’une acceptation de l’autre (de la culture de l’autre). Pour mieux saisir cette Négritude, il serait préférable d’aborder ses textes pour mettre en évidence l’écriture de négation de soi et l’écriture de l’autre afin de dégager son mythe personnel.

     

    2-      L’écriture de négation de soi

                La négation de soi est une sorte de reniement de soi, de renoncement de ce qu’on est. C’est le fait de dire donc « je ne suis pas ce que je suis ». Mieux, c’est « une façon de concevoir le monde mais aussi de se concevoir soi-même.»[20] Une question alors se pose : comment Dervain conçoit-il le monde et lui-même ?

    La négation de soi chez Dervain est une sorte de refus de soi, de son être. En effet, Dervain méprise ce qu’il est. Il doute de son être, de la couleur de sa peau. Au fait, il a honte d’être métis. C’est ce qui ressort de la lecture de ses poèmes :

    Le hasard des courants a dilué ma peau (ADA, p.26)

    au bout desquels on m’a fait ce prêt d’une couleur indécise (DUE, p.32)

    Les deux vers ci-dessus mettent bien en évidence, lorsque nous les juxtaposons, une excuse pour justifier la couleur de sa peau. Il est conscient, pouvons-nous le dire, que la couleur de sa peau fait de lui un étranger or il sait aussi qu’il n’est pas un étranger : « Étranger qui n’est pas sur la terre étrangère » (ADA, p.26). Mieux, il refuse d’admettre qu’il est un étranger : « si je suis né loin d’elle cette terre m’est chère » (Idem). Cependant, il rejette cette évidence. Il refuse d’y croire : « je ne suis pas étranger à l’enivrement de ce matin » (DUE, p.32). Cette situation antithétique, ce revirement l’impose donc à adopter une écriture de négation de soi, d’où l’emploi des adverbes de négation : n’… jamais, n’…pas, ne … pas, etc.  Au-delà de ces adverbes, c’est une image d’apatride que Dervain se présente de lui-même. Au fait il existe une dualité conflictuelle avec son soi : « je suis étranger » ou « je ne suis pas étranger ». Alors pour éviter ce conflit, il supprime certaines émotions, pensées, comportements et vérités pour affirmer ce qu’il est au juste : « Nous sommes différents et cependant semblables » (ADA, p.26). À bien voir, chez Dervain, c’est la couleur de sa peau qui pose problème : « quand on vous persuade que la race fait la nation », (DUE, p.32). Nous comprenons dès lors que la négation chez Dervain n’est pas une négation absolue, où l’on exclure radicalement une donnée du réel, mais elle est partielle (par restriction), car l’on n’admet pas que ce qui est soit cela. Dervain nous fait savoir que ce qui devrait être n’est cela.

     

    Lorsqu’à tous les instants chaque jour il me faut

    Fouiller dans ma mémoire et rappeler aux autres (ADA, p.26)

    [que]

    Je ne suis pas étranger à l’enivrement de ce matin (DUE, p.32)

     

    Il y a un effort à faire pour s’affirmer, pour dire qu’il n’est pas étranger. Dervain nous montre que la négation de soi n’est pas un exercice facile à faire. Il ne suffit pas de dire « non » simplement mais de « fouiller dans [la] mémoire », d’interroger l’histoire pour montrer à tous ce qu’on est au juste :

     

    Les siècles ont passé sur mon esclavage

    Au bout desquels on m’a fait ce prêt d’une couleur indécise (DUE, p.32)

     

    Qui est au juste Eugène Dervain ? Il est un Africain. Car il a tant rêvé de l’être.

     

    J’avais rêvé de baigner mon rêve dans la plus pure perfection de

    ton corps AFRIQUE (DUE, p.32)

     

    Avec tant d’insistance, l’Afrique l’accepte comme l’un des leur : « De me dire, mon Afrique, que tu es ma patrie » (ADA, p.26).

    « L’effacement de soi apparaît comme un acte »[21], chez Dervain, un acte de s’ouvrir à l’autre, de s’identifier à/dans l’autre, carsouffrant d’être métis. Après avoir se nié, il prend l’identité de l’autre qui semble sa vraie identité ; d’où l’écriture de l’autre.

     

    3-      L’écriture de l’autre

                L’autre, c’est un moi qui n’est pas moi. Parler donc de l’écriture de l’autre, ce n’est pas de faire des commentaires sur les écrits d’une tierce personne autre que mes propres écrits. C’est donc la prise en compte de la présence de l’autre dans ses écrits qui a une influence sur l’écrivain. C’est aussi un échange que « je » établit avec un « je » différent de « je-moi ». Dans la littérature, la présence de l’autre est souvent désignée par l’altérité, qui est une reconnaissance de l’autre dans sa différence. L’autre, bien qu’il soit étrange à moi peut avoir des influences dans mon agir voire sur ma personnalité. C’est le cas chez Dervain. Pour construire sa personnalité, pour définir son identité, il a besoin de l’autre, car « il est évident que le rapport à autrui est crucial dans la construction de l’identité.»[22] En plus, « toute identité se construit en fonction de l’altérité ou des altérités, par rapport aux autres et sous le regard extérieur des autres.»[23] Or l’autre chez Dervain, c’est l’Afrique.

     

    J’avais rêvé de baigner mon rêve dans la plus pure perfection de

    ton corps AFRIQUE (DUE, p.32)

    De me dire, mon Afrique, que tu es ma patrie (ADA, p.26).

     

    Mais c’est surtout la Côte d’Ivoire : GRAND-BASSAM, COCODY, ANOUMABO, BLOKOSS, FANTI, BETE, GUERE, NIABOUA, SENOUFO, DUEKOUE. Des villes, des quartiers, des groupes ethniques propres à la Côte d’Ivoire. Il est lui-même dans la peau de l’autre, qui n’est qu’un Africain en général, et en particulier un ivoirien. Il est donc fier d’être Ivoirien ; mieux la relation entre la Côte d’Ivoire et lui est une relation d’amour : « Tant pis s’il faut t’aimer silencieusement » (ADA, p.27). À cela, il faut admettre qu’il entretient un rapport d’amour avec l’autre. C’est par amour de l’Afrique, de la Côte d’Ivoire qu’il opte l’identité de l’autre pour faire la sienne.

                Établissons le réseau associatif de cet amour dans À ma tante qui découvris l’Afrique en 1965 : « t’offrir que notre seul sourire », « ta douceur », « t’a tendu la main », « une beauté aussitôt saisie que possédée », « t’aimer silencieusement », « un rendez-vous »… À ce réseau, il faut superposer celui relevé de Duekoué : « la paix », « au tendre avenir », « terre amoureuse », « pure », « la plus pure perfection de ton corps », « aux tendres joues »…

    La superposition de ces deux réseaux associatifs donne comme métaphore obsédante la figure d’un amant désirant s’unir à l’autre pour former une seule chair, une seule âme, car ce que l’un possède est identique à ce que l’autre a

     

    Alors je reconnais le son de mon tambour

    Comme le son du tien (DUE, p.32)

     

    Dervain semble conscient, admettons-le, que « c’est dans la rencontre effective avec l’autre, dans la tentative d’entrer en interaction avec lui, que peut se révéler »[24] son identité vraie.    Son questionnement, ses doutes l’incitent donc à se concevoir par rapport à l’autre, à entrer en communication avec l’autre. Cependant, « pour qu’il y ait communication entre autre et moi, il doit y avoir quelque chose de commun qui garantisse cette communication[25] Et cette quelque chose de commun entre l’autre et Dervain est l’histoire, celle de la traite négrière (des siècles ont passé sur mon esclavage) et le son de son tambour (Alors je reconnais le son de mon tambour /Comme le son du tien). C’est donc cette quelque chose qui fait que l’autre et Dervain sont semblables mais différents ; « Nous sommes différents et cependant semblables » (ADA, p.26). Revenons sur la présence de l’autre dans l’écriture dervainienne. Cette présence est manifestée par l’emploi des pronoms, des adjectifs possessifs de la deuxième personne : t’, ton, ta, toi, te, tes, tu, tien… Cette présence est aussi signalée par l’emploi de nous incluant un je et autre. Sympathique complice ou irréversible ennemi, le je se construit alors dans le regard que l’autre pose sur lui. Par un saisissant effet de retournement, la rencontre avec l’autre entraîne donc un retour éclairé sur l’identité propre du je. Pour Dervain, l’autre est un complice avec qui il forme tout un ensemble brisant les théories qui stipulent que toute rencontre avec l’autre est une « rencontre heurtante »[26]. L’autre, complice, l’aide à une prise de conscience de soi, de ce qu’il est au juste. En effet, un conflit interne naît dans son for-intérieur mettant face-à-face Dervain souffrant d’être métis (Dervain refusant la couleur de sa peau/ Dervain apatride) d’une part et d’autre part, Dervain acceptant l’identité de l’autre ‘Dervain, l’Africain en générale et, en particulier Ivoirien). Il reste pour nous de mettre en évidence le mythe personnel d’Eugène Dervain.

     

     

     

    4-      Le mythe personnel de Dervain

                En écrivant, l’écrivain se dévoile d’une certaine façon à son lecteur. Derrière les mots, il y a une personnalité qui se dégage ; une personnalité appelée par certains critiques image de soi, et par d’autres mythe personnel. En ce qui nous concerne, nous préférons employer mythe personnel pour désigner cette personnalité qui se cache derrière les mots de l’écrivain. Le mythe personnel fut découvert par Charles Mauron. Selon lui, ce mythe est « phantasme le plus fréquent chez un écrivain ou mieux encore l’image qui résiste à la superposition de ses œuvres »[27], mieux il « est l’image que l’écrivain se construit de façon inconsciente dans son œuvre ou dans son texte, et qui permet de saisir sa personnalité (qui laisse transparaître la nature de sa personne) »[28]. C’est cette personnalité d’Eugène Dervain que nous essayerons d’appréhender dans cette partie. D’abord, nous avons vu qu’il renonce à sa nature première pour prendre la nature de l’autre. Ce reniement de soi pour être « autre-soi » ou « soi-autre », pour dire un « moi dans l’autre », présente bien sûr un Eugène Dervain autre qu’Eugène Dervain. En plus, nous avons dit que ce reniement de soi est chez lui une sorte d’affirmation de soi. Une affirmation de soi, parce qu’il prend l’identité de l’autre (altérité) en laissant sa propre identité (ipséité). Enfin Eugène Dervain part du fait que la race ne fait pas la nation pour définir sa nationalité qui se résume au partage de la même histoire, de la même culture (Alors je reconnais le son de mon tambour/Comme le son du tien). De tous ces postulats que devons-nous retenir ?

                Eugène Dervain semble dire en somme je ne suis pas différent de vous, ne faites pas attention à ma peau : « Nous sommes différents et cependant semblables ». Pour cela, l’on doit l’accepter comme il est. Et l’Afrique, hospitalière, l’ « a tendu la main » en lui disant qu’elle est sa patrie : « De me dire, mon Afrique, que tu es ma patrie » (ADA, p.26). Consciemment Eugène Dervain dit qu’il est Africain, et inconsciemment qu’il est Ivoirien. En réalité, l’autre à qui il se réfère est un habitant de la Côte d’Ivoire. Il dit donc sa négritude voire son ivoirité. L’ivoirité est l’ensemble des valeurs culturelles propres à la Côte d’Ivoire. Autrement dit l’ivoirité est le caractère spécifique de la culture ivoirienne. Ici nous pouvons dire que son mythe personnel est l’ivoirité ; c’est cette image que Dervain se bâtit inconsciemment dans ses textes poétiques.

     

     

     

    DUEKOUE

    Floraison-fécondité-semailles-moissons-laboureur-plante-feuilles d’herbe-cocotier-boue-

    Terre-montagne-rivage-géographie…

     

    À MA TANTE QUI DÉCOUVRIS L’AFRIQUE EN 1965

    Les rouges frondaisons-flamboyants de mai-la ville-la forêt-la savane-la mer-le sable-terre…

     

                La superposition de ces éléments renvoie à la végétation et au relief, mieux à un territoire. Et ce territoire est bien défini dans ses textes poétiques :GRAND-BASSAM, COCODY, ANOUMABO, BLOKOSS, DUCOS, FANTI, BETE, GUERE, NIABOUA, SENOUFO, DUEKOUE… C’est la Côte d’Ivoire qui est ainsi présentée. Il laisse « la CARAÏBE qui en silence prie » (ADA, p.26) pour la Côte d’Ivoire. Ce choix fait par Dervain montre que l’ivoirité est le remède à son mal d’être métis. Son mythe personnel est l’ivoirité, il est fier d’être ivoirien. Nous comprenons dès lors les raisons de sa naturalisation et de son mariage avec une Ivoirienne. C’est par amour pour la Côte d’Ivoire qu’il fait ce choix définitif.

     

     

    Conclusion

                La négritude des pères fondateurs est dépassée ou est récupérée de façon personnelle, pour dire qu’aujourd’hui, chaque poète se réclamant de la négritude essaie de l’adapter à son vécu personnel. Tel est donc le cas d’Eugène Dervain. Il renonce à la négritude des pères fondateurs, dite universelle, pour une négritude singulière, plus personnelle. Ce renoncement se traduit donc par l’écriture de la négation de soi optée par Dervain pour nier son être, sa personnalité, son identité voire sa race pour s’octroyer, pouvons le dire ainsi, les attributs de l’autre en faisant les siens dorénavant. Cette nouvelle identité qui peint sa négritude, baptisée d’ivoirité, est mise en évidence par l’écriture de l’autre. La psychocritique de ses textes nous a révélé que Dervain se dit être Ivoirien. C’est en fait son mythe personnel. De cette étude retenons que la négritude fait son petit chemin.

     

     

    Bibliographie

     

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                            mots utilisés par Tiburce Koffi sont à la limite de l’injure proférée à l’égard de

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    TADJO(Véronique), À mi chemin

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                            2004-2005; p. 379 [Sous la direction de Papa Samba Diop et Lezou D. Gérard]

    UMBERTO (Éco), Œuvre ouverte, Paris, Éditions Points, 1965

     

     

     

     


    [1] Éco UMBERTO, Œuvre ouverte, chap.4 , Paris, Éditions Points, 1965, 138

    [2] La définition donnée par Césaire et Senghor a été reportée par LylianKestelloot dans La Négritude hier et aujourd’hui in Césaire et Senghor. Un pont sur l’Atlantique, Paris, Éditions L’Harmattan, 20069

    [3] Selon l’information reçue pendant notre recherche, il serait mort en 2010

    [4] Voir la deuxième page de couverture de Une vie lisse et cruelle, Abidjan, Edilis, 1999

    [5] « À ma tante qui découvris l’Afrique en 1965 », Une vie lisse et cruelle, p.26

    [6] C’est l’œuvre d’Eugène Émile DERVAIN dans laquelle portera notre réflexion.

    [7] Paul RICŒUR, être soi-même comme un autre,

    [8] Charles MAURON, Des métaphores obsédantes aux mythes personnels, Paris, José Corti, 1978

    [9] Jacques CHEVRIER, Littérature nègre, Armand Colin/Nouvelles Éditions Africaines, p. 36

    [10] Référence faite à À ma tante qui découvris l’Afrique en 1965, p. 26 (Il sera mentionné dans le travail par ‘ ADA’’ suivi de la page ‘’p.’’)

    [11]Idem

    [12]Ibidem

    [13]Duekoué, p. 32

    [14]Idem

    [15] Le mot « songe » est ses occurrences parsèment tous les textes poétiques de Dervain ; ce qui suppose que Dervain fantasme sur la culture africaine.

    [16]Duekoué, p. 32 (Il sera mentionné dans le travail par ‘ Due’’ suivi de la page ‘’p.’’)

    [17]Idem

    [18] L’Ivoirité, selon est le fait d’être fier d’être Ivoirien, de consommer ce qui est ivoirien, de dire ou d’exprimer la manière d’être ivoirien… C’est la culture Ivoirienne.

    [19]Mamidou DIA, dans la préface de À mi chemin de Véronique Tadjo

    [20]Lauralie CHATELET, « La négation comme moteur de l’écriture chez Cioran », Mémoire de Recherche Master 2, Université Stendhal, UFR de Lettres et Arts, département de Lettres Modernes, sous la direction de Bertrand VIBERT

    [21] S. Le DIRAISON et D. JOUSSET, « La négation, Analyse conceptuelle », eduklub

    [22] Claude BENOIT, « Quand ‘’je est un autre’’. À propos d’une belle matinée de Marguerite Yourcenar », RELIEF 2 (2), 2008 – ISSN : 1873-5045. p.145-160

    [23]Idem

    [24]Lorenzo BONOLI, « La connaissance de l’altérité culturelle », Le Portique [En ligne], 5-2007 | Recherches, mis en lignele 21 décembre 2007, consulté le 28 juin 2015. URL : http://leportique.revues.org/1453

    [25] Claude BENOIT, op.cit.

    [26] Lorenzo BONOLI,op.cit.

    [27] Charles MAURON, op.cit., pp.211-212

    [28] Adou BOUATENIN, «  la poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : « Que m’accompagnent Koras et Balafong », et « Chaka » »,Mémoire de Master 2, p.78


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  •                                                Ma lettre à ma maman

     

                                       Chère Maman Chérie,

                                       En prenant le stylo sur la table d’étude

                                       Et en fouillant dans les affaires pour le papier

                                       J’ai fait tomber une photo de toi, Maman.

                                       Et deux grosses gouttes ont affleuré mes joues.

                                       Eh oui ! Maman, j’ai pleurai de ton absence.

                                       Je me suis souvenu d’une chanson célèbre

                                       Du groupe Sexion d’assaut, et j’ai pleurai.

                                       « Avant qu’elle ne parte, dis-lui que tu l’aimes. »

                                       C’était l’une des paroles du chant de ce groupe.

                                       Et je me suis alors souvenu, Maman,

                                       Que je ne t’ai jamais dit comme il se doit :

                                       « Maman, je t’aime de tout mon cœur. »

                                       Et du stylo et du papier, je t’écris, Maman

                                       Bien qu’il soit vraiment trop tard pour moi

                                       De te dire Maman Chérie, je t’aime infiniment.

                                       Car dans la terre moite, ton corps y est et inerte.

                                       Tout le temps que tu fus avec moi, Maman

                                       Je n’ai fait que saigner ton cœur vibrant d’amour

                                       Pour moi, ton fils fugueur, voyou et idiot.

                                       Pour mes bêtises, tu as été la risée de tous.

                                       Tu as supporté injures et humiliations acerbes.

                                       Parfois, Papa te battait parce que jaloux de ton amour

                                       Pour ton fils que je suis. Et moi, je te riais.

                                       Je t’ai considérée comme toutes les femmes :

                                       Un simple objet de plaisir pour les hommes.

                                       Et pourtant, tu étais mes yeux dans ce monde.

                                       Et pourtant, tu étais mon trésor intarissable.

                                       Et pourtant, tu étais la lampe de ma vie.

                                       Et pourtant, tu étais mon ombre tutélaire.

                                       Et pourtant, tu étais la Muse de mes vers.

                                       Et pourtant, tu n’étais pas ces femmes courtisanes.

                                       Tu étais juste une Maman pour moi, ton fils adulé.

                                       Comme Victor Hugo pour Léopoldine, sa fille

                                       Je ferai le pèlerinage pour te rencontrer.

                                       Et au-dessus de ta sépulture, je te lirai cette lettre.

                                       Et de mes larmes, je m’agenouillerai pour ton pardon.

                                       Et du pardon, je te ferai le serment de dire à mes amis

                                       De dire à leur maman respective avec la plus fort manière

                                       Avant qu’elle ne parte pour l’au-delà pour élire domicile :

                                       « Je t’aime, Maman Chérie, de tout mon être ! »

                                       Maman, bien qu’il soit vraiment trop tard

                                       Reçois sans colère et sans rancœur, ce bouquet

                                       De bruyères en fleurs et de houx vert de mon amour pour toi.

                                                                                      Ton fils qui t’a toujours aimée !


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  • La « nuit », une métaphore obsédante chez Senghor, l’exemple de « Que m’accompagnent Koras et Balafong » et de « Chaka »

     

     

    Adou BOUATENIN

    Maître ès Lettres Modernes

    Université Félix Houphouët Boigny

    Côte d’Ivoire

    diderplacidus@hotmail.fr

     

     

    L’on a toujours considéré Léopold Sédar Senghor comme un poète. Mais qu’en est-il de lui-même dans sa production poétique ? Qu’est-ce qu’il dit de lui-même ? À la lumière de la psychocritique, nous avons essayé de montrer que de façon inconsciente, il a dû dire ce qu’il est. Par la métaphore obsédante de « la nuit », l’image personnelle de Senghor qui se laisse saisir des réseaux associatifs est celle du poète. Comme « la psychocritique travaille sur le texte et sur les mots des textes » et se veut « d’abord une méthode de découverte », nous avons jugé fort utile qu’elle nous fournira quelques éléments de réponses pour expliquer pourquoi Senghor fait recours au mot « nuit » pour se définir comme poète par excellence.

     

    Mots clés : Senghor, Psychocritique, femme, nuit, rêve, mythe personnel

     

     

    Introduction

     

                Un adage en Afrique dit que « la nuit porte conseil ». En croire à cet adage, la nuit serait une personne capable de conseiller. Il s’agit d’une image. La vérité est que la nuit, loin des bruits du jour, des travaux, allongé sur le lit auprès de son/sa conjoint(e), avec les douces caresses, est le moment propice de la réflexion. Dans la prise de décision, le conjoint ou la conjointe joue un rôle primordial, car durant la nuit, il/elle peut permettre à son conjoint ou à sa conjointe d’agencer ses idées confuses de la journée. La nuit, moment favorable de repos, de réflexion, de méditation, d’inspiration, semble-t-il, est le temps de régénérer ses forces. C’est la nuit que les grands artistes travaillent, donnent forme à leur idée.

    Le mot « nuit » et ses variantes sont récurrentes dans les poèmes de Léopold Sédar Senghor. Lire Senghor et ne pas s’en apercevoir est impardonnable. Cette abondance du mot « nuit » a fait dire Michel Hausser que « Senghor s’est fait, légitiment, une réputation de poète de la nuit »[1] Cette présente suscite des interrogations : quelle place occupe la nuit chez le poète ? Que représente la nuit chez Senghor ? Quel impact la nuit a-t-elle sur Senghor ? La nuit est-elle une hantise ou une muse poétique chez Léopold Sédar Senghor ? Etc. Ce que nous savons est donné par Michel Hausser. Il dit « c’est, semble-t-il, à partir de ce caractère qu’il est possible de bâtir un mythe senghorien de la nuit »[2]. Autrement dit, c’est à partir de la présence exhaustive du mot « nuit » dans ses textes poétiques qu’il est possible de bâtir ou d’en déduire le mythe senghorien de la nuit. La nuit, selon le même auteur, est l’emblème de calme, de douceur, de beauté, d’amour et d’authenticité[3]. Qu’en est-il chez Senghor ? À quelle image renvoie le mythe senghorien de la nuit ?

    Ces nombreuses interrogations qui trottinent dans notre tête nous ont amené à formuler le sujet suivant : La « nuit », une métaphore obsédante chez Senghor, l’exemple de « Que m’accompagnent Koras et Balafong » et de « Chaka ». 

    Pour ce présent travail nous ferons appel à la psychocritique. La psychocritique, parce qu’elle « consiste à étudier une œuvre ou un texte pour relever des faits et des relations issus de la personnalité inconsciente de l’écrivain ou du personnage. En d’autres termes, la psychocritique a pour but de découvrir les motivations psychologiques inconscientes d’individu, à travers ses écrits ou ses propos[4] Elle se veut donc une méthode d’analyse littéraire et scientifique, car ses recherches sont fondées essentiellement sur les textes et aussi parce que sa méthode est basée sur la psychanalyse de Freud et de ses disciples.

    Pour Charles Mauron, « la psychocritique travaille sur le texte et sur les mots des textes »[5], et le critique qui use de cette méthode ne doit pas s’éloigner du texte.

          Le psychocritique, pour sa part, ne perd pas les textes de vue. Il s’est promis d’en accroître l’intelligence et ne réussira que si son effort y rencontre celui des autres disciplines critiques.[6]

     

    La présence de ces relations appelées « métaphores obsédantes » va constituer ce que Charles Mauron appelle le « mythe personnel » de l’écrivain. Le mythe personnel est « l’expression de la personnalité inconsciente et de son évolution » de l’écrivain dans son texte. En d’autres termes, le mythe personnel est l’image que l’écrivain se construit de façon inconsciente dans son œuvre ou dans son texte, et qui permet de saisir sa personnalité (qui laisse transparaître la nature de sa personne). Pour aboutir au mythe personnel de l’écrivain ou du poète, il faut rechercher dans le texte ou à travers l’œuvre comment se répètent et se modifient les réseaux, groupements ou d’un mot plus général, nous dira Charles Mauron.

                On cherche, à travers l’œuvre du même écrivain, comment se répètent et se modifient les réseaux, groupements ou d’un mot en général, les structures révélées par la première opération […] ; la seconde opération combine ainsi l’analyse des thèmes variés avec celle des rêves et de leurs métamorphoses. Elle aboutit normalement à l’image d’un mythe personnel.[7]

    La première opération consiste donc en une superposition des textes du même auteur pour faire apparaître des réseaux d’associations ou des groupements d’images obsédantes et probablement involontaires. De ce fait, la psychocritique nous fera comprendre la personnalité inconsciente de Senghor et les fondements ou les mobiles de l’obsession de certains thèmes qui font penser à la hantise ou la muse poétique. La psychocritique nous fournira également les clés pour expliquer pourquoi Senghor fait recours au mot « nuit ».

    En tout cas, il semble évident que c’est l’explication psychanalytique que nous pouvons comprendre les raisons qui ont amené Senghor à abonder ses textes poétiques du syntagme « nuit ». En effet, la psychocritique accroît « notre intelligence des textes littéraires en y discernent d’abord, pour les étudier ensuite, les relations dont la source doive être raisonnablement recherchée dans la personnalité inconsciente de l’autre, faute de la pouvoir trouver dans sa volonté ou dans le hasard[8] En plus, le poète ou l’écrivain, en écrivant, n’est pas conscient des mots répétés ou des mots qui reviennent de façon récurrente sous sa plume dans son texte.

          L’écrivain n’a conscience que de leur adaptation à sujet actuel. Il ignore l’origine profonde et personnelle de leur répétition.[9]

     

    Et comme la psychocritique se veut « d’abord une méthode de découverte »[10], nous avons jugé bon de l’appliquer sur les textes poétiques de Senghor pour découvrir l’impact de la nuit sur lui et sur ses productions poétiques.

    De ce fait, avec la psychocritique, nous montrerons que la nuit est avant tout une hantise chez Senghor avant d’être une muse poétique.

     

    1-      La nuit, hantise ou poétique chez Senghor

     

                La hantise est une sorte d’obsession, souvenir involontaire ou obstiné d’une chose ou de quelqu’un qui nous hante. Dans Que m’accompagnent Koras et Balafong, la hantise de la nuit chez Senghor se justifie. Loin de l’Afrique, du Sénégal, Senghor se souvient des « nuits » ou son oncle Tokô’Waly lui contait ou l’expliquait les mystères de son village :

     

    Tokô’Waly mon ocle, te souviens-tu des nuits de jadis

    quand s’appésantissait ma tête sur ton dos de patience

    Ou que me tenant par la main, ta main me guidait par

          ténèbres et signes ? (p.34)

     

    Étant étudiant en France, il remarqua que les nuits d’Afrique sont différentes des nuits de France : « Nuit d’Afrique ma nuit noire, mystique et claire et brillante » (p.35). Il a alors la nostalgie des nuits d’Afrique. Il s’enferma dans sa chambre étudiante pour composer, sans doute, ses textes poétiques pour échapper à la raison hellène.

     

    Nuit qui délivre des raisons des salons des sophismes,

          Des pirouettes des pretextes, des haines calculées des car-

          Nages humanisés (p.35)

     

    La nuit apparaît dès lors comme une échappatoire, un moyen de se libérer de cette nostalgie. C’est, peut-être, en voulant retrouver les nuits d’Afrique en France que Senghor s’est mis à l’écriture poétique. De la hantise, la nuit serait une source d’inspiration, une source de création poétique, une muse poétique, pour ainsi dire.

                Dans Chaka, la nuit n’est pas un moment propice à la douceur ni à la composition poétique, mais un moment de trouble, de peur : « … Le pouls fiévreux de la nuit ! » (p.119) ; « cette longue nuit sans sommeil… » (p.119). C’est durant la nuit que Chaka tua « Nolivé aux bras de boas, aux lèvres de serpent-minute » de ses propres mains. Et chaque nuit, Chaka entend « le roucoulement au matin de Nolivé », c’est-à-dire la voix matinale de Nolivé. Il n’arrive pas à dormir à force de sentir la présence de Nolivé. Il manque de sommeil, et la nuit devient une hantise. À vrai dire c’est Nolivé qui est son hantise. Il doit veiller malgré lui : « Et nous voilà debout aux porte de la Nuit, buvant des contes très anciens et mâchant des voix blanches » (p.129). La nuit, Chaka se souvient de Nolivé, il se voit donner la mort à Nolivé « d’une main sans tremblement » (p.117). Le spectre de Nolivé le hante à tel point de se donner la mort : « Ô ma fiancée, j’ai longtemps attendu cette heure » (p.125). Ce vers est repris à la page 127 : « Ô ma fiancée, j’ai longtemps attendu cette heure » pour insister sur l’empressement de finir avec l’emprise de la nuit sur lui.

    Si l’on considère que Senghor est Chaka, alors nous pouvons dire que la nuit est plutôt une hantise que muse poétique chez Senghor.

     

    2-      La « Nuit », métaphore obsédante de la femme chez Senghor

     

                L’on sait que Senghor s’est fait « une réputation de poète de nuit »[11]. Cependant, il convient de mettre à nu l’image obsédante ou la métaphore obsédante à laquelle renvoie l’emploi de « nuit » dans ses textes poétiques. Dans notre corpus, Senghor s’approprie la nuit. La nuit devient sa propriété, sa chose. En effet, par l’emploi de l’adjectif « ma », Senghor montre que la nuit est inhérente à sa nature : « O ma nuit ! O ma Noire ! Ma Nolivé » (Chaka)/« Nuit d’Afrique, ma nuit, mystique et claire noire et brillante » (Que m’accompagnent Koras et Balafong).

    Dans ces extraits ci-dessus, nous constatons que l’évocation de la nuit est renforcée par une autre évocation, en occurrence par l’évocation d’une personne féminine. Ce qui suppose que la nuit égale à la femme (Nuit = Femme). Autrement dit la nuit en tant que objet qu’il possède est en fait une personne. Ce qui laisse dire que la nuit est l’image de la femme.

                Dans Chaka,, lorsque le poète Senghor/ Chaka évoque la nuit, c’est à Nolivé qu’il songe. Le réseau associatif de la nuit dans Chaka se constitue de « O ma Nuit ! O ma Noire ! ma Nolivé », « O ma Nuit ! ô ma Blonde ! ma lumineuse sur les collines », « Que de cette nuit blonde- ô ma Nuit ô ma noire ma Nolivé ». Dans ce réseau associatif, comme le disons tantôt, la Nuit est une autre désignation de Nolivé, et elle est matérialisée par la lettre majuscule de « N ». Dans ce réseau associatif, il y a aussi le mot « Noire » qui y revient. Autrement dit, Senghor établit un rapport entre Nuit et Noire. Dans la nuit, il y a le sème de l’obscurité, du noir. La Nuit, la Noire, c’est la même chose ou les deux faces d’une même réalité. Nous comprenons alors l’emploi des variantes de nuit : « Obscur dans le jour », « la splendeur noire », etc. Nolivé est une Africaine, pour dire l’image obsédante que ressort de ce réseau associatif est l’image de la femme africaine. Cependant, à y voir de près, l’on constate que l’emploi de « Nuit » implique une corrélation systématique de « blonde » ce qui vient fausser notre analyse. Alors il convient d’établir le réseau associatif de « blonde » et de le superposer à celui de « nuit ». Le réseau associatif de « blonde » est le suivant : « O ma Nuit ! ô ma Blonde ! ma lumineuse sur les collines », « Que de cette nuit blonde – ô ma Nuit ô ma Noire, ma Nolivé », « la nuit diamantine », « ô ma Blonde », « chair noire de lumière ». Ce réseau associatif trouve son sens de l’explication que nous avons donné de ce syntagme nominal « Ma Négresse blonde » (p.129)

     

          L’emploi de « Négresse » renvoyant à l’Afrique, et de « blonde » à l’Europe […] ; le poète met en relief deux cultures opposables. […] En effet, le nominal « Négresse » renvoie à ce qui est propre aux Nègres, et par extension à l’Afrique. Quant à l’adjectif « blonde », il renvoie à tout ce qui est propre aux Blancs, et par ricochet à l’Europe.[12]

     

    Nous voyons par cette explication que le syntagme nominal essaie d’associer deux images féminines, l’une négresse et l’autre blonde. Nous voyons également que le premier réseau associatif est modifié par le second réseau, à telle enseigne que la superposition de ces deux réseaux associatifs donne une et une seule métaphore obsédante. Ce n’est plus la femme africaine mais une femme métissée qui est la métaphore obsédante. Cette métaphore obsédante renvoie à l’image de Ginette Éboué[13]. Même si les critiques pensent que Senghor a supprimé les textes les plus transparents qui laissent voir le lien entre sa première femme[14], nous pensons de façon inconsciente l’image de cette dernière se lit bien dans ses poèmes. Elle serait donc à la fois une hantise et une muse poétique chez Senghor.

                Dans Que m’accompagnent Koras et Balafong, le réseau associatif de nuit est constitué de « Nuit d’Afrique », « ma Beauté noire », « ma Nuit noire », « ma Noire », « ma Nue ». Ce réseau associatif renvoie à l’image de Soukeïna, la sœur, sans doute, du poète :

     

    -          un baiser de toi Soukeïna !- ces deux mondes antagoniste

    Quand douloureusement-ah ! je ne sais plus

    Qui est ma sœur et qui est ma sœur de lait (p.28)

     

    L’évocation de « Isabelle », considérée comme une Européenne, vient mettre en doute la véracité de nos propos. Est-ce Isabelle ou Soukeïna que le poète fait-il allusion ? Isabelle n’est-elle pas Colette, sa seconde épouse ?

     

    « Oui, j’assume mon amour pour cette femme blanche, je suis son prince, elle est ma princesse de Belborg, nous vivons et exemplifions le dialogue de deux cultures. C’est une belle histoire d’amour…et l’emblème du métissage qui sera la loi de demain »[15].

     

    Nous ne sommes pas situés. Dans tous les cas, Soukeïna ou Isabelle, Ginette Éboué ou Colette, toutes deux sont des femmes. Et ce sont elles qui bercent les nuits du poètes Senghor.

     

    De celles qui bercèrent mes nuits de leur tendresse rêvée

          De leurs mains mêlées (p.28)

     

                Soukeïna n’est-elle pas Ginette Éboué, sa « Nuit, [sa] Nolivé », chantée dans Chaka ? Et Colette n’est-elle pas aussi sa « Nuit, … [sa] Blonde ! [Sa] lumineuse sur les collines », magnifiée dans Chaka ? À ces interrogations, nous pouvons dès lors affirmer, quelle que soit la femme chantée dans les deux poèmes, et désignée par les réseaux associatifs, que c’est l’image de la femme en général qui est mise en évidence. La femme est la métaphore obsédante chez Senghor et sujet de réflexion.

                La femme, qu’elle soit Africaine ou Européenne, Ginette Éboué ou Colette Hubert, est une fois de plus chantée par un poète, en occurrence Léopold Sédar Senghor. La femme est chez ce dernier une hantise et une muse poétique. Hantise parce que la femme est obscure, c’est-à-dire difficile à cerner, à connaître, à comprendre, elle est un mystère à découvrir. L’on comprend alors les raisons pour lesquelles la femme est désignée par la « nuit ». Muse poétique, parce qu’elle est une beauté. Cependant, la nuit, dans l’œuvre de Senghor, a une autre dimension. Elle serait un moment d’amour et de fécondité, mieux moment de création poétique.

     

    3-       La nuit, moment de création poétique

     

                Dans Que m’accompagnent Koras et Balafong, et Chaka, nous avons dit que la Nuit est l’image de la femme chantée par Senghor ; qu’elle est désignée par la Nuit, parce qu’elle est en réalité obscure en elle-même. Cependant, une relecture de ces deux poèmes avec la même méthode d’analyse montre que la Nuit serait un moment de création poétique chez Senghor, un lieu propice pour écrire ses poèmes. La nuit est « l’artéfact » pour accéder à la connaissance, à la muse poétique. Bien qu’il soit vrai que « c’est la nuit que le sommeil engendre des rêves ou des cauchemars, des monstres ou des illuminations, abîmant l’esprit en des chimères merveilleuses qui égarent »[16], il faut, cependant, reconnaître aussi que c’est pendant la nuit que l’on s’adonne véritablement à la réflexion car tout est calme, tout dort, et l’on peut se libérer des fardeaux de la journée.

                Le réseau associatif de la nuit lié à la réflexion dans Que m’accompagnent Koras et Balafong est constitué de « Nuit qui me délivre des raisons des salons, des sophismes, des pirouettes des prétextes des haines calculés des carnages humanisés », « Nuit qui fonds toute ma contradiction, toutes contradictions dans l’unité première de ta négritude » (p. 35). À travers ce réseau associatif, la métaphore obsédante qui se lit est celle du repos : « délivre », « fonds ». De ces verbes mots, il ressort le sème de repos. Occuper la journée, la nuit nous permet de se libérer des travaux du jour, donc de se reposer. Autrement dit, toute la journée, nous avons utilisé la force, et la nuit venue, nous devons amollir cette force ou la récupérer, donc de se reposer et de se consacrer à l’amour : « Dormez, les héros, en ce soir accoucheur de vie, en cette nuit de gradeur » (p.31).

                Dans Chaka, le réseau associatif est constitué de « la nuit diamantine », « cette nuit d’amour sans fin», « chante la Nuit », « aux portes de la Nuit », « l’amant de la Nuit ». Par ce réseau associatif, nous voyons que le poète fait l’éloge de la nuit. Il semble que la nuit, pour lui, l’expérience la plus intense pour accéder à l’infini, à l’imagination : « Voix Voix blanche de l’Outre-mer, mes yeux de l’intérieur éclairent la nuit diamantine » (p.117). De ce réseau associatif, nous pouvons dire que Senghor fait l’amour avec la nuit. Il y a, en effet, un phénomène d’accouplement qui se lit à travers ce réseau. Illustrons nos propos par un schéma.

    Chante la Nuit                                               Cette nuit d’amour

     

    Aux portes de la Nuit                                    l’amant de la Nuit

    De ce schéma, plusieurs lectures sont possibles, néanmoins nous en proposons une : l’amant, le soir venant (aux portes de la Nuit) chante (la Nuit) car cette nuit est une nuit d’accouplement (d’amour). Or chez Senghor, la femme à accoupler n’est que le poète lui-même : «  […] le poète est comme une femme en gésine : il lui faut enfanter »[17]. Ici, l’on peut s’arrêter sur l’image et dit avec raison, comme Stanislas Adotevi[18], que ce Senghor est un « baiseur ». Or ce que l’on oublie, c’est que la poésie peut vouloir dire quelque chose à première vue et dire autre chose après une vue minutieuse, ou dire à la fois quelque chose et son contraire, car les mots de la poésie sont chargés de sens et de significations. À ce propos, citons Senghor.

          Les mots, presque toujours concrets, sont enceintes d’images, l’ordonnance des mots dans la proposition dans la phrase y obéit à la sensibilité plus qu’à l’intelligibilité, aux raisons du cœur plus qu’aux raisons de la raison.[19]

     

    Et comme « les mots sont enceintes d’images », il faut les accoupler, et le moment propice pour le faire est bien sûr la nuit. Senghor ne dit autre chose que la création poétique qui se lit dans ses poèmes.

                Lorsque ce réseau est associé à celui de Que m’accompagnent Koras et Balafong, il apparaît clairement que la nuit est un moment d’amour et de fécondité, et il semble que l’image obsédante est celle d’un « baiseur ». Oui ! Senghor, ce « baiseur », fait l’amour avec les mots, s’accouple avec eux pour enfanter le poème, pour donner vie aux mots[20]. Tout est clair. Senghor se présente comme poète par excellence[21], et la nuit est sa prédilection. Il est l’amant des Muses : « le créateur des paroles de vie », « Le poète du Royaume d’enfance », « Bien mort le politique, et vive le Poète ! », « les yeux de l’Amant » (Chaka)/ « Les poétesses du sanctuaire m’ont nourri », « Les griots du Roi m’ont chanté la légende véridique de ma race aux sons des hautes kôras », « De nouveau je chante un noble sujet » (Que m’accompagnent Koras et Balafong ». C’est cette métaphore obsédante qui se dégage de la superposition des deux réseaux associatifs.

    À ce stade de notre analyse, il reste la vérification de nos résultats avec la biographie ou la vie du poète. Or tel n’est pas le cas dans ce travail. Ce qui veut donc dire que notre travail est inachevé. À l’heure actuelle, la vérification des résultats avec la vie de l’auteur ne s’avère pas trop nécessaire, car savons-nous tous que Senghor a abandonné la politique pour se consacrer à la poésie.

     

     

     

    Conclusion

     

                Que devons-nous retenir ? De ce travail, nous avons deux images obsédantes. D’abord, la première image renvoie à celle de la femme, et enfin, la seconde celle de l’amant des Muses. Un rapprochement des deux images montre que la femme est aussi les Muses, parce que toutes deux féminines (Femme= Muses), autrement dit, Femme et Muse désignent une et une seule réalité : l’inspiration. Donc à la question de savoir si la nuit est une hantise ou Muse poétique, nous pouvons répondre, comme nous sommes au terme de notre analyse, que la nuit chez Senghor est une muse poétique, et dans la même perception que Michel Hausser, affirmer que le mythe personnel de Senghor est le poète de nuit ou le poète de la nuit.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Bibliographie

     

     

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                            [sous la direction de N’guettia Kouadio Martin]. Mémoire édité par les

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    SAHIRI (Léandre), À propos de « Deuxième épitre à Laurent Gbagbo » de Tiburce Koffi : les

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    SENGHOR (Léopold Sédar), Poèmes, recueil de poèmes contenant Chants d’ombre

                            (1945), Hosties noires (1948), Éthiopiques (1956), Nocturnes (1961),

                            Lettres d’hivernage (1972), Paris, Éditions du Seuil, Collection Points

                            Littérature, 1964 et 1973, 254 p.

     

     

     


    [1] Michel HAUSSER, Pour une poétique de la négritude, Tome I, Silex/CEDA, p.219

    [2] Idem, p.282

    [3] Ibidem, p.339

    [4] Léandre SAHIRI, À propos de « Deuxième épitre à Laurent Gbagbo » de Tiburce Koffi : les mots utilisés par Tiburce Koffi sont à la limite de l’injure proférée à l’égard de M. Laurent Gbagbo

    [5] Charles MAURON, op. Cit. , p.10

    [6] Idem, p.25

    [7] Charles MAURON, Psychocritique du genre comique, José Corti, Paris, 1964, p.142. Il résume les différentes opérations qui composent la méthode de la psychocritique.

    [8] Idem, p.141

    [9] op.cit., p.80

    [10] op.cit. p.335

    [11] Michel HAUSSER, op. cit.

    [12] Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : « Que m’accompagnent Koras et Balafong », et « Chaka », Mémoire de Master 2, Université Félix Houphouët Boigny, 12 novembre 2014, [sous la direction de N’guettia Kouadio Martin]

    [13] Première femme du poète Senghor. Elle est Guyanaise, or la population Guyanaise s’avère extrêmement métissée.

    [14] « C’est possible mais ce qu’il y a de sûr, c’est que Senghor a supprimé les textes les plus transparents réduisant ainsi, le plus possible, le lien entre sa première femme et la figure de la femme noire. », Entretien de Mongo-Moussa avec Daniel Delas, « Ne prenons pas Senghor pour ce qu’il n’est pas ! », Africultures, disponible sur http://www.africultures.com/php/?nav=article&no=5900

    [15] Senghor, cité par Delas. Idem

    [16] Corinne BAYLE, « Pourquoi la nuit ? »

    [17] Léopold Sédar SENGHOR, postface de l’ÉTHIOPIQUES, « comme les lamantins vont boire à la source », p. 154

    [18] Stanislas ADOTEVI, Négritude et négrologues, Paris, Union générale d’édition, 1972

    [19] Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », Esprit, 19622, p.839

    [20] Jacques CHARPENTREAU, Préface du livre : "La ville en poésie", Édition Gallimard, collection Folio Junior en Poésie. (1979)

    [21] Je vous invite à vous référer à l’étymologique du mot « poète » qui vient de poiein et qui renvoie aux mots tels que créer, fabriquer, inventer


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  • La psychocritique de Charles Mauron

     

    Adou BOUATENIN

    Maître ès Lettres Modernes

    Université Félix Houphouët Boigny

    Côte d’Ivoire

    diderplacidus@hotmail.fr 

     

     

    Nous voulons par cette présente étude « ressusciter » la méthode d’analyse de Charles Mauron qui est longtemps restée en veilleuse, car elle nous paraît une méthode féconde, susceptible de donner une nouvelle lecture des œuvres littéraires.

     

    Mots clés : Charles Mauron, Psychocritique, métaphore obsédante, réseaux obsédants, mythe personnel

     

     

    Introduction

     

                Le travail scientifique requiert une démarche méthodologique en fonction des résultats ciblés. Aussi, l’étude d’une œuvre poétique ou d’un poème peut être abordé(e) de multiple façons, dont certaines semblent faites pour permettre d’en élucider la signification ; d’autres l’articulation du texte ou d’étudier les principes grammaticaux, sémantiques, pragmatiques, phoniques, prosodiques, morphologique du poème. Il convient donc à l’exégète de choisir le plus souvent les outils en fonction de sa culture théorique qu’il adapte à son objet d’étude, au poème ou à l’œuvre poétique qu’il veut élucider. Autrement dit, c’est l’exégète qui construit son objet par rapport à son objectif, car il sait d’avance que le poète est un artiste qui travaille avec les mots d’abord, mais aussi avec sa sensibilité, sa perception du monde, et la connaissance qu’il en a, tout en laissant transparaître sa personnalité. Étant donné que « la poésie, comme le rêve, constitue une voie de passage entre conscience et inconscient »[1], et qu’elle (la poésie) est caractérisée par une double structuration[2], nous avons donc opté pour la psychocritique. La psychocritique, parce qu’elle « consiste à étudier une œuvre ou un texte pour relever des faits et des relations issus de la personnalité inconsciente de l’écrivain ou du personnage. En d’autres termes, la psychocritique a pour but de découvrir les motivations psychologiques inconscientes de l’individu, à travers ses écrits ou ses propos.»[3] Elle se veut donc une méthode d’analyse littéraire et scientifique, car ses recherches sont fondées essentiellement sur les textes et aussi parce que sa méthode est basée sur la psychanalyse de Freud et de ses disciples.

          La psychocritique se veut une critique littéraire et scientifique, partielle, non réductrice. Littéraire, car ses recherches sont fondées essentiellement sur les textes ; scientifique, de par son point de départ (les théories de Freud et de ses disciples) et par sa méthode empirique (Mauron se réclame de la méthode expérimentale) ; partielle, puisqu’elle se limite à chercher la structure phantasme inconsciente, non réductrice, car Mauron attribue au mythe personnel une valeur architecturale, il le compare à une crypte sous une église romane.[4] 

    C’est à Charles Mauron (1899-1966) que revient le mérite d’avoir élaboré une méthode d’approche psychologique des textes littéraires appelée psychocritique[5]. Pour Charles Mauron, « si l’inconscient s’exprime dans les songes et les rêveries diurnes, il doit se manifester aussi dans les œuvres littéraires ». C’est ainsi qu’il décida d’étudier la personnalité de l’auteur à travers les œuvres de ce dernier. Qui est donc Charles Mauron ? Qu’est-ce que la psychocritique ? Pourquoi la psychocritique ? Et comment fonctionne la psychocritique ?

    Notre intrusion dans ce champ d’explication battu et rebattu par des critiques n’est sans justification, car elle se veut une actualisation des critiques déjà faites. Nous voulons par cette présente étude « ressusciter » la méthode d’analyse de Charles Mauron qui est longtemps restée en veilleuse, car elle nous paraît une méthode féconde, susceptible de donner une nouvelle lecture des œuvres littéraires. 

     

     

    1-      Qui est Charles Mauron ?

     

                Charles Mauron est un français, né à Saint-Rémy-de-Provence en 1899. Il meurt dans un accident de voiture en 1966. Après des études scientifiques à la faculté de Marseille, il devient assistant de chimie en 1921. Mais la détérioration de sa vue le contraint à se retirer à la campagne et à se convertir à d'autres intérêts. Il s'intéresse d'abord à l'esthétique. Son excellente connaissance de l'anglais le conduit à traduire de nombreux ouvrages, Les Sept Piliers de la sagesse de T. E. Lawrence, Orlando de Virginia Woolf, des textes de D. H. Lawrence, K. Mansfield, Forster ou Fry. Il se lie à des auteurs anglo-saxons et il collabore à leurs revues. Ainsi, pendant les années qui précèdent la deuxième guerre mondiale, il acquiert une certaine notoriété en Grande-Bretagne alors que les poèmes qu'il publie à Paris ne recueillent qu'un succès assez modeste en dépit de leur beauté (Poèmes en prose, 1930 ; Esquisse pour le tombeau d'un peintre, 1938). C'est cependant au cours de cette période qu'il met au point la psychocritique, sa contribution principale à la littérature. Cette méthode a eu un succès considérable dans les années 1940-1950.

     

     

     

     

    2-      Charles Mauron et la psychocritique

     

                En 1938, Charles Mauron constata la présence, dans plusieurs textes de Mallarmé, un réseau de métaphores obsédantes, et en 1954, à propos de Racine, il formula l’hypothèse d’un mythe personnel propre à chaque écrivain.

          C’est en 1938 que je constatai la présence, dans plusieurs textes de Mallarmé, d’un réseau de « métaphores obsédantes ». Nul ne parlait alors, en critique littéraire, de réseaux et de thèmes obsédants, expressions maintenant banales. En 1954, et à propos de Racine, je formulai l’hypothèse d’un « mythe personnel » propre à chaque écrivain et objectivement définissable. En ces deux dates, je n’ai cessé d’interroger des textes. Ainsi s’est formée la méthode psychocritique. L’ayant mise à l’épreuve plusieurs années encore, je la tiens aujourd’hui pour un instrument de travail utile.[6]

     

    De ce fait, il proposa une méthode d’analyse inspirée par la psychanalyse à partir des thèses de Roger Fry. Pour Charles Mauron, « la psychocritique travaille sur le texte et sur les mots des textes »[7], et le critique qui use de cette méthode ne doit pas s’éloigner du texte.

          Le psychocritique, pour sa part, ne perd pas les textes de vue. Il s’est promis d’en accroître l’intelligence et ne réussira que si son effort y rencontre celui des autres disciplines critiques.[8]

     

    Dans Mallarmé l'Obscur (1938), il énonce ses premières découvertes ; le livre passera inaperçu jusqu'à la fin de la guerre. Il introduit une nouvelle lecture du texte littéraire auprès de l'histoire et de la linguistique : c'est, selon sa propre définition, « isoler et étudier, dans la trame du texte, des structures exprimant la personnalité inconsciente de l'écrivain ». Pour mener à bien une telle étude, la psychanalyse, dont Mauron s'inspire, dispose de la méthode de l'association libre ; la psychocritique lui substituera la superposition des œuvres comme moyen de repérer le réseau élémentaire de ces structures latentes dans leur unité sous-jacente. Superposant divers poèmes de Mallarmé, il découvre ces métaphores et les « constellations » qu'elles organisent, toutes choses qu'une meilleure biographie du poète confirmera par la suite. Il s'agit là avant tout d'une façon de lire, non de déchiffrer ou d'interpréter. En effet, La psychocritique se propose de déceler et d’étudier dans les textes les relations qui n’ont probablement pas été pensées et voulues de façon consciente par l’auteur mais qui y sont, et qui ont une importance dans la compréhension du texte voire de l’écrivain lui-même. La présence de ces relations appelées « métaphores obsédantes » va constituer ce que Charles Mauron appelle le « mythe personnel » de l’écrivain. Le mythe personnel est « l’expression de la personnalité inconsciente [de l’écrivain] et de son évolution »[9] dans son texte. En d’autres termes, le mythe personnel est l’image que l’écrivain se construit de façon inconsciente dans son œuvre ou dans son texte, et qui permet de saisir sa personnalité (qui laisse transparaître la nature de sa personne). Pour aboutir au mythe personnel de l’écrivain ou du poète, il faut rechercher dans le texte ou à travers l’œuvre comment se répètent et se modifient les réseaux, les groupements d’un mot.

     

     

     

    3-      Pourquoi la psychocritique ?

     

                Charles Mauron veut tenter d’objectiver les données des textes littéraires pour que les critiques ne travaillent plus seulement à l’intuition mais qu’ils tiennent compte de l’apport des sciences contemporaines et donc, essentiellement de la psychologie freudienne. En effet, la psychocritique accroît « notre intelligence des textes littéraires en y discernent d’abord, pour les étudier ensuite, les relations dont la source doive être raisonnablement recherchée dans la personnalité inconsciente de l’auteur, faute de la pouvoir trouver dans sa volonté ou dans le hasard[10] En plus, le poète ou l’écrivain, en écrivant, n’est pas conscient des mots répétés ou des mots qui reviennent de façon récurrente sous sa plume dans son texte.

          L’écrivain n’a conscience que de leur adaptation à son sujet actuel. Il ignore l’origine profonde et personnelle de leur répétition.[11] 

     

                Aussi, selon Charles Mauron, un texte est l’expression de l’inconscient. C’est donc la pensée claire et consciente d’un auteur mais aussi toute une pensée qui appartient à l’inconscient. Ce dernier est donc largement à l’œuvre dans le texte tout en échappant à l’auteur. L’auteur met donc dans son texte bien plus qu’il ne le pense. Cet inconscient qui renvoie au vécu de l’auteur ne parle pas de façon claire. Sa méthode a pour but de nous faire réfléchir sur qu’est-ce que lire un texte littéraire ? Le texte littéraire est donc un texte qui dépasse énormément ce que l’auteur a voulu consciemment écrire. Car, c’est une projection de tout une partie qui échappe à l’auteur. La caractéristique de tout texte littéraire est l’expression d’un inconscient. Une des conséquences est que pour lire correctement un texte littéraire il faut le décoder car l’inconscient ne s’exprime pas de façon claire, il parle par symbole, par image : tout un langage secret donc, il faut une méthode adaptée car on fait plus qu’une simple lecture. Et la méthode adaptée n’est pas sans lien avec celle utilisée par un psychanalyste pour tenter de décoder les rêves, d’où la proposition de la psychocritique ; mise en vedette dans son livre phare Des métaphores obsédantes au mythe personnel (1963).

    Charles Mauron insiste sur le fait que cette méthode est avant tout une méthode de lecture littéraire pour mieux aimer et comprendre un texte ce n’est donc pas l’occasion de psychanalyser un auteur. 

          Le psychocritique n’est pas un thérapeute. Il ne songe pas à guérir. Il ne pose ni diagnostic, ni pronostic. Il isole dans l’œuvre, les expressions probables de processus inconscients, en étudie les formes et l’évolution, et tâche de les relier aux résultats acquis par ailleurs.[12]

     

    Cette méthode se réalise en quatre temps, quatre opérations où il s’agit de faire parler le texte, pour voir ce que le lecteur ordinaire n’est pas capable de voir.

     

     

     

    4-       Comment fonctionne la psychocritique ?

     

                La méthode psychocritique comporte quatre opérations successives : la superposition de plusieurs textes d’un auteur pour relever les éléments récurrents ; le réseau obsédant qui met en évidence le « mythe personnel » de l’auteur ; le mythe personnel qui se lit à travers les mots, les expressions, les images qui reviennent de manière consciente ou inconsciente sous la plume de l’auteur (les métaphores obsédantes) ; la biographie de l’auteur qui vient à point nommé dans un but de contrôle des résultats acquis… C’est-à-dire on cherche, à travers l’œuvre du même écrivain, comment se répètent et se modifient les réseaux, groupements ou d’un mot en général, les structures révélées par la première opération […] ; la deuxième opération combine ainsi l’analyse des thèmes variés avec celle des rêves et de leurs métamorphoses. Elle aboutit normalement à l’image d’un mythe personnel ; la troisième opération est la phase de l’interprétation du réseau obsédant pour mettre en évidence le mythe personnel de l’auteur ; la dernière opération vient justifier les résultats acquis par l’étude de l’œuvre, c’est une sorte de comparaison avec la vie de l’écrivain.[13]

                Soyons plus explicite. Pour ce faire, il faut superposer des textes, d’un même auteur, [très différents tant par l’époque de rédaction que par le style (roman, théâtre, poésie...)]. Si on les superpose on voit apparaître un réseau que l’on ne doit, a priori, pas attendre. Un réseau qui a une forme obsédante, qui revient inconsciemment dans toute l’œuvre. Il s’agit donc de faire apparaître des choses qu’on ne voit pas à la première lecture. Selon Charles Mauron, il ne faut pas se contenter des réseaux mais les regrouper entre eux afin de former des associations complexes pour dessiner une figure, appelée métaphore obsédante. On les voit donc apparaître, elles expriment des situations dramatiques (elles jouent une histoire) à qui on donne le nom « mythe ». Un mythe est une structure poétique, une histoire poétique qui dit de manière symbolique une vérité profonde, et il est personnel, propre à chaque écrivain. Chez Charles ce mythe est appelé Mythe Personnel.  Nous disons de ce mythe qu’il « est l’image que l’écrivain se construit de façon inconsciente dans son œuvre ou dans son texte, et qui permet de saisir sa personnalité (qui laisse transparaître la nature de sa personne) »[14]. C’est l’histoire que raconte la structure de son inconscient, mieux c’est « le phantasme le plus fréquent chez un écrivain ou mieux encore l’image qui résiste à la superposition de ses œuvres »[15]. Mais, cette histoire serait racontée de manière imagée. Repérer le mythe personnel, c’est repérer quelle histoire jouent les figures et ce qu’elles signifient. Grâce à elles, on pourrait suivre les étapes d’un mythe et d’un drame personnel. Les figures sont révélatrices du drame originel de l’écrivain et de la manière dont il a vécu ce drame au cours de sa vie. Ce mythe évolue dans le temps et raconte comment l’écrivain a été peu à peu débordé par son drame. La méthode de Charles Mauron ne commence pas par l’étude de la biographique mais se termine par son étude. La vie de l’écrivain n’est là que pour vérifier ce qui a été traduit par l’analyse des textes. Il s’agit de confronter le texte à la biographie après son étude.

     

     

     

    Conclusion

     

                La psychocritique se veut une critique littéraire, scientifique, partielle, non réductrice. Littéraire, car ses recherches sont fondées essentiellement sur les textes ; scientifique, de par son point de départ (les théories de Freud et de ses disciples) et de par sa méthode empirique (Mauron se réclame de la méthode expérimentale de Claude Bernard) ; partielle, puisqu’elle se limite à chercher la structure du phantasme inconscient ; non-réductrice. La psychocritique est donc la méthode d’analyse inspirée par la psychanalyse et illustrée par Charles Mauron, à partir des thèses de Roger Fry. C’est aussi une méthode d’analyse qui consiste à étudier une œuvre ou un texte pour relever des faits et des relations issus de la personnalité inconsciente de l'écrivain ou du personnage. En d’autres termes, la psychocritique a pour but de découvrir les motivations psychologiques inconscientes d’un individu, à travers ses écrits ou ses propos. Et le psychocritique, pour sa part, ne perd pas les textes de vue, car il s’est promis d’en accroître l’intelligence et ne réussira que si son effort y rencontre celui des autres disciplines critiques. 

     

     

     

    Bibliographie

     

    BERNADET (Arnaud), Pour une « rhétorique profonde », Université de Franche-Conte

                            Centre « Jacques Petit », 2004

    BOUATENIN (Adou), La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor :

                             « Que m’accompagnent Koras et Balafong », et « Chaka », Mémoire de

                            Master 2, Université Félix Houphouët Boigny, 12 novembre 2014, p. 120,

                            [sous la direction de N’guettia Kouadio Martin]. Mémoire édité par les

                            Éditions Universitaires Européennes le 23 mars 2015 avec pour titre La

                            poétique de la Francophonie, 129 p. ISBN : 978-3-8381-8277-3

    KÉÏTA (Mohamed), Approche psychocritique de l’œuvre romanesque de Tierno

                            Monénembo, Thèse de doctorat, Paris (France), Université Paris-Est Créteil

                            Val de Marne, U.F.R de Lettres et des Sciences Humaines, 27 juin 2011 ;

                            p. 337 [Sous la direction de Papa Samba Diop]

    LARIN (Robert) « De la psychocritique ou confession d’un enfant du siècle », Voix et images

                            du pays, vol. 8, n° 1, 1974, p. 209-215.

                            URI: http://id.erudit.org/iderudit/600291ar

    MAURON (Charles), Des métaphores obsédantes aux mythes personnels, Paris, José Corti,

                            196, p.382

    MAURON (Charles), Psychocritique du genre comique, José Corti, Paris, 1964, p.190.

    MOZAFARIAN (Leïla Fotouh), Les réseaux d’associations et le mythe personnel dans les

                            poèmes de Paul Valéry, Mémoire de Maîtrise, Université de Mashhad,

                            Faculté des Langues Étrangères, février 1995,[sous la direction de Partovi]

    SAHIRI (Léandre), À propos de « Deuxième épitre à Laurent Gbagbo » de Tiburce Koffi : les

                            mots utilisés par Tiburce Koffi sont à la limite de l’injure proférée à l’égard de

                            M. Laurent Gbagbo

    TROH-GUEYES (Léontine), Approche psychocritique de l’œuvre d’Henri Lopes, Thèse de

                            doctorat, Paris (France), Université Paris XII Val de Marne et Cocody-Abidjan,

                            U.F.R de Lettres et des Sciences Humaines, Centre d’Études Francophones,

                            2004-2005; p. 379 [Sous la direction de Papa Samba Diop et Lezou D. Gérard]

     


    [1] Charles MAURON, Des métaphores obsédantes au mythe personnel, introduction à la psychocritique, José Corti, Paris 1963, p.3

    [2] Arnaud BERNADET, Pour une « rhétorique profonde », Université de Franche-Conte Centre « Jacques Petit », 2004

    [3] Léandre SAHIRI, À propos de « Deuxième épitre à Laurent Gbagbo » de Tiburce Koffi : les mots utilisés par Tiburce Koffi sont à la limite de l’injure proférée à l’égard de M. Laurent Gbagbo

    [4] Idem

    [5] Charles MAURON, Des métaphores obsédantes aux mythes personnels, Paris, Librairie José Corti, 1963

    [6] Charles MAURON, Des métaphores obsédantes aux mythes personnels, op. cit. , p.9

    [7] Charles MAURON, Des métaphores obsédantes aux mythes personnels, op. cit. , p.10

    [8] Idem, p.25

    [9] Charles MAURON, Psychocritique du genre comique, José Corti, Paris, 1964, p.141

    [10] Idem, p.141

    [11] Charles MAURON, Des métaphores obsédantes aux mythes personnels, op.cit., p.80

    [12] Charles MAURON, Des métaphores obsédantes aux mythes personnels, op. cit, p.25

    [13].Charles MAURON, Psychocritique du genre du comique, José Corti, Paris, 1964, p.142. Il résume les différentes opérations qui composent la méthode de la psychocritique.

    [14] Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : ‘’ Que m’accompagnent Koras et Balafong’’ et ‘’Chaka’’, Mémoire de Master 2, p.78

    [15] Charles Mauron, Des métaphores obsédantes au Mythes personnel, op. cit, pp. 211-212


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