• LA POÉSIE FRANCOPHONE : ESSAI DE DÉFINITION Adou BOUATENIN Doctorant Option : Poésie francophone Université Félix Houphouët Boigny La poésie francophone fait partie d’un ensemble de littérature(s) qu’on appelle littérature (s) francophone(s), qui sont un objet problématique . Pourquoi la littérature francophone est-elle un objet problématique ? Avant d’y répondre, rappelons de façon succincte la genèse de cette littérature sans oublier de dire ce qu’elle implique ou signifie au juste. La littérature francophone a manifesté son existence et sa vitalité en même temps que s’affirmait la Francophonie dans les années 1960. C’est le moment où l’on a pris conscience du fait que la langue française n’était plus la propriété exclusive des seuls Français et qu’elle pouvait dire les valeurs et les rêves des peuples les plus divers. En réalité, l’on a commencé à s’intéresser à cette littérature à partir de 1558 sous l’initiative de Raymond Queneau . En effet, c’est à son initiative que le troisième volume de l’Histoire des littératures publiée en 1958 s’intéresse aux Littératures françaises, connexes et marginales, avec la contribution d’Auguste Viatte, sur « Littérature d’expression française dans la France d’Outre-mer et à l’étranger ». Cependant, Claire Riffard estime que le terme francophonie littéraire est apparu en 1973 dans l’ouvrage de Gérard Tougas, Les écrivains d’expression française et la France, et depuis lors il est réutilisé avec succès que l’on sait, notamment par Michel Beniamino avec son essai de 1999, La Francophonie littéraire. Essai pour une théorie . Selon Michel Beniamino, la littérature francophone existait bien avant les décolonisations, car le premier roman francophone en Afrique est de Félix Couchoro en 1920 ; pour Haïti, il date de 1904 ; pour la Belgique, dès les débuts des années 20 ; pour ce qui est de la littérature antillaise, elle est étudiée dès 1913 . Cela sous-entend que la littérature francophone est définie comme « faite hors de la France, le plus souvent par des auteurs originaires d’anciennes colonies françaises » . En réalité, la littérature francophone a commencé d’exister à partir de 1935, c’est-à-dire l’on a pris effectivement conscience de l’existence d’une littérature francophone avec la naissance du mouvement de la Négritude. Paul Drezet nous apporte plus de précision en disant que La littérature francophone, qui avait, dès 1926, pris conscience de sa vitalité et de sa richesse en créant l’Association des écrivains de langue française, s’écrit sur tous les continents : elle est riche et multiple […]. Cette littérature francophone s’est développée sur le continent africain et la langue française s’y enrichit d’un phrasé, d’un rythme et de sources d’inspiration typiquement africaines, traduisant par là une revendication culturelle : cela avait débuté, notamment, avec une revue prémonitoire, « Présence Africaine », créée en 1947 par M. DIOP. À l’origine donc de la littérature francophone étaient des écrivains non Français qui utilisaient la langue française pour écrire. La dénomination « Littérature francophone » désigne l’ensemble des créations littéraires en français, autres que celles de la région hexagonale, et réunit les manifestations littéraires du Québec, de l’Afrique, et de l’Europe-belge francophone, Luxembourgeoise ou romande. Ces propos seront renforcés par Charles Bonn et Xavier Garnier en ces termes : Si nous partons d’une définition en extension de cette littérature nous rencontrerons deux critères. Un critère linguistique (usage de la langue française) et un critère territorial (auteurs non français) […]. La définition la plus courante de la littérature spécifie en effet « littérature de langue française écrite par des écrivains non français » . On peut aussi comprendre par littérature francophone l’ensemble des œuvres écrites en français, dans ce cas, elle s’écrirait au singulier. Au pluriel, elle renverrait aux œuvres écrites en français par des auteurs non Français. Il y a dans tous les cas, en fait, une hésitation pour désigner la littérature francophone regroupant toutes les œuvres en français sans exception. Hésitation compréhensible devant l’objet dont les contours ne sont pas encore nettement définis, à supposer qu’ils puissent l’être un jour. Hésitation qui nous mène en tout cas à commencer par nous interroger sur les limites d’une définition de l’objet : littérature, ou littératures francophone(s). Il y a également hésitation à nommer cette littérature. On l’a d’abord nommée littérature régionale, littérature périphérique, littérature d’Outre-mer, littérature d’expression française, littérature de langue française, puis littérature francophone pour aboutir finalement à d’autres nominations. Le discours critique sur la francophonie littéraire éprouve quelque embarras à définir son objet. Tout comme le cadre académique de l’université à le nommer, puisqu’on change régulièrement d’appellation : « littérature d’expression française », « littératures francophones », actuellement « littératures du sud, émergentes, nouveaux espaces littéraires . Mieux, La marginalisation de la francophonie littéraire s’accroît encore du fait de son indéfinition même. L’univers des littératures francophones, on l’a dit, est assurément disparate. Dans son acceptation originelle, il comprend les littératures d’expression française sur des territoires où la langue française a été importée par la colonisation, auquel on intègre avec mille précautions les écrivains des départements d’Outre-Mer. Le problème ne réside pas seulement au niveau de la définition ou de l’appellation, mais également au niveau de la théorie, de la politique et du centre-périphérie. C’est parce que la Francophonie manque d’une théorie, d’une véritable théorie, que les débats sont récurrents, qui, sans doute, sont liés aux origines politiques de la Francophonie d’après les indépendances des ex-colonies françaises. Et cela incombe Léopold Sédar Senghor qui avait promis de consacrer un essai théorique à la Francophonie face à la Négritude. Pourquoi Francophonie ? C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai donné ma démission de Président de la république. Je veux écrire deux livres avant mourir et je veux m’occuper en particulier de la Civilisation de l’Universel en commençant par la Francophonie. Le manque de théorie, selon nous, ne devrait en aucun cas être sujet à caution dans l’appréhension de la littérature francophone si elle est en corrélation avec le concept de Francophonie, qui englobe tous les parlants français du monde. Cependant, va s’immiscer la politique, car « […] l’enjeu de ce débat est tout autant, sinon plus, politique que culturel » . Ce débat politique autour de la littérature francophone a pour corollaire l’identité nationale de la France. La France qui veut préserver sa langue et son identité nationale, et sa littérature authentiques, perpétue l’approche coloniale reclusienne de la Francophonie et s’exclut de la communauté dont parlait Onésime Reclus avec son concept de Francophonie. Pour elle, « la francophonie littéraire représente un ensemble flou à l’intérieur de la République mondiale des Lettres » qui n’est que la France. Ce qui signifie que pour les Français, la littérature francophone est une littérature mineure, et elle est la littérature des autres qui utilisent leur langue pour écrire. Cette présomption de la France implique alors le problème de centre et de périphérie. La France et sa capitale Paris seront le centre (littérature française, dite littérature majeure) et les autres pays qui utilisent le français en seront les périphéries (littérature francophone, dite littérature mineure). Face à cette attitude, des écrivains de nationalités diverses vont s’inviter dans le débat pour dire que la littérature française est avant tout une littérature francophone, comme l’a envisagé Senghor avec sa conception de la Francophonie en intégrant la France. Lorsqu’on parle de littérature francophone, il nous vient naturellement à l’esprit l’idée d’une littérature faite hors de la France le plus souvent par des auteurs originaires d’anciennes colonies françaises […] La littérature francophone est un grand ensemble dont les tentacules enlacent plusieurs continents. […] La littérature française est une littérature nationale. C’est à elle d’entrer dans ce grand ensemble francophone. Ce n’est qu’à ce prix que nous bâtirons une tour de contrôle afin de mieux préserver notre langue, lui redonner son prestige et sa place d’antan . C’est la raison pour laquelle François Cyrille dira que le problème réside dans l’emploi de l’épithète « francophone ». L’épithète « francophone » est comme un tissu malmené que l’on déchire, distend, rétrécit. Ce n’est pas une querelle d’érudits pointilleux : les écrivains s’y mêlent régulièrement avec un ton plus assuré et à grand renfort de propos généraux . Pour Christian Vandendorpe, « l’étiquette ‘’ francophone’’ serait acceptable si elle désignait effectivement l’ensemble des littératures d’expression française, comme ce devrait être le cas en théorie » , pour cela « Paris doit modifier son appareil éditorial et critique » et accepter d’entrer dans ce grand ensemble francophone, dont parle Alain Mabanckou, et qui est la littérature francophone. Même si, on réservait les vocables « francophonie » et de « francophone » à la sphère diplomatique et géopolitique en prenant l’habitude de dire « écrivains de langue française », en évitant de fouiller leurs papiers, leurs bagages, leurs prénoms ou leur peau, comme le recommande Amin Maalouf , il y aura toujours cette distinction entre écrivain de langue française et écrivain français. D’ailleurs, nous avons encore une périphrase avec « écrivains de langue française ». Pour éviter toute confusion et abolir les frontières entre la littérature française et les autres littératures d’expression française, des écrivains rassemblés autour de Michel Le Bris et Jean Rouaud pour annoncer la mort de la littérature francophone pour la littérature-monde en français. À y voir de près, la littérature-monde n’est qu’une périphrase de la littérature francophone car « cette dernière a elle-aussi pour dénominateur commun, pour élément de cohésion, le français. » C’est un fait bien connu, la littérature francophone est difficile à définir et à délimiter. Cependant, il n’en demeure pas moins que la langue française est en soi un facteur commun et un élément essentiel dans la définition de la littérature francophone : Protection et affirmation d’une culture de langue française forte et rayonnante. La particularité de ce français, c’est qu’il est évidé de ses connotations hexagonales et chargé de connotations nouvelles et propres au milieu d’implantation, nous disent Charles Bonn et Xavier Garnier . Les fondements idéologiques et les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir divergent fondamentalement, comme l’affirme également Véronique Porra . Aujourd’hui, nous pouvons dire que les contours de la littérature francophone sont les véritables problèmes que l’on rencontre dans l’appréhension de cette littérature. Elle n’a pas de contours. Elle ne peut pas être délimitée. En effet, elle est une littérature de carrefour où des langues et des cultures se rencontrent en une symbiose harmonieuse entre le français et les autres langues pour les réalités sociopolitiques et le vécu quotidien de l’écrivain et de ses lecteurs. Cette littérature brise les frontières, efface les races, se moque des nationalités des écrivains, amoindrit la distance des continents pour ne plus établir que la fraternité par la langue qui nécessite pour être comprise un lecteur capable de s’ouvrir sur la culture de l’autre et de se voir lui-même avec les yeux de l’autre. Elle est l’expression de la Civilisation de l’Universel qui prend en compte la tradition littéraire française qui viendra enrichir les autres traditions littéraires, et vice-versa. Elle prend également en compte les nouveaux changements perpétuels de la vie des langues et des humains, de la vie des valeurs et des patrimoines où la place de la culture et le devenir de l’homme demeurent la seule préoccupation des écrivains. Comme tous les outils, un concept doit être manié à bon escient, sinon il endommage plus qu’il ne répare, et peut se révéler dangereux . Pour cette raison, puisque la Francophonie d’aujourd’hui n’est plus celle d’Onésime Reclus, ni de l’époque coloniale, ni celle de la revue Esprit, ni celle des fondateurs de la Francophonie moderne, nous devons nous accorder pour cheminer ensemble vers le même but celui de la culture de la langue française jalonnée d’histoires rayonnantes pour les uns, douloureuses pour les autres. C’est à nous universitaires, c’est à nous critiques, c’est à nous hommes de lettres de dire ce que c’est effectivement la littérature francophone. Nous croyons, pour mieux cerner la littérature francophone, qu’il serait intéressant et souhaitable d’étudier séparément les composants de cette littérature, c’est-à-dire les différents genres littéraires qui la constituent : la poésie, le roman et le théâtre francophones . Chaque genre littéraire a ses propres particularités, ses propres spécifiques et caractéristiques. Notre étude s’inscrit dans cette logique. Nous voudrons appréhender la poésie francophone à partir de Léopold Sédar Senghor. Notre étude se veut donc une tentative définitionnelle de la poésie francophone. Mieux nous essayerons de saisir la conception senghorienne de cette poésie dont il se réclame être un précurseur. Nous savons que la poésie s’est constamment renouvelée au cours des siècles avec des orientations différentes selon les époques, les civilisations et les individus. Les sempiternelles réponses rattachent la poésie à la rime, à la versification, voire au rythme. Ce qui semble obsolète de nos jours, puisque d’autres éléments rentrent en compte dans la définition de la poésie. Nous avons également qu’elle se définit pas seulement par des thèmes, mais aussi par le soin majeur apporté au signifiant pour qu’il démultiplie le signifié. Autrement dit, la poésie dit les sentiments, les choses de tous les jours avec des mots imagés, eux-mêmes déroutés de leurs sens. Ce qui signifie que la poésie réinvente la langue quotidienne. Elle est dans ce sens un artisanat du langage, dont la réalisation nécessite des techniques précises, concrètes, descriptibles et une maîtrise parfaite des ressources langagières. Au fait ce n’est pas le langage qui fait la poésie, c’est plutôt la poésie qui fait le langage, la langue. Nous savons aussi que définir la poésie n’est pas une entreprise aisée. Chaque auteur, chaque poète a sa propre conception de la poésie . Pour définir donc la poésie, il faut partir du regard d’un poète-cible, car la poésie est régie par les valeurs esthétiques d’une personne, d’une tradition poétique et d’une culture . Notre poète-cible est Léopold Sédar Senghor. La poésie, pour lui, est une relation du sujet à l’objet. Qu’est-ce que la poésie ? C’est un sujet de dissertation que j’avais donné autrefois à mes élèves du lycée. La plupart y répondaient par une définition subjective, qui ne pouvait s’appliquer qu’au lyrisme. La poésie, répondaient-ils en substance, est l’expression d’un sentiment personnel. Je rétorquais que la définition n’était pas complète, que la poésie était sujet et objet à la fois, objet plus que sujet, qu’elle était la relation du sujet à l’objet . Cette conception de la poésie est-elle applicable à la poésie francophone ? Qu’est-ce que la poésie francophone ? Qu’en sont ses contours et ses caractéristiques ? Comment Senghor appréhende-t-il cette poésie ? S’interroger sur la poésie francophone, c’est chercher à savoir ce qu’elle signifie et implique, à comprendre son fonctionnement et à déceler ses caractéristiques. D’où pour nous de réunir les éléments d’une définition possible de la poésie francophone. Après avoir réuni les éléments définitionnels de cette poésie, nous passerons en revue ses composantes sans occulter ses origines pour aboutir enfin à la caractérisation (les contours et les caractéristiques) de la poésie francophone. Tel sera notre démarche pour comprendre et appréhender la/les spécificité(s) de la poésie francophone.

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  • MINISTÈRE DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
    UNIVERSITÉ FÉLIX HOUPHOUËT BOIGNY
    U.F.R LANGUES, LITTÉRATURES ET CIVILISATIONS
    Département de Lettres Modernes
    Mémoire de Master 2
    Parcours : Langues et Civilisations Africaines
    Option : Poésie, Poétique et Psychocritique
    Présenté par :
    BOUATENIN
    Adou Valery Didier Placide
    Copyright
    Bouatenin, 2014-2015
    Mémoire de Master 2
    Option : Poésie, Poétique et Psychocritique
    Aux membres de ma famille,
    À tous ceux qui sont pour le dialogue des cultures
    À mes amitiés et amours
    « Entrer dans une œuvre, c’est changer d’univers, c’est ouvrir un horizon. L’œuvre véritable se donne à la fois comme une révélation d’un seuil infranchissable et comme pont jeté sur ce seuil interdit. Un monde clos se construit devant moi, mais une porte s’ouvre, qui fait partie de la construction. L’œuvre est tout ensemble une fermeture et un accès, un secret et la clé de son secret. Qu’elle soit récente ou classique, l’œuvre impose l’avènement d’un ordre en rupture avec l’état existant, l’affirmation d’un règne qui obéit à ses lois et à sa logique propre : en présence de l’œuvre, je cesse de sentir et de vivre comme on sent et on vit habituellement. J’assiste à une destruction préludant à une création […] La contemplation de l’œuvre implique une mise en question de notre mode d’existence et un déplacement de toutes nos perspectives [...] : passage de l’insignifiant à la cohérence des significations, de l’informe à la forme, du vide au plein, de l’absence à la présence.» 
    « Africains, mes frères, vous semblez n’avoir plus rien à dire,
    Depuis que se sont tus les chantres de la Négritude. Qu’on se détourne donc un peu de ces cris onomatopéiques ! La négritude n’a eu qu’un seul tord : n’avoir pas assez creusé le thème pour rencontrer des cultures vivantes. » 
    « Si nous avons pris l’initiative de la Francophonie, ce n’est pas pour des motifs économiques ou financiers. Si nous étions à acheter, il y aurait, sans doute plus d’un plus offrant que la France. Et si nous avons besoin d’assistants techniques francophones de haute qualification, c’est qu’avant tout, pour nous, la Francophonie est culture ».
     
    REMERCIEMENTS
    Nous tenons à exprimer notre profonde gratitude à tous ceux qui ont contribué directement ou non à la réalisation de ce travail.
    Nos remerciements vont à l’endroit de Docteur ADAMOU Kouakou Dongo David pour son soutien, sa rigueur, sa disponibilité.
    Nous tenons à témoigner également notre gratitude au Professeur N’GUETTIA Martin Kouadio, qui sans arrière-pensée, a accepté d’être notre directeur d’étude bien que chargé et ayant sous sa coupole plusieurs étudiants.
    Et sans oublier le Professeur BOHUI Djédjé Hilaire.
    Merci aux membres du jury pour l’attention et le temps accordés à notre travail.
    Nous disons un merci sincère aux personnels de DFI (Deustch-Französisches Institut) et Frankreich-Bibliothek à Ludwigsburg en Allemagne pour les livres et les documents mis à notre disposition, sans oublier les membres du projet WERTEWELTEN de l’Université EBARHARD KARLS de Tübingen (Allemagne).
    Merci aux personnes qui nous ont orienté dans l’analyse de notre sujet à travers échange et discussion intellectuels.
    Notre infinie gratitude aux parents et amis pour le soutien tant moral que financier, et surtout pour la correction apportée à notre travail,
    À toutes ces personnes sus-mentionées je dis :
    “Mi da wasi mo, mo, mo
    Adiε bε tshin wa
    Mi da wasi
    Mi da wasi asan” 
    AVANT-PROPOS
    Le premier contact avec la poésie de Senghor fut au lycée, son œuvre poétique Chants d’ombre était au programme. Les questions à l’ordre du jour étaient celle de la Négritude du retour aux sources, du royaume d’enfance avec les poèmes tels que "Joal", "Femme noire", "Prière aux masques". Senghor, hormis son œuvre, nous savons qu’il avait été président de la république du Sénégal. Arrivé à l’université, notre deuxième année fut le deuxième contact avec l’œuvre poétique senghorienne. Ce deuxième contact nous donna une lecture différente de ce que nous avons eu lorsque nous étions encore lycéen. Notre amour pour la littérature en général, et pour la poésie en particulier, était porté sur les poètes français tels que Victor Hugo, Verlaine, Arthur Rimbaud, Pierre de Ronsard, Jean de la Fontaine que notre mère nous fit découvrir aux cours primaires. La curiosité nous fit découvrir Senghor, sa poésie, sa Négritude, la Francophonie. Durant notre séjour en Allemagne, précisément à Ludwigsburg, nous avons échangé avec Monsieur Gueye, de nationalité sénégalaise, travaillant aux services de l’intégration à la mairie de ladite ville, à propos de Senghor et de sa Négritude. En tant que Sénégalais, il défendait bien sûr son compatriote. Cependant, ses arguments nous poussèrent à revoir nos prises de notes durant notre recherche pour appréhender Senghor. Pour nous, Senghor revêtait le manteau de la Francophonie pour exprimer sa Francophobie. Avec cette idée conçue et nourrie, nous avons entamé à nouveau des recherches pour la justifier. Ce fut ainsi que les livres et les écrits traitant de sa personnalité, de sa Négritude, de la Francophonie consultés à la bibliothèque de l’institut Franco-allemand ("Deustch-Französisches Institut" et Frankreich-Bibliothek) nous ont révélé un homme stable dans ses pensées et dans ses actions, un homme qui cherchait à concilier Négritude et Francophonie. De retour en Côte d’Ivoire, nous avons formulé un sujet pour une inscription en année de recherche. Nous voulions alors montrer que Senghor exprimait une sorte de francophobie car, pour nous, Négritude et Francophonie sont deux concepts inconciliables de par leurs définitions et leurs modes d’action.
    Nous nous sommes donc présenté au bureau du Docteur ADAMOU au CNRTO (Centre National de Recherche en Tradition Orale) pour lui soumettre notre thème de recherche. Il estima le thème polémique, vu que Senghor est connu pour être un amoureux de la langue française, voire un défenseur acharné de cette langue qui lui a valu d’être élu à l’Académie française. Nous avons à nouveau repris les recherches, revu notre lecture de ses œuvres et des écrits sur lui. À l’issue de tout cela, nous avons découvert l’homme aux multiples facettes. Nous avons observé à cet effet que l’une des facettes fondamentales, la moins étudiée sans doute jusqu’ici, mais la moins pertinente, était la Francophonie. D’où  notre sujet de mémoire : « La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : "Que m’accompagnent Koras et Balafong" (Chants d’ombre) et "Chaka" (Éthiopiques)».
    SOMMAIRE
    Introduction pp.8-15
    PARTIE I : La poétique de la Francophonie pp.16-40
    Chapitre I-Analyse de concepts pp.19-32
    Chapitre II-Existe-t-il une poétique de la Francophonie ? pp.33-40
    PARTIE II : Négritude et Francophonie : Deux concepts chers à Senghor pp 41-72
    Chapitre I-Senghor entre Négritude et Francophonie pp.46-62
    Chapitre II-Senghor, de la Négritude à la Francophonie pp.63-72
    PARTIE III : Francophonie, l’accomplissement de la Négritude pp.73-105
    Chapitre I- La réhabilitation du continent africain pp.81-92
    Chapitre II-Défense et Illustration de la culture francophone pp.93-105
    Conclusion pp.106-108
    Bibliographie pp.109-118
    Table des matières pp.119-120
    INTRODUCTION
    La poétique  est un mot de diverses significations. Elle est tantôt appréhendée comme une théorie interne de la littérature (genre littéraire), tantôt comme une théorie d’interprétation du fait littéraire. En effet, la poétique se veut donc trouver les règles générales de la littérature ou d’un certain canon de littérature. Combinaison de sonorité, du rythme, de tonalité ; création avec les mots, esthétique d’un texte…, la poétique varie d’un auteur à un autre. Henri Meschonnic dit de la poétique qu’elle est « essentiellement liée à la pratique de l’écriture. De même que cette pratique est conscience de langue ; la poétique est la conscience de cette conscience. »  Michel Jarrety la définit comme celle qui «  définit les lois de fonctionnement de la littérature, analyse et fixe également les règles auxquelles les écrivains doivent se tenir. »  Le mot poétique, d’un spécialiste à un autre, d’Aristote à Henri Meschonnic, en passant par Boileau et Roman Jakobson ainsi que bien d’autres, varie de significations et d’appréhensions. Cependant, nous retenons de ces auteurs que la poétique se donne la tâche de chercher les éléments de la littérature et les règles selon lesquelles ces éléments sont assemblés ; elle essaie d’écrire une grammaire, de traiter tout le domaine du discours créatif, parole et écriture. On dit d’un texte qu’il est poétique lorsqu’il, par sa lecture ou par son étude, suscite une émotion esthétique sur la sensibilité et l’émotivité du lecteur en tenant compte de l’architecture rythmique  du texte et du degré d’émotivité et de sensibilité. Donc pour appréhender la poétique d’un texte, ce n’est pas seulement la prosodie, l’étude des rythmes, la versification, la métrique ; ce n’est pas aussi l’expliquer littéralement ou rhétoriquement, mais de voir d’autres méthodes ou théories car la poésie est un champ de possibilités interprétatives, et nous risquerions de ne pas saisir la signification du texte. Car « la production poétique ne correspond pas forcément aux idées qu’on a sur elle. »  Pour mieux saisir la poétique, il faut voir du côté du lyrisme, des émotions, du « faire » et des actes de l’écriture, comme l’affirme Hermann Broch . Nous trouvons cette particularité dans la poésie africaine : le lyrisme des mots; et surtout dans la poésie senghorienne où le lyrisme signifie « poésie qui exprime des émotions, des sentiments intimes au moyen de rythmes, d’images propres à les transmettre au lecteur.» ou « la monotonie du ton [est] le sceau de la Négritude, l’incarnation qui fait accéder à la vérité des choses essentielles.»  Mieux « l’œuvre et la pensée de Léopold Sédar Senghor semblent marquées par le sceau de la Francophonie et de la Négritude, comme deux facettes d’une réalité dialectique qui serait constamment alimentée de l’intérieur par la complémentarité et la dualité. Tout en prônant son attachement aux valeurs culturelles négro-africaines, le poète-académicien ne cache pas son amour pour la langue française » .
    D’où l’essence de notre sujet de mémoire : « La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : "Que m’accompagnent Koras et Balafong" (Chants d’ombre) et "Chaka" (Éthiopiques)». En effet, « la poésie, exploration du monde et de la vie, est comme la science, au cœur de la connaissance, [et] la connaissance est l’aboutissement provisoire d’un processus, celui de l’appropriation d’un objet, d’un fait, d’un phénomène, d’une manière de comprendre. Elle est médiatisée par un savoir antérieur qui s’incarne dans différents discours. Par eux transite l’intentionnalité de l’énonciateur, sa tentative de produire, de manipuler, d’organiser, de recevoir et de manifester un savoir» , c’est-à dire l’on façonne le monde ou la vie par la poésie comme la science cherche à comprendre le monde ou la vie avec les éléments propres au monde ou à la vie pour donner un sens à notre existence. Faire la poésie, c’est donc s’approprier des éléments de la langue ainsi que ses mécanismes pour produire le savoir, pour représenter et reproduire des sens , et Senghor, de par sa poésie, s’approprie la langue française pour véhiculer sa vision culturelle, et surtout pour peindre deux concepts qui lui sont chers, à savoir la Négritude et la Francophonie. Si l’on admet que la poétique concerne l’écriture, l’agencement des mots, et ce que cela signifie et produit sur la sensibilité et l’émotivité du lecteur, alors , par la poétique de la Francophonie nous entendons la manière dont Senghor agence les mots pour dire la Francophonie dans son œuvre poétique immergée dans « le verset des fleuves, des vents et des forêts/ L’assonance des plaines et des rivières, […] le rythme »  de la Négritude.
    Pourquoi Senghor et non pas un autre poète africain ou un poète quelconque ? Senghor, certes, a été beaucoup critiqué et étudié. Cependant, si aujourd’hui il continue à être au centre des recherches, c’est parce qu’il reste dans son œuvre des zones non encore explorées ou insuffisamment analysées par les critiques littéraires. Ses poèmes, sa Négritude, sa vision du monde, sa Francophonie font de lui un homme à multiples facettes. Grammairien, poète, politique, négritudien, francophoniste, il avait assez de cordes à sa « Kora », comme Orphée , pour « charmer » les critiques qui continuent de faire couler encore l’encre de leur plume. Tous veulent s’approprier l’héritage littéraire, à la fois compact et complexe, laissé par Senghor. Un moment de sa vie, il lui a fallu affirmer son être : « […] il fallait d’abord nous débarrasser de nos vêtements d’emprunt, ceux de l’assimilation, et affirmer notre être, c’est-à-dire notre négritude. »  Et quelle que soit sa prise de position, Senghor est resté dans la même logique de sa pensée : la symbiose des cultures. « Il est extrêmement difficile de se prononcer sur le cheminement du Président Senghor lorsqu’on le définit sur la Négritude et la Francophonie. […] Aussi curieux que cela paraisse, Senghor ne sembla jamais avoir ressenti la Négritude et la Francophonie en termes de déchirement, ni même d’opposition », se justifie Lilyan Kesteloot . Senghor s’est fait le poète de la Négritude et le chantre de la Francophonie. Nous voyons deux faces du poète : Négritudien et Francophoniste. Deux termes divergents, chantés et conciliants. C’est donc cette ambiguïté chez le poète qui nous a amené à formuler le sujet de notre mémoire. La Francophonie est d’actualité, et un nombre important d’articles et d’écrits a été édité sur elle. Le mot « Francophonie » est apparu « en 1880 sous la plume d’Onésime Reclus […] pour désigner la communauté linguistique et culturelle que la France constitue avec ses colonies »  et « s’est enrichi au fil du temps de significations nouvelles »  avec Senghor.  « Il nous a dès lors paru que ses pensées étaient toujours d’actualité et que ses écrits méritaient d’être lus à nouveau »  pour mieux appréhender la redéfinition de la Francophonie afin de l’intégrer dans un monde où l’identité culturelle universelle est encore incomprise. Parler de la Francophonie dans l’œuvre de Senghor, c’est aussi parler de la Négritude et de la symbiose culturelle. Parler donc de la Négritude revient à appréhender l’histoire et l’expérience de vie que renferment les poèmes des négritudiens, surtout de Senghor, car « les poèmes sont un langage d’expérience. Une forme de vie qui transforme une forme de langue, une forme de langue qui transforme une forme de vie. Le poème est ininterrompu »  ou une « œuvre ouverte.»  Et aussi, du fait que les traits de la Négritude ont été mieux affirmés en poésie que dans les autres genres littéraires. Et parce que « l’œuvre poétique de Senghor renferme presque toutes les normes d’appréciation qui caractérisent l’originalité de la Négritude» , parce qu’aussi, « ce qui fait la négritude d’un poème, c’est moins le thème que le style, la chaleur émotionnelle qui donne vie aux mots, qui transmue la parole en verbe. »  C’est ainsi que nous avons opté pour la poésie, la poétique et la psychocritique en général, et en particulier les littératures et civilisations africaines comme domaine de recherche pour mieux exploiter notre sujet dont l’auteur de l’œuvre support est un Africain.
    Il ne s’agira pas pour nous d’étudier l’emploi du terme « Francophonie » dans l’œuvre de Senghor mais de montrer comment ce mot en tant que concept est mis en évidence dans ses œuvres pour manifester l’ouverture des cultures, surtout la symbiose culturelle. Mieux, nous voulons montrer que les œuvres ou les textes poétiques de Senghor sont un manifeste de la Francophonie. C’est dire que les poèmes de Senghor sont l’empreinte indélébile de la Francophonie. Au lieu de saisir la poétique de la Francophonie dans les cinq tomes de Liberté ou dans les essais et articles écrits par Senghor de son vivant ou par d’autres critiques, il serait bon de l’appréhender dans ses œuvres poétiques. C’est aussi montrer que la Francophonie défendue par Senghor est le nouveau visage de la Négritude Senghorienne perceptible dans ses poèmes. Ce nouveau visage se résume dans son concept la symbiose culturelle. 
    De ce travail, nous nous sommes donné l’objectif d’étudier « l’interculturalité » dans la poésie afin d’appréhender le caractère humaniste que renferme le concept de la Francophonie. Notre objectif principal est de montrer que les textes poétiques de Senghor ne sont pas seulement l'expression de la Négritude mais qu'ils sont aussi l'expression de la Francophonie, et que la poésie senghorienne est le fondement même de ce concept. Le problème central de notre étude est celui de l’identité culturelle chez Senghor, l’un des pères fondateurs de la Négritude et de la Francophonie, sachant bien que « le problème central de la francophonie n’est donc pas seulement celui de l’identité, ainsi que le répètent inlassablement écrivains et commentateurs, mais de l’unité d’un sujet divisé. »  Il se définit tantôt comme négritudien en se faisant théoricien de la Négritude, tantôt comme francophoniste (spécialiste de la francophonie). « Léopold Senghor qui fut et reste le seul théoricien de cette Négritude-idéologie… la défend avec beaucoup de subtilité et d’énergie, ne cessant de modifier, d’ajuster en fonction des critiques qui lui sont faites »  pour finalement réaliser une harmonieuse symbiose des contraires, concept défendu « à travers la Francophonie » . De ce fait, nous pouvons affirmer que la question de l’identité culturelle a été le leitmotiv de la poésie senghorienne. Aborder la Francophonie dans les poèmes de Senghor, c’est toucher le problème de l’identité culturelle. C’est la raison pour laquelle nous porterons ici les interrogations qui découlent du problème de notre sujet. La double posture négritudienne et francophoniste de Senghor n’infère-t-elle pas une astuce pour le poète d’élucider une réalité baptisée « symbiose culturelle » ? Il se pose la question de savoir si la Francophonie n’est pas chez Senghor la forme achevée de la Négritude. La difficulté est de savoir comment le poète a pu concilier des concepts en principe irréductibles. Comment les œuvres poétiques du poète mettent-elles en évidence la poétique de la Francophonie ? Mieux, comment se fait la découverte de la diversité des composantes culturelles dans les poèmes de Senghor ? Comment Senghor se définit-il en tant que poète francophone dans ses poèmes ? Le nerf des questions est de savoir comment l’écriture de la Francophonie se manifeste dans les poèmes de Senghor. Mieux comment les poèmes de Senghor expriment-ils le concept  « Francophonie » ?
    Pour répondre aux différents problèmes spécifiques de notre sujet, nous nous sommes proposé d’analyser le discours du poète et « la psychologie individuelle de l’auteur » , à travers la théorie de l’énonciation et la psychocritique. En effet, la théorie de l’énonciation permettra de saisir le sujet-parlant dans son propre discours, car « la problématique de l’énonciation "c’est la recherche des procédés linguistiques par lesquels le locuteur imprime sa marque à l’énoncé, s’inscrit dans le message et se situe par rapport à lui" » . Car nous sommes convaincu que c’est à travers le langage que nous pourrions saisir la subjectivité . Quant à la psychocritique, elle recherche, isole et étudie l’expression de la personnalité inconsciente de l’auteur dans le texte. Elle permettra donc de dégager le mythe personnel de l’auteur dans ses écrits. Elle tâchera aussi de mettre en exergue l’identité culturelle du poète et celle de l’homme partagé entre les cultures européennes et africaines en éprouvant la nostalgie du royaume de l’enfance . Par cette méthode, nous émettons l’hypothèse qu’à partir de notre sujet, l’on pourrait ressortir le phantasme inconscient de Senghor ayant, peut-être, présidé à la poétisation de la Francophonie. Saisir donc le sujet-parlant et dégager le mythe personnel revient à appréhender la personnalité de l’auteur. C’est dire qu’il existe une complémentarité entre la théorie de l’énonciation et la psychocritique. En effet, il faut un relevé de mots d’abord, une analyse ensuite de ces termes et une interprétation enfin ; telle est la démarche des deux théories mises en évidence dans notre étude. Cependant à propos de la psychocritique, la phase de l’interprétation fait appel à la biographie de l’auteur, en guise de vérification. Cette complémentarité réside dans le fait que dans tout énoncé, le sujet-parlant ou le sujet-écrivant qui assume la communication laisse dans ses énoncés des marques susceptibles de montrer sa subjectivité et sa personnalité, de façon volontaire ou involontaire. 
    Pour notre étude, nous avons choisi deux poèmes. Ce sont « Que m’accompagnent Koras et Balafong »  et  « Chaka » . Le premier est extrait de Chants d’ombre (1945) et est subdivisé en neuf parties numérotées en chiffre romain. Dans ce poème, il est question pour le poète d’opérer un choix entre l’Afrique et l’Europe. Le choix du poète est difficile, car il est vraiment baigné dans la culture occidentale, mais, s’il devrait choisir, il choisira donc l’Afrique. « Que m’accompagnent Koras et Balafong » est l’expression de la Négritude ; c’est dans ce poème qu’il employa pour la première fois le lexème « Négritude » . Le deuxième poème est extrait de Éthiopiques (1956). Il est constitué de deux chants. Le premier chant présente Chaka mourant, plongé dans un remords et dans une sorte de culpabilité, conversant avec une voix blanche. Le second chant est une sorte de tirade rythmée par le chœur et le coryphée. Dans ce poème, le poète, en se substituant à Chaka, donne plus de force à sa Négritude. De Chants d’ombre à Éthiopiques, onze années se sont écoulées, la Négritude du royaume de l’enfance laisse place à la Négritude de l’agneau immolé pour le peuple africain ; d’où « […] du tam-tam surgisse le soleil du monde nouveau » qui rayonnera « sur tous les peuples de la terre ». Les deux poèmes présentent une Négritude du royaume de l’enfance qui se mue en porte-parole de toutes les cultures, et montrent « un homme entièrement enraciné dans ses valeurs traditionnelles et ouvert au dialogue et aux autres cultures » . Nous voulons montrer à travers ces deux poèmes qu’il existe une poétique de la Francophonie, cela sous-entend que la signification, le sens de la Francophonie se trouverait dans les œuvres poétiques de Senghor, en l’occurrence Chants d’ombre et Éthiopiques. Nous voulons alors qu’à partir des œuvres poétiques de Senghor l’on appréhende réellement la signification première de la Francophonie, le sens de la civilisation universelle, de la symbiose culturelle, de l’identité culturelle universelle (francophone). L’identité culturelle francophone a toujours été le leitmotiv de Senghor, et ses poèmes ne sont que le support adéquat et manifeste pour matérialiser son concept aussi cher. Nous voulons aussi démontrer que Senghor adopte une écriture dite « écriture francophone », c’est-à-dire une écriture métissée (négrifiée), dans ses poèmes. Ce qui reviendrait à redéfinir la conception de la Francophonie et la définition que l’on donne aux auteurs francophones. Désormais, la Francophonie sera la symbiose parfaite des cultures ou le métissage parfait des différents aspects culturels des aires géographiques ayant le français en partage. L’on reconnaîtra à partir de la poétique de la Francophonie que tel auteur ou tel autre est un auteur francophone par rapport à tel ou tel auteur. Si l’on conçoit  la Francophonie comme étant l’acceptation des aspects culturels de tous les pays dits francophones, parce qu’ils ont la langue française en partage, nous pouvons donc dire que Senghor est un poète francophone, car sa poésie baigne dans cet apport culturel ; et par ricochet tout auteur, ou écrivain parlant français, et qui fera usage de l’écriture métissée, est aussi un auteur francophone au même titre que Senghor. Tels sont les objectifs que nous voulons atteindre en répondant aux problèmes et à la problématique de notre sujet de mémoire.
    Le premier obstacle rencontré fut le fait que Senghor est assez étudié de par le monde. Il était complexe de formuler un sujet de travail sur Senghor sans plagier tel ou tel critique. Aussi, le fait que les œuvres de Senghor sont des « œuvres ouvertes.» Et lorsque nous avons formulé le sujet, nous sommes confronté à un autre obstacle, celui de la méthode critique pour exploiter le sujet formulé. Nous étions dans l’embarras du choix.  Le dernier obstacle est celui de la complexité du mot Francophonie. En effet, la Francophonie se trouve être un domaine vaste recouvrant plusieurs réalités, et ambigüe (prêtant à confusion interprétative). 
    Nous ne pouvons traiter le sujet sans chercher la signification ou le sens de la Poétique et de la Francophonie. C’est la raison pour laquelle nous étudierons d’abord la poétique de la Francophonie, ce qui nous amène à analyser les concepts de Poétique et de Francophonie. Dans cette partie, nous nous attarderons sur l’écriture de la Francophonie. Il s’agit d’appréhender les concepts ou les notions clés de notre sujet de mémoire. À la suite de cela, nous montrerons que la Négritude et la Francophonie sont deux concepts chers à Senghor ; avant de dire que la Francophonie est l’accomplissement de la Négritude. Il est question dans la deuxième partie de montrer que Senghor ne dissocie point la Négritude de la Francophonie, car les deux concepts veulent dire la même chose et sont chers chez lui. Quant à la troisième partie, elle justifiera le fait que la Francophonie est l’accomplissement de la Négritude. Dans cette troisième partie nous montrerons que la Francophonie est l’expression accomplie de la Négritude, et que Senghor redéfinit l’identité culturelle de l’Afrique. Tel sera le plan adopté pour notre analyse.
    PARTIE I :
    LA POÉTIQUE DE LA FRANCOPHONIE
    Aucun artiste authentique ne se contentera d’offrir des matériaux bruts. Le devoir le plus pressant du Noir, pour l’instant, est de perfectionner sa technique, sa façon de présenter ses vérités et ses beautés, pour les rendre plus pénétrantes, et par là même plus fortes. 
    Avant d’aborder le travail proprement dit, il nous faut appréhender les concepts ou les notions clés de notre sujet de mémoire . Ces concepts ne sont que « la poétique » et « la Francophonie ». Par « analyse de concepts », nous voulons répondre aux questions suivantes :
    - Qu’est-ce que la poétique ?
    - En quoi un texte est-il jugé poétique ?
    - Sur quoi se fonde le caractère poétique d’un texte ?
    - Qu’est-ce que la Francophonie ?
    - De quelle Francophonie s’agit-il ?
    - Existe-t-il une poétique de la Francophonie ?
    Les notions de « poétique » et de « Francophonie » sont suffisamment complexes, mieux elles sont un champ d’interprétations diverses ; nous pouvons dire de ces concepts qu’ils sont ouverts, en empruntant le mot « ouverts » à Éco Umberto , parce qu’ils renvoient à plusieurs significations très ambigües qui tendent à la confusion, et amènent parfois à des prises de position ou à des interprétations à titre personnel ou à des contre arguments. Ce sont ces différentes interprétations, ces différents contre arguments qui rendent encore plus complexes ces concepts dans leur appréhension. C’est surtout la « Poétique » qui, aujourd’hui, demeure encore insaisissable car les auteurs la présentent comme « des règles absolues.»  Quant à la « Francophonie », elle est à la fois concept et institution, et Marc Gontard de nous avertir du piège des non-dits idéologiques de ce terme en ces propos :
    [La Francophonie], c’est un terme problématique dont il faut d’abord souligner les ambiguïtés pour éviter de se trouver pris au piège des non-dits idéologiques […] L’une des ambigüités du terme de Francophonie est donc de donner l’illusion d’une communauté culturelle subsumée par une communauté de langue : « ayant le français en partage… 
    Et le problème lié à l’appréhension de ce terme est celui de la place de la France, qui dit ne pas être de l’espace francophone parce qu’elle ne partage pas sa langue, et que la langue fait la patrie. La Francophonie, selon la majorité des Français, est le français hors de la France.
    C’est à travers notre langue que nous existons dans le monde autrement que comme un pays parmi d’autres. […] si nous reculons dans notre langue, nous serons emportés purement et simplement. […] Messieurs les ministres, Messieurs les secrétaires perpétuels, un lien étroit a toujours existé entre l’État et la langue française. 
    De cet extrait, nous constatons que la France a eu toujours l’idée que sa langue est un trésor à conserver, et c’est elle qui fait le pays et les Français.
    De ce qui précède, nous voyons que nous sommes confrontés à de vastes concepts, vastes concepts pour un sujet de mémoire, et par une erreur de délimitation ou d’orientation nous pouvons faire des amalgames. Pour éviter cette erreur fatale qui nous coûterait cher, nous nous permettrons de donner une définition de ces concepts afin de bien délimiter notre sujet pour éviter toute confusion. Nous ne prétendons pas les rendre clairs mais il s’agit pour nous de répondre aux questions mentionnées plus haut afin de circonscrire notre sujet et voir dans quelle mesure il existe une poétique de la Francophonie.
    CHAPITRE I : ANALYSE DE CONCEPTS
    Dans cette partie, nous allons analyser les termes « Poétique » et « Francophonie », voire les études antérieures concernant la « Poétique » et la « Francophonie ». Nous débuterons donc par la Poétique. En effet, il s’agira pour nous d’appréhender la Poétique d’Aristote en passant par d’autres critiques ou théoriciens contemporains tels qu’Henri Meschonnic, Jean Cohen, Michel Jarrety pour aboutir à la Poétique négro-africaine. C’est de ces différentes conceptions ou approches de la Poétique que nous essayerons de retenir une définition applicable à notre travail. Il ne s’agit pas de confronter les Poétiques mais de voir les différentes conceptions de la Poétique d’un auteur à un autre. C’est par une synthèse conclusive que nous allons dégager ou appréhender une Poétique avec laquelle nous travaillerons. Quant à la Francophonie, nous essayerons de voir l’idée qu’elle revêtait lorsqu’Onésime Reclus l’employa en 1880 avant qu’elle devienne un concept ou une institution. Pour mieux appréhender l’idée ou le concept de la Francophonie, nous nous attarderons sur ce qu’ont dit Xavier Deniau, Marc Gontard, Farandjis Stélio, Eugène Travares, Aïssata Kindo, René Gnalega, et même Senghor, sans oublier les auteurs qui sont hostiles à la Francophonie.
    1. LA POÉTIQUE
    Longtemps liée à la poésie, la poétique s’étend à tous les genres littéraires, et elle est propre à chaque auteur. En effet, la poétique prend naissance avec le livre célèbre d’Aristote qui, pour lui, est l’art de l’imitation. Aristote considère la poésie comme « une imitation dans le cadre de tous les arts qui relèvent d’elle : l’épopée, le poème tragique, la comédie, le dithyrambe, la peinture, la musique, la danse. » 
    Bien avant de ‘’décortiquer’’ ce concept, il est bon que nous sachions que la poétique, de manière générale, « désigne le système poétique d’un écrivain, c’est-à-dire la conception qui est le fondement de son art en sa qualité d’écrivain, qu’il soit poète, romancier, nouvelliste, conteur, dramaturge ou essayiste. »  Elle a donc recours à deux réalités : d’abord elle est désignée comme l’ensemble des règles présidant à l’élaboration des œuvres poétique (principes, règles, théories). En ce sens, le terme désigne alors « l’ensemble des principes esthétiques qui guident un écrivain dans son œuvre » . Autrement dit, elle est l’ensemble de règles construites qu’un auteur donné est censé respecter. Enfin, elle renvoie à l’ensemble des procédés utilisés par un auteur, et qui fait de son texte un texte littéraire (méthode, pratique, étude). Elle permet alors de saisir l’unité et le sens du texte parce qu’elle obéit au principe scientifique. Revenons-en au concept, selon Aristote.
    La poétique d’Aristote est la plus ancienne et elle se borne à être une théorie relative à certains types de discours littéraires, voire vers la création d’œuvres futures. Tandis que l’art poétique d’Horace intitulé l’Épitre aux Pisons est un ensemble de conseils aux poètes futurs. Pour Horace, l’harmonie doit être la règle de toute écriture. Cependant, il dit que la poétique ne doit pas aller « jusqu’à permettre l’alliance de la douceur et de la brutalité, l’association des serpents et des oiseaux, des tigres et des moutons » . Horace sait et reconnaît aux poètes le droit de créer des mots pour traduire des idées jusque-là inconnues.
    La Poétique d’Aristote, et d’Horace sont de l’Antiquité. À la Renaissance, elles seront reprises et mises en cause par Thomas Sébillet, Pierre de Ronsard, Joachim du Bellay. À l’encontre de Thomas Sebillet, Joachim du Bellay propose sa Poétique intitulée Défense et Illustration de la langue Française, à laquelle adhérera particulièrement Pierre de Ronsard. Du Bellay réclame pour le poète un humanisme profondément assimilé, c’est-à-dire totalement instruit des lettres ; ce dernier « doit être un homme instruit, cultivé ; car il ne doit parler dans ses poèmes que de ce qu’il sait. »  Pour cela, il doit imiter les anciens, car « c’est que sans l’imitation des Grecs et Romains nous ne pouvons donner à notre langue l’excellence et lumière des autres plus fameuses. »  Et pour enrichir la langue, le poète doit s’instruire et se cultiver car « l’amplification de notre langue ne peut se faire sans doctrine et sans érudition » , et aussi « (…) les poètes n’ont pas le droit d’être médiocres, il leur est refusé par les dieux, par les hommes et par la publicité. »  Il faut lire et relire, imiter et non faire une traduction ni une reproduction. Il s’agit d’imiter pour rénover. Avec la Renaissance, la Poétique devient des préceptes, des leçons à soumettre à tous les poètes français, présents et futurs, même à ceux qui utiliseront le français et qui ne seront pas Français.
    À l’ère du Classicisme, les auteurs se sont levés et ont proposé leur Poétique. De toutes ces Poétiques (La poétique de Jules de Mesnardière, Les Réflexions sur la Poésie Française de Rapin, L’Art Poétique du Sieur Colletet), c’est celle de Nicolas Boileau qui marqua l’époque classique et influencera les poètes. Avec Boileau, la poétique devient un ensemble de règles de versification, de prosodie, de métrique, de rhétorique… « de l’art pour l’art » car toute œuvre doit être utile et agréable. L’Art Poétique de Boileau définit un code à la poésie car cette Poétique corrige « les poètes par sa critique. » Ce fait est rejeté par Charles H. Boudhors. Selon lui, Boileau a interprété, traduit le goût, les tendances, l’expérience de camaraderie, et des cercles d’amis où il a écouté et discuté. L’Art Poétique a agacé certains écrivains, tel que Victor Hugo.
    Quant à Victor Hugo, il est de l’époque Moderne. C’est dans la préface de Cromwell qu’il contestera les Poétiques de ses devanciers.
    Devant cette impasse, Hugo réclame pour l’artiste le droit d’être créateur, et le devoir de créer, sans modèle. L’artiste doit donc s’affranchir de la tutelle de ses devanciers au nom de la liberté de l’art. En d’autres termes, il n’y a ni règles, ni modèles qui vaillent. 
    Pour lui, le poète ne doit pas être contraint ; il plaide pour la liberté de l’art. Nous constatons que la Poétique, selon Victor Hugo, est la liberté qu’a le poète de créer sans obligation, sans se fixer des règles ou des préceptes. Les théoriciens contemporains vont récupérer la Poétique selon Hugo, voire selon Boileau ou selon Roman Jakobson, pour la défaire et l’orienter davantage dans tous les genres littéraires et sur l’écriture propre à l’auteur.
    Parlons de la Poétique de Roman Jakobson, car elle fut le soubresaut des différentes conceptions de la Poétique du temps contemporain. Roman Jakobson, avec les six fonctions de langage va révolutionner la manière d’approcher les textes littéraires. Ce n’est pas à vraiment parler une Poétique, il préfère le terme « fonction poétique ». Selon Roman Jakobson, la fonction poétique vise l’esthétique de l’énoncé ou de l’énonciation, et cette fonction poétique ne concerne plus la poésie mais tous les genres littéraires, car il s’agit de mettre l’accent sur le message pour son propre compte, c’est-à-dire significatif par la forme et le fond, mieux le signifiant (texte, forme, structure) et le signifié (sens, signification).
    On connaît la proposition de Jakobson selon laquelle l’objet de la discipline à constituer n’est pas l’œuvre, ni même la littérature en tant qu’ensemble d’œuvre, mais bien la "littérarité", c’est-à-dire le caractère abstrait qui fait d’une œuvre donnée une œuvre littéraire. 
    Sachant qu’une œuvre littéraire n’est pas forcément poétique, certains théoriciens vont apporter des précisions, voire proposer d’autres méthodes d’approches (Stylistique, Sémiotique, Structuralisme…). Cependant, d’autres, vont essayer de délimiter ce concept qui est la Poétique, et qui semble être un vaste concept, sujet à polémiques.
    Parmi eux, Henri Meschonnic qui essayera de définir la Poétique. Selon lui, la Poétique est « essentiellement liée à la pratique de l’écriture » , ce qui sous-entend le style de l’écrivain. Quant à Michel Jarrety, il dira de la Poétique qu’elle « définit les lois de fonctionnement de la littérature, analyse et fixe également les règles auxquelles les écrivains doivent se tenir.»  Or, Jean Cohen, dans le Haut langage : théorie de la poéticité, que cite Jean Marie Klinkenberg, dira que « la poétique doit se montrer capable de passer des mots aux choses ». Et Senghor de dire qu’« il suffit de nommer la chose pour qu’apparaisse le sens sous le signe. Car tout est signe et sens en même temps pour les Négro-Africains.» 
    Avec Senghor, nous entamons la Poétique négro-africaine. Il faut avouer que la littérature négro-africaine n’est basée sur aucune théorie littéraire, c’est-à-dire qu’il n’y a pas eu véritablement de Poétique écrite qui ait eu sur les écrivains un impact du type de celui de l’Art de la Poétique de Boileau ou de la Préface de Cromwell de Victor Hugo. Néanmoins certains écrivains négro-africains ont eu l’audace d’écrire une sorte de Poétique, tels que Léopold Sédar Senghor et Jean-Baptiste Tati-Loutard. Senghor, en voulant se défendre contre ses détracteurs, a en même temps défendu les autres poètes nègres, et par ricochet toute la poésie négro-africaine. Et cette défense en est devenue une Poétique. L’on appréhende cette Poétique dans la postface de son œuvre poétique Éthiopiques intitulée Comme les lamantins vont boire à la source et aussi dans la majeure partie de ses œuvres poétiques. En définissant sa poésie, Senghor rejoint par moment les autres Poétiques déjà soulignées par l’imitation, par la liberté de créer… Il reconnaît qu’il a beaucoup imité :
    J’ai beaucoup lu. Et beaucoup imité…À la découverte de Saint John Perse après la libération je fus ébloui comme Paul sur le chemin de Damas. […] [Cependant] si l’on veut nous trouver des maîtres, il serait plus sage de les chercher du côté de l’Afrique. Comme les lamantins vont boire à la source du simal. 
    Cette Poétique a une particularité. En effet, ce qui fait la poésie négro-africaine, c’est la musique. Le poème doit se chanter, se méditer, se réciter ou se psalmodier, c’est pourquoi, Senghor met généralement en tête de ses poèmes un instrument de musique (les instruments de musique abondent dans ses poèmes).
    Lorsqu’en tête d’un poème, je donne une indication instrumentale, ce n’est pas simple formule. Le même poème peut donc être récité […] psalmodié ou chanté [ou] on peut réciter le poème en s’accompagnant d’un instrument de musique : tam-tam, tama, kôra, khalam… 
    Pour Senghor, la poésie négro-africaine doit pouvoir exprimer dans toutes ses composantes l’émotion nègre, car c’est le chant qui est le nerf du poème, il est le poème même. En d’autres mots, le poème doit être une émotion. Cela transparaît dans ce verset extrait de Que m’accompagnent Kôras et Balafong :
    J’ai choisi le verset des fleuves, des vents et des forêts
    L’assonance des plaines et des rivières, choisi le rythme
    de sang de mon corps dépouillé
    Choisi la trémulsion des balafongs et l’accord des cordes
    et des cuivres qui semble faux, choisi le 
    Swing le swing oui le swing ! 
    Et Jean Dodo  de renforcer l’assertion de Senghor en ces termes :
    Il me plaît l’alexandrin pur et classique
    Scandé avec césure où l’hiatus est sacrilège
    Il me plaît le merveilleux sonnet
    Aux formes sonores savantes et régulières
    Mon vers de liberté veut être livre
    Improvisé comme le serment d’amour
    Long comme la route longue et rouge
    De pénétration et de dépendance
    Long comme le son qu’égrène patiemment mon balafong des champs
    Menu comme le pas de l’enfant qui danse
    Va de la mère au père
    Pèlerin symbolique de l’amour du monde.
    Dans cet extrait, nous voyons la Poétique défendue par Nicolas Boileau, cependant, Jean Dodo rejette cette Poétique pour affirmer la sienne qui est l’émotion nègre rythmée « comme le son qu’égrène patiemment [son] balafong des champs, comme le pas de l’enfant qui danse. » C’est en cela qu’il rejoint Senghor. Le rythme est l’une des caractéristiques de la poésie Senghorienne.
    Senghor a des formules particulières pour définir le rythme. Le rythme, dit-il, c’est le nombril du poème, il naît de l’émotion, et engendre à son tour l’émotion et l’humour… 
    Et Senghor ajoutera que le rythme n’est pas seulement dans les accents du français modernes, mais il est, pour les poètes nègres,
    …aussi dans la répétition des mêmes mots et des mêmes catégories grammaticales, voire l’emploi-instinctif- de certaines figures de langue : Allitération, associations, homéotéleutes, etc. 
    Pour Senghor, la Poétique peut-elle se définir comme le rythme émotionnel de la parole capable « de nommer la chose pour qu’apparaisse le sens sous le signe » . Qu’en est-il de Jean-Baptiste Tati-Loutard ?
    Jean-Baptiste Tati-Loutard a écrit un texte intitulé La Vie Poétique.  Sa Poétique est un texte didactique qui donne des préceptes à des poètes de sa génération ou aux poètes futurs. Il ne défend pas une poésie quelconque. Il reconnaît que les écrivains, surtout les poètes, doivent imiter : « voilà pourquoi le poète est d’abord un imitateur »  ; cela ne les empêche pas d’être libres dans leur création. C’est pourquoi il recommande le recours aux termes anciens ou aux néologismes pour exprimer ce que les hommes attendent ; comme le souligne J. P. Makouta-Mboukou :
    Le recours aux termes anciens ou aux néologismes pour exprimer des réalités nouvelles a été toujours prêché par tous les auteurs de poétique, Tati-Loutard ne ferait pas exception. Et comme eux, Tati-Loutard connaît la puissance des mots.  [Cependant] il faut éviter les discussions de prosodie : vers classique ou libre ; le poète enfourche le cheval qui lui convient le mieux. 
    Il ressort de cet extrait que La Vie Poétique recommande imitation et liberté aux poètes, voire aux écrivains. La Poétique, selon Tati-Loutard, s’appréhende par la liberté scripturale du poète et la mimesis.
    Il nous semble que la question y demeure toujours ; celle de savoir ce qu’est la Poétique. Jean Pierre Makouta-Mboukou a essayé de répondre à cette question dans Les Grands traits de la poésie Négro-Africaine : Histoire-Poétiques-Signification. C’est avec lui que nous allons à notre tour essayer de répondre à la question posée. 
    Il commence d’abord à dire ce que la Poétique n’est pas. Pour lui, la Poétique n’est pas une critique ni une histoire littéraire, parce que les différentes Poétiques passées en revue « n’ont pas visé une critique quelconque d’œuvres particulières »  ; et aussi comme le dit Gérard Genette la Poétique s’oppose à l’histoire littéraire. En effet, la Poétique est, comme le souligne Gérard Genette, une théorie générale des formes littéraires, alors que l’histoire littéraire est un bilan, une somme de discours littéraires réels, et à tout moment, une donnée de l’histoire humaine. La poétique serait donc l’acte de créer, de susciter la vie, de communiquer une étincelle, de fabriquer l’œuvre, comme le dirait Henri Meschonnic, « liée à la pratique de l’écriture.» 
    Au vu de tout ce qui précède, nous constatons que le problème est que le terme a pris des acceptions non seulement diverses mais contradictoires. Retenons que la Poétique était à l’origine une théorie (ensemble de règles construites à respecter) et au fil du temps une méthode (l’ensemble de procédés utilisées par un auteur). Cependant, nous dirons que la Poétique est la manière de dire ce que l’on ressent tout au fond de son âme, c’est cette possibilité de dire ses pensées sans contraintes pour susciter l’émotion chez l’autre. Et chaque auteur a sa manière propre à lui d’organiser ses pensées pour les dire au grand jour, « sa technique, sa façon de présenter ses vérités et ses beautés pour les rendre pénétrantes et par-là mêmes plus fortes.»  Et lorsque nous appréhendons la Poétique comme méthode d’approche ou d’analyse des textes dits poétiques, il ne faut pas exclure l’interprétation.
    On se rend en effet compte, à l’expérience, qu’une réflexion théorique sur la poétique, comme le signale Todorov, si elle ne s’appuie sur les données des œuvres réelles, cette poétique est stérile et inopérante. Ce qui signifie qu’à chaque fois la poétique est précédée et suivie de l’interprétation des œuvres. C’est en s’appuyant sur les œuvres existantes qu’une réflexion générale sur la littérature peut être élaborée. Car c’est à l’intérieur même de la littérature que la poétique cherche ses lois. Elle est donc une approche à la fois "abstraite" et "interne" de la littérature. 
    Et Jarrety Michel de renforcer les dires de Makouta-Mboukou, en ces termes : 
    La poétique sera passée du versant de l’écriture et de la création à celui de la lecture et de l’interprétation. Cette poétique moderne est en effet directement issue du renouvèlement que le terme a connu au siècle dernier. 
    Chercher donc dans le texte la manière dont l’auteur exprime ses pensées, ses idées, son être, la vie ou la manière dont il dit ce qu’il ressent est une façon ou d’une autre de dire sa Poétique. Ce qui sous-entend que la Poétique est la recherche des procédés mis en action dans le texte pour dire et traduire ce que l’on ressent, et qui fait de ce texte une particularité, une originalité, une marque déposée. Par Poétique, nous voulons donc appréhender l’écriture particulière de Senghor qui fait de ses poèmes une particularité, car elle (la Poétique) est « l’étude de l’art littéraire en tant que création verbale »  ou l’écriture de la valeur d’une œuvre. Autrement dit, il s’agit d’identifier les procédés d’écriture propre à Senghor suivis de leur interprétation, et d’examiner les différentes façons d’exprimer littéralement (poétiquement) la Francophonie. Quelle est donc cette Francophonie ?
    2. FRANCOPHONIE
    Le terme Francophonie apparaît en 1880 sous la plume du géographe Onésime Reclus pour désigner la communauté linguistique et culturelle que la France constitue avec ses colonies. Pour Onésime reclus, la France fait œuvre civilisatrice outre-mer en se servant de la langue qui est l’un des instruments de la mission civilisatrice. Le terme disparaît pendant la moitié du XXe siècle, seul l’adjectif « francophone » est utilisé. Cet adjectif figurant dans les dictionnaires désignait les personnes « dont le français est la langue maternelle. » À l’origine, la Francophonie, en tant que le fait de parler français, était une composante de la politique étrangère de la France, elle n’a fait que tout simplement appliquer dans ses colonies certains principes qui lui étaient chers. Aujourd’hui, lorsqu’on parle de Francophonie, certains Africains restent prudents car ils la voient comme un instrument de la recolonisation des pays africains. Ce qui est nié par les spécialistes de la Francophonie ou par les Francophonistes.
    […] La langue française est médiatrice et non pas impératrice.  [Ou] un autre contresens largement répandu est de penser que la Francophonie est un instrument aux mains de la France, au service de sa propre stratégie d’influence  [car] la langue française est le bien commun de tous ceux qui la parlent et nous aurions tort d’enfermer sa défense et son illustration


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  • MINISTÈRE DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
    UNIVERSITÉ FÉLIX HOUPHOUËT BOIGNY
    U.F.R LANGUES, LITTÉRATURES ET CIVILISATIONS
    Département de Lettres Modernes
    Mémoire de Master 2
    Parcours : Langues et Civilisations Africaines
    Option : Poésie, Poétique et Psychocritique
    Présenté par :
    BOUATENIN
    Adou Valery Didier Placide
    Copyright
    Bouatenin, 2014-2015
    Mémoire de Master 2
    Option : Poésie, Poétique et Psychocritique
    Aux membres de ma famille,
    À tous ceux qui sont pour le dialogue des cultures
    À mes amitiés et amours
    « Entrer dans une œuvre, c’est changer d’univers, c’est ouvrir un horizon. L’œuvre véritable se donne à la fois comme une révélation d’un seuil infranchissable et comme pont jeté sur ce seuil interdit. Un monde clos se construit devant moi, mais une porte s’ouvre, qui fait partie de la construction. L’œuvre est tout ensemble une fermeture et un accès, un secret et la clé de son secret. Qu’elle soit récente ou classique, l’œuvre impose l’avènement d’un ordre en rupture avec l’état existant, l’affirmation d’un règne qui obéit à ses lois et à sa logique propre : en présence de l’œuvre, je cesse de sentir et de vivre comme on sent et on vit habituellement. J’assiste à une destruction préludant à une création […] La contemplation de l’œuvre implique une mise en question de notre mode d’existence et un déplacement de toutes nos perspectives [...] : passage de l’insignifiant à la cohérence des significations, de l’informe à la forme, du vide au plein, de l’absence à la présence.» 
    « Africains, mes frères, vous semblez n’avoir plus rien à dire,
    Depuis que se sont tus les chantres de la Négritude. Qu’on se détourne donc un peu de ces cris onomatopéiques ! La négritude n’a eu qu’un seul tord : n’avoir pas assez creusé le thème pour rencontrer des cultures vivantes. » 
    « Si nous avons pris l’initiative de la Francophonie, ce n’est pas pour des motifs économiques ou financiers. Si nous étions à acheter, il y aurait, sans doute plus d’un plus offrant que la France. Et si nous avons besoin d’assistants techniques francophones de haute qualification, c’est qu’avant tout, pour nous, la Francophonie est culture ».
     
    REMERCIEMENTS
    Nous tenons à exprimer notre profonde gratitude à tous ceux qui ont contribué directement ou non à la réalisation de ce travail.
    Nos remerciements vont à l’endroit de Docteur ADAMOU Kouakou Dongo David pour son soutien, sa rigueur, sa disponibilité.
    Nous tenons à témoigner également notre gratitude au Professeur N’GUETTIA Martin Kouadio, qui sans arrière-pensée, a accepté d’être notre directeur d’étude bien que chargé et ayant sous sa coupole plusieurs étudiants.
    Et sans oublier le Professeur BOHUI Djédjé Hilaire.
    Merci aux membres du jury pour l’attention et le temps accordés à notre travail.
    Nous disons un merci sincère aux personnels de DFI (Deustch-Französisches Institut) et Frankreich-Bibliothek à Ludwigsburg en Allemagne pour les livres et les documents mis à notre disposition, sans oublier les membres du projet WERTEWELTEN de l’Université EBARHARD KARLS de Tübingen (Allemagne).
    Merci aux personnes qui nous ont orienté dans l’analyse de notre sujet à travers échange et discussion intellectuels.
    Notre infinie gratitude aux parents et amis pour le soutien tant moral que financier, et surtout pour la correction apportée à notre travail,
    À toutes ces personnes sus-mentionées je dis :
    “Mi da wasi mo, mo, mo
    Adiε bε tshin wa
    Mi da wasi
    Mi da wasi asan” 
    AVANT-PROPOS
    Le premier contact avec la poésie de Senghor fut au lycée, son œuvre poétique Chants d’ombre était au programme. Les questions à l’ordre du jour étaient celle de la Négritude du retour aux sources, du royaume d’enfance avec les poèmes tels que "Joal", "Femme noire", "Prière aux masques". Senghor, hormis son œuvre, nous savons qu’il avait été président de la république du Sénégal. Arrivé à l’université, notre deuxième année fut le deuxième contact avec l’œuvre poétique senghorienne. Ce deuxième contact nous donna une lecture différente de ce que nous avons eu lorsque nous étions encore lycéen. Notre amour pour la littérature en général, et pour la poésie en particulier, était porté sur les poètes français tels que Victor Hugo, Verlaine, Arthur Rimbaud, Pierre de Ronsard, Jean de la Fontaine que notre mère nous fit découvrir aux cours primaires. La curiosité nous fit découvrir Senghor, sa poésie, sa Négritude, la Francophonie. Durant notre séjour en Allemagne, précisément à Ludwigsburg, nous avons échangé avec Monsieur Gueye, de nationalité sénégalaise, travaillant aux services de l’intégration à la mairie de ladite ville, à propos de Senghor et de sa Négritude. En tant que Sénégalais, il défendait bien sûr son compatriote. Cependant, ses arguments nous poussèrent à revoir nos prises de notes durant notre recherche pour appréhender Senghor. Pour nous, Senghor revêtait le manteau de la Francophonie pour exprimer sa Francophobie. Avec cette idée conçue et nourrie, nous avons entamé à nouveau des recherches pour la justifier. Ce fut ainsi que les livres et les écrits traitant de sa personnalité, de sa Négritude, de la Francophonie consultés à la bibliothèque de l’institut Franco-allemand ("Deustch-Französisches Institut" et Frankreich-Bibliothek) nous ont révélé un homme stable dans ses pensées et dans ses actions, un homme qui cherchait à concilier Négritude et Francophonie. De retour en Côte d’Ivoire, nous avons formulé un sujet pour une inscription en année de recherche. Nous voulions alors montrer que Senghor exprimait une sorte de francophobie car, pour nous, Négritude et Francophonie sont deux concepts inconciliables de par leurs définitions et leurs modes d’action.
    Nous nous sommes donc présenté au bureau du Docteur ADAMOU au CNRTO (Centre National de Recherche en Tradition Orale) pour lui soumettre notre thème de recherche. Il estima le thème polémique, vu que Senghor est connu pour être un amoureux de la langue française, voire un défenseur acharné de cette langue qui lui a valu d’être élu à l’Académie française. Nous avons à nouveau repris les recherches, revu notre lecture de ses œuvres et des écrits sur lui. À l’issue de tout cela, nous avons découvert l’homme aux multiples facettes. Nous avons observé à cet effet que l’une des facettes fondamentales, la moins étudiée sans doute jusqu’ici, mais la moins pertinente, était la Francophonie. D’où  notre sujet de mémoire : « La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : "Que m’accompagnent Koras et Balafong" (Chants d’ombre) et "Chaka" (Éthiopiques)».
    SOMMAIRE
    Introduction pp.8-15
    PARTIE I : La poétique de la Francophonie pp.16-40
    Chapitre I-Analyse de concepts pp.19-32
    Chapitre II-Existe-t-il une poétique de la Francophonie ? pp.33-40
    PARTIE II : Négritude et Francophonie : Deux concepts chers à Senghor pp 41-72
    Chapitre I-Senghor entre Négritude et Francophonie pp.46-62
    Chapitre II-Senghor, de la Négritude à la Francophonie pp.63-72
    PARTIE III : Francophonie, l’accomplissement de la Négritude pp.73-105
    Chapitre I- La réhabilitation du continent africain pp.81-92
    Chapitre II-Défense et Illustration de la culture francophone pp.93-105
    Conclusion pp.106-108
    Bibliographie pp.109-118
    Table des matières pp.119-120
    INTRODUCTION
    La poétique  est un mot de diverses significations. Elle est tantôt appréhendée comme une théorie interne de la littérature (genre littéraire), tantôt comme une théorie d’interprétation du fait littéraire. En effet, la poétique se veut donc trouver les règles générales de la littérature ou d’un certain canon de littérature. Combinaison de sonorité, du rythme, de tonalité ; création avec les mots, esthétique d’un texte…, la poétique varie d’un auteur à un autre. Henri Meschonnic dit de la poétique qu’elle est « essentiellement liée à la pratique de l’écriture. De même que cette pratique est conscience de langue ; la poétique est la conscience de cette conscience. »  Michel Jarrety la définit comme celle qui «  définit les lois de fonctionnement de la littérature, analyse et fixe également les règles auxquelles les écrivains doivent se tenir. »  Le mot poétique, d’un spécialiste à un autre, d’Aristote à Henri Meschonnic, en passant par Boileau et Roman Jakobson ainsi que bien d’autres, varie de significations et d’appréhensions. Cependant, nous retenons de ces auteurs que la poétique se donne la tâche de chercher les éléments de la littérature et les règles selon lesquelles ces éléments sont assemblés ; elle essaie d’écrire une grammaire, de traiter tout le domaine du discours créatif, parole et écriture. On dit d’un texte qu’il est poétique lorsqu’il, par sa lecture ou par son étude, suscite une émotion esthétique sur la sensibilité et l’émotivité du lecteur en tenant compte de l’architecture rythmique  du texte et du degré d’émotivité et de sensibilité. Donc pour appréhender la poétique d’un texte, ce n’est pas seulement la prosodie, l’étude des rythmes, la versification, la métrique ; ce n’est pas aussi l’expliquer littéralement ou rhétoriquement, mais de voir d’autres méthodes ou théories car la poésie est un champ de possibilités interprétatives, et nous risquerions de ne pas saisir la signification du texte. Car « la production poétique ne correspond pas forcément aux idées qu’on a sur elle. »  Pour mieux saisir la poétique, il faut voir du côté du lyrisme, des émotions, du « faire » et des actes de l’écriture, comme l’affirme Hermann Broch . Nous trouvons cette particularité dans la poésie africaine : le lyrisme des mots; et surtout dans la poésie senghorienne où le lyrisme signifie « poésie qui exprime des émotions, des sentiments intimes au moyen de rythmes, d’images propres à les transmettre au lecteur.» ou « la monotonie du ton [est] le sceau de la Négritude, l’incarnation qui fait accéder à la vérité des choses essentielles.»  Mieux « l’œuvre et la pensée de Léopold Sédar Senghor semblent marquées par le sceau de la Francophonie et de la Négritude, comme deux facettes d’une réalité dialectique qui serait constamment alimentée de l’intérieur par la complémentarité et la dualité. Tout en prônant son attachement aux valeurs culturelles négro-africaines, le poète-académicien ne cache pas son amour pour la langue française » .
    D’où l’essence de notre sujet de mémoire : « La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : "Que m’accompagnent Koras et Balafong" (Chants d’ombre) et "Chaka" (Éthiopiques)». En effet, « la poésie, exploration du monde et de la vie, est comme la science, au cœur de la connaissance, [et] la connaissance est l’aboutissement provisoire d’un processus, celui de l’appropriation d’un objet, d’un fait, d’un phénomène, d’une manière de comprendre. Elle est médiatisée par un savoir antérieur qui s’incarne dans différents discours. Par eux transite l’intentionnalité de l’énonciateur, sa tentative de produire, de manipuler, d’organiser, de recevoir et de manifester un savoir» , c’est-à dire l’on façonne le monde ou la vie par la poésie comme la science cherche à comprendre le monde ou la vie avec les éléments propres au monde ou à la vie pour donner un sens à notre existence. Faire la poésie, c’est donc s’approprier des éléments de la langue ainsi que ses mécanismes pour produire le savoir, pour représenter et reproduire des sens , et Senghor, de par sa poésie, s’approprie la langue française pour véhiculer sa vision culturelle, et surtout pour peindre deux concepts qui lui sont chers, à savoir la Négritude et la Francophonie. Si l’on admet que la poétique concerne l’écriture, l’agencement des mots, et ce que cela signifie et produit sur la sensibilité et l’émotivité du lecteur, alors , par la poétique de la Francophonie nous entendons la manière dont Senghor agence les mots pour dire la Francophonie dans son œuvre poétique immergée dans « le verset des fleuves, des vents et des forêts/ L’assonance des plaines et des rivières, […] le rythme »  de la Négritude.
    Pourquoi Senghor et non pas un autre poète africain ou un poète quelconque ? Senghor, certes, a été beaucoup critiqué et étudié. Cependant, si aujourd’hui il continue à être au centre des recherches, c’est parce qu’il reste dans son œuvre des zones non encore explorées ou insuffisamment analysées par les critiques littéraires. Ses poèmes, sa Négritude, sa vision du monde, sa Francophonie font de lui un homme à multiples facettes. Grammairien, poète, politique, négritudien, francophoniste, il avait assez de cordes à sa « Kora », comme Orphée , pour « charmer » les critiques qui continuent de faire couler encore l’encre de leur plume. Tous veulent s’approprier l’héritage littéraire, à la fois compact et complexe, laissé par Senghor. Un moment de sa vie, il lui a fallu affirmer son être : « […] il fallait d’abord nous débarrasser de nos vêtements d’emprunt, ceux de l’assimilation, et affirmer notre être, c’est-à-dire notre négritude. »  Et quelle que soit sa prise de position, Senghor est resté dans la même logique de sa pensée : la symbiose des cultures. « Il est extrêmement difficile de se prononcer sur le cheminement du Président Senghor lorsqu’on le définit sur la Négritude et la Francophonie. […] Aussi curieux que cela paraisse, Senghor ne sembla jamais avoir ressenti la Négritude et la Francophonie en termes de déchirement, ni même d’opposition », se justifie Lilyan Kesteloot . Senghor s’est fait le poète de la Négritude et le chantre de la Francophonie. Nous voyons deux faces du poète : Négritudien et Francophoniste. Deux termes divergents, chantés et conciliants. C’est donc cette ambiguïté chez le poète qui nous a amené à formuler le sujet de notre mémoire. La Francophonie est d’actualité, et un nombre important d’articles et d’écrits a été édité sur elle. Le mot « Francophonie » est apparu « en 1880 sous la plume d’Onésime Reclus […] pour désigner la communauté linguistique et culturelle que la France constitue avec ses colonies »  et « s’est enrichi au fil du temps de significations nouvelles »  avec Senghor.  « Il nous a dès lors paru que ses pensées étaient toujours d’actualité et que ses écrits méritaient d’être lus à nouveau »  pour mieux appréhender la redéfinition de la Francophonie afin de l’intégrer dans un monde où l’identité culturelle universelle est encore incomprise. Parler de la Francophonie dans l’œuvre de Senghor, c’est aussi parler de la Négritude et de la symbiose culturelle. Parler donc de la Négritude revient à appréhender l’histoire et l’expérience de vie que renferment les poèmes des négritudiens, surtout de Senghor, car « les poèmes sont un langage d’expérience. Une forme de vie qui transforme une forme de langue, une forme de langue qui transforme une forme de vie. Le poème est ininterrompu »  ou une « œuvre ouverte.»  Et aussi, du fait que les traits de la Négritude ont été mieux affirmés en poésie que dans les autres genres littéraires. Et parce que « l’œuvre poétique de Senghor renferme presque toutes les normes d’appréciation qui caractérisent l’originalité de la Négritude» , parce qu’aussi, « ce qui fait la négritude d’un poème, c’est moins le thème que le style, la chaleur émotionnelle qui donne vie aux mots, qui transmue la parole en verbe. »  C’est ainsi que nous avons opté pour la poésie, la poétique et la psychocritique en général, et en particulier les littératures et civilisations africaines comme domaine de recherche pour mieux exploiter notre sujet dont l’auteur de l’œuvre support est un Africain.
    Il ne s’agira pas pour nous d’étudier l’emploi du terme « Francophonie » dans l’œuvre de Senghor mais de montrer comment ce mot en tant que concept est mis en évidence dans ses œuvres pour manifester l’ouverture des cultures, surtout la symbiose culturelle. Mieux, nous voulons montrer que les œuvres ou les textes poétiques de Senghor sont un manifeste de la Francophonie. C’est dire que les poèmes de Senghor sont l’empreinte indélébile de la Francophonie. Au lieu de saisir la poétique de la Francophonie dans les cinq tomes de Liberté ou dans les essais et articles écrits par Senghor de son vivant ou par d’autres critiques, il serait bon de l’appréhender dans ses œuvres poétiques. C’est aussi montrer que la Francophonie défendue par Senghor est le nouveau visage de la Négritude Senghorienne perceptible dans ses poèmes. Ce nouveau visage se résume dans son concept la symbiose culturelle. 
    De ce travail, nous nous sommes donné l’objectif d’étudier « l’interculturalité » dans la poésie afin d’appréhender le caractère humaniste que renferme le concept de la Francophonie. Notre objectif principal est de montrer que les textes poétiques de Senghor ne sont pas seulement l'expression de la Négritude mais qu'ils sont aussi l'expression de la Francophonie, et que la poésie senghorienne est le fondement même de ce concept. Le problème central de notre étude est celui de l’identité culturelle chez Senghor, l’un des pères fondateurs de la Négritude et de la Francophonie, sachant bien que « le problème central de la francophonie n’est donc pas seulement celui de l’identité, ainsi que le répètent inlassablement écrivains et commentateurs, mais de l’unité d’un sujet divisé. »  Il se définit tantôt comme négritudien en se faisant théoricien de la Négritude, tantôt comme francophoniste (spécialiste de la francophonie). « Léopold Senghor qui fut et reste le seul théoricien de cette Négritude-idéologie… la défend avec beaucoup de subtilité et d’énergie, ne cessant de modifier, d’ajuster en fonction des critiques qui lui sont faites »  pour finalement réaliser une harmonieuse symbiose des contraires, concept défendu « à travers la Francophonie » . De ce fait, nous pouvons affirmer que la question de l’identité culturelle a été le leitmotiv de la poésie senghorienne. Aborder la Francophonie dans les poèmes de Senghor, c’est toucher le problème de l’identité culturelle. C’est la raison pour laquelle nous porterons ici les interrogations qui découlent du problème de notre sujet. La double posture négritudienne et francophoniste de Senghor n’infère-t-elle pas une astuce pour le poète d’élucider une réalité baptisée « symbiose culturelle » ? Il se pose la question de savoir si la Francophonie n’est pas chez Senghor la forme achevée de la Négritude. La difficulté est de savoir comment le poète a pu concilier des concepts en principe irréductibles. Comment les œuvres poétiques du poète mettent-elles en évidence la poétique de la Francophonie ? Mieux, comment se fait la découverte de la diversité des composantes culturelles dans les poèmes de Senghor ? Comment Senghor se définit-il en tant que poète francophone dans ses poèmes ? Le nerf des questions est de savoir comment l’écriture de la Francophonie se manifeste dans les poèmes de Senghor. Mieux comment les poèmes de Senghor expriment-ils le concept  « Francophonie » ?
    Pour répondre aux différents problèmes spécifiques de notre sujet, nous nous sommes proposé d’analyser le discours du poète et « la psychologie individuelle de l’auteur » , à travers la théorie de l’énonciation et la psychocritique. En effet, la théorie de l’énonciation permettra de saisir le sujet-parlant dans son propre discours, car « la problématique de l’énonciation "c’est la recherche des procédés linguistiques par lesquels le locuteur imprime sa marque à l’énoncé, s’inscrit dans le message et se situe par rapport à lui" » . Car nous sommes convaincu que c’est à travers le langage que nous pourrions saisir la subjectivité . Quant à la psychocritique, elle recherche, isole et étudie l’expression de la personnalité inconsciente de l’auteur dans le texte. Elle permettra donc de dégager le mythe personnel de l’auteur dans ses écrits. Elle tâchera aussi de mettre en exergue l’identité culturelle du poète et celle de l’homme partagé entre les cultures européennes et africaines en éprouvant la nostalgie du royaume de l’enfance . Par cette méthode, nous émettons l’hypothèse qu’à partir de notre sujet, l’on pourrait ressortir le phantasme inconscient de Senghor ayant, peut-être, présidé à la poétisation de la Francophonie. Saisir donc le sujet-parlant et dégager le mythe personnel revient à appréhender la personnalité de l’auteur. C’est dire qu’il existe une complémentarité entre la théorie de l’énonciation et la psychocritique. En effet, il faut un relevé de mots d’abord, une analyse ensuite de ces termes et une interprétation enfin ; telle est la démarche des deux théories mises en évidence dans notre étude. Cependant à propos de la psychocritique, la phase de l’interprétation fait appel à la biographie de l’auteur, en guise de vérification. Cette complémentarité réside dans le fait que dans tout énoncé, le sujet-parlant ou le sujet-écrivant qui assume la communication laisse dans ses énoncés des marques susceptibles de montrer sa subjectivité et sa personnalité, de façon volontaire ou involontaire. 
    Pour notre étude, nous avons choisi deux poèmes. Ce sont « Que m’accompagnent Koras et Balafong »  et  « Chaka » . Le premier est extrait de Chants d’ombre (1945) et est subdivisé en neuf parties numérotées en chiffre romain. Dans ce poème, il est question pour le poète d’opérer un choix entre l’Afrique et l’Europe. Le choix du poète est difficile, car il est vraiment baigné dans la culture occidentale, mais, s’il devrait choisir, il choisira donc l’Afrique. « Que m’accompagnent Koras et Balafong » est l’expression de la Négritude ; c’est dans ce poème qu’il employa pour la première fois le lexème « Négritude » . Le deuxième poème est extrait de Éthiopiques (1956). Il est constitué de deux chants. Le premier chant présente Chaka mourant, plongé dans un remords et dans une sorte de culpabilité, conversant avec une voix blanche. Le second chant est une sorte de tirade rythmée par le chœur et le coryphée. Dans ce poème, le poète, en se substituant à Chaka, donne plus de force à sa Négritude. De Chants d’ombre à Éthiopiques, onze années se sont écoulées, la Négritude du royaume de l’enfance laisse place à la Négritude de l’agneau immolé pour le peuple africain ; d’où « […] du tam-tam surgisse le soleil du monde nouveau » qui rayonnera « sur tous les peuples de la terre ». Les deux poèmes présentent une Négritude du royaume de l’enfance qui se mue en porte-parole de toutes les cultures, et montrent « un homme entièrement enraciné dans ses valeurs traditionnelles et ouvert au dialogue et aux autres cultures » . Nous voulons montrer à travers ces deux poèmes qu’il existe une poétique de la Francophonie, cela sous-entend que la signification, le sens de la Francophonie se trouverait dans les œuvres poétiques de Senghor, en l’occurrence Chants d’ombre et Éthiopiques. Nous voulons alors qu’à partir des œuvres poétiques de Senghor l’on appréhende réellement la signification première de la Francophonie, le sens de la civilisation universelle, de la symbiose culturelle, de l’identité culturelle universelle (francophone). L’identité culturelle francophone a toujours été le leitmotiv de Senghor, et ses poèmes ne sont que le support adéquat et manifeste pour matérialiser son concept aussi cher. Nous voulons aussi démontrer que Senghor adopte une écriture dite « écriture francophone », c’est-à-dire une écriture métissée (négrifiée), dans ses poèmes. Ce qui reviendrait à redéfinir la conception de la Francophonie et la définition que l’on donne aux auteurs francophones. Désormais, la Francophonie sera la symbiose parfaite des cultures ou le métissage parfait des différents aspects culturels des aires géographiques ayant le français en partage. L’on reconnaîtra à partir de la poétique de la Francophonie que tel auteur ou tel autre est un auteur francophone par rapport à tel ou tel auteur. Si l’on conçoit  la Francophonie comme étant l’acceptation des aspects culturels de tous les pays dits francophones, parce qu’ils ont la langue française en partage, nous pouvons donc dire que Senghor est un poète francophone, car sa poésie baigne dans cet apport culturel ; et par ricochet tout auteur, ou écrivain parlant français, et qui fera usage de l’écriture métissée, est aussi un auteur francophone au même titre que Senghor. Tels sont les objectifs que nous voulons atteindre en répondant aux problèmes et à la problématique de notre sujet de mémoire.
    Le premier obstacle rencontré fut le fait que Senghor est assez étudié de par le monde. Il était complexe de formuler un sujet de travail sur Senghor sans plagier tel ou tel critique. Aussi, le fait que les œuvres de Senghor sont des « œuvres ouvertes.» Et lorsque nous avons formulé le sujet, nous sommes confronté à un autre obstacle, celui de la méthode critique pour exploiter le sujet formulé. Nous étions dans l’embarras du choix.  Le dernier obstacle est celui de la complexité du mot Francophonie. En effet, la Francophonie se trouve être un domaine vaste recouvrant plusieurs réalités, et ambigüe (prêtant à confusion interprétative). 
    Nous ne pouvons traiter le sujet sans chercher la signification ou le sens de la Poétique et de la Francophonie. C’est la raison pour laquelle nous étudierons d’abord la poétique de la Francophonie, ce qui nous amène à analyser les concepts de Poétique et de Francophonie. Dans cette partie, nous nous attarderons sur l’écriture de la Francophonie. Il s’agit d’appréhender les concepts ou les notions clés de notre sujet de mémoire. À la suite de cela, nous montrerons que la Négritude et la Francophonie sont deux concepts chers à Senghor ; avant de dire que la Francophonie est l’accomplissement de la Négritude. Il est question dans la deuxième partie de montrer que Senghor ne dissocie point la Négritude de la Francophonie, car les deux concepts veulent dire la même chose et sont chers chez lui. Quant à la troisième partie, elle justifiera le fait que la Francophonie est l’accomplissement de la Négritude. Dans cette troisième partie nous montrerons que la Francophonie est l’expression accomplie de la Négritude, et que Senghor redéfinit l’identité culturelle de l’Afrique. Tel sera le plan adopté pour notre analyse.
    PARTIE I :
    LA POÉTIQUE DE LA FRANCOPHONIE
    Aucun artiste authentique ne se contentera d’offrir des matériaux bruts. Le devoir le plus pressant du Noir, pour l’instant, est de perfectionner sa technique, sa façon de présenter ses vérités et ses beautés, pour les rendre plus pénétrantes, et par là même plus fortes. 
    Avant d’aborder le travail proprement dit, il nous faut appréhender les concepts ou les notions clés de notre sujet de mémoire . Ces concepts ne sont que « la poétique » et « la Francophonie ». Par « analyse de concepts », nous voulons répondre aux questions suivantes :
    - Qu’est-ce que la poétique ?
    - En quoi un texte est-il jugé poétique ?
    - Sur quoi se fonde le caractère poétique d’un texte ?
    - Qu’est-ce que la Francophonie ?
    - De quelle Francophonie s’agit-il ?
    - Existe-t-il une poétique de la Francophonie ?
    Les notions de « poétique » et de « Francophonie » sont suffisamment complexes, mieux elles sont un champ d’interprétations diverses ; nous pouvons dire de ces concepts qu’ils sont ouverts, en empruntant le mot « ouverts » à Éco Umberto , parce qu’ils renvoient à plusieurs significations très ambigües qui tendent à la confusion, et amènent parfois à des prises de position ou à des interprétations à titre personnel ou à des contre arguments. Ce sont ces différentes interprétations, ces différents contre arguments qui rendent encore plus complexes ces concepts dans leur appréhension. C’est surtout la « Poétique » qui, aujourd’hui, demeure encore insaisissable car les auteurs la présentent comme « des règles absolues.»  Quant à la « Francophonie », elle est à la fois concept et institution, et Marc Gontard de nous avertir du piège des non-dits idéologiques de ce terme en ces propos :
    [La Francophonie], c’est un terme problématique dont il faut d’abord souligner les ambiguïtés pour éviter de se trouver pris au piège des non-dits idéologiques […] L’une des ambigüités du terme de Francophonie est donc de donner l’illusion d’une communauté culturelle subsumée par une communauté de langue : « ayant le français en partage… 
    Et le problème lié à l’appréhension de ce terme est celui de la place de la France, qui dit ne pas être de l’espace francophone parce qu’elle ne partage pas sa langue, et que la langue fait la patrie. La Francophonie, selon la majorité des Français, est le français hors de la France.
    C’est à travers notre langue que nous existons dans le monde autrement que comme un pays parmi d’autres. […] si nous reculons dans notre langue, nous serons emportés purement et simplement. […] Messieurs les ministres, Messieurs les secrétaires perpétuels, un lien étroit a toujours existé entre l’État et la langue française. 
    De cet extrait, nous constatons que la France a eu toujours l’idée que sa langue est un trésor à conserver, et c’est elle qui fait le pays et les Français.
    De ce qui précède, nous voyons que nous sommes confrontés à de vastes concepts, vastes concepts pour un sujet de mémoire, et par une erreur de délimitation ou d’orientation nous pouvons faire des amalgames. Pour éviter cette erreur fatale qui nous coûterait cher, nous nous permettrons de donner une définition de ces concepts afin de bien délimiter notre sujet pour éviter toute confusion. Nous ne prétendons pas les rendre clairs mais il s’agit pour nous de répondre aux questions mentionnées plus haut afin de circonscrire notre sujet et voir dans quelle mesure il existe une poétique de la Francophonie.
    CHAPITRE I : ANALYSE DE CONCEPTS
    Dans cette partie, nous allons analyser les termes « Poétique » et « Francophonie », voire les études antérieures concernant la « Poétique » et la « Francophonie ». Nous débuterons donc par la Poétique. En effet, il s’agira pour nous d’appréhender la Poétique d’Aristote en passant par d’autres critiques ou théoriciens contemporains tels qu’Henri Meschonnic, Jean Cohen, Michel Jarrety pour aboutir à la Poétique négro-africaine. C’est de ces différentes conceptions ou approches de la Poétique que nous essayerons de retenir une définition applicable à notre travail. Il ne s’agit pas de confronter les Poétiques mais de voir les différentes conceptions de la Poétique d’un auteur à un autre. C’est par une synthèse conclusive que nous allons dégager ou appréhender une Poétique avec laquelle nous travaillerons. Quant à la Francophonie, nous essayerons de voir l’idée qu’elle revêtait lorsqu’Onésime Reclus l’employa en 1880 avant qu’elle devienne un concept ou une institution. Pour mieux appréhender l’idée ou le concept de la Francophonie, nous nous attarderons sur ce qu’ont dit Xavier Deniau, Marc Gontard, Farandjis Stélio, Eugène Travares, Aïssata Kindo, René Gnalega, et même Senghor, sans oublier les auteurs qui sont hostiles à la Francophonie.
    1. LA POÉTIQUE
    Longtemps liée à la poésie, la poétique s’étend à tous les genres littéraires, et elle est propre à chaque auteur. En effet, la poétique prend naissance avec le livre célèbre d’Aristote qui, pour lui, est l’art de l’imitation. Aristote considère la poésie comme « une imitation dans le cadre de tous les arts qui relèvent d’elle : l’épopée, le poème tragique, la comédie, le dithyrambe, la peinture, la musique, la danse. » 
    Bien avant de ‘’décortiquer’’ ce concept, il est bon que nous sachions que la poétique, de manière générale, « désigne le système poétique d’un écrivain, c’est-à-dire la conception qui est le fondement de son art en sa qualité d’écrivain, qu’il soit poète, romancier, nouvelliste, conteur, dramaturge ou essayiste. »  Elle a donc recours à deux réalités : d’abord elle est désignée comme l’ensemble des règles présidant à l’élaboration des œuvres poétique (principes, règles, théories). En ce sens, le terme désigne alors « l’ensemble des principes esthétiques qui guident un écrivain dans son œuvre » . Autrement dit, elle est l’ensemble de règles construites qu’un auteur donné est censé respecter. Enfin, elle renvoie à l’ensemble des procédés utilisés par un auteur, et qui fait de son texte un texte littéraire (méthode, pratique, étude). Elle permet alors de saisir l’unité et le sens du texte parce qu’elle obéit au principe scientifique. Revenons-en au concept, selon Aristote.
    La poétique d’Aristote est la plus ancienne et elle se borne à être une théorie relative à certains types de discours littéraires, voire vers la création d’œuvres futures. Tandis que l’art poétique d’Horace intitulé l’Épitre aux Pisons est un ensemble de conseils aux poètes futurs. Pour Horace, l’harmonie doit être la règle de toute écriture. Cependant, il dit que la poétique ne doit pas aller « jusqu’à permettre l’alliance de la douceur et de la brutalité, l’association des serpents et des oiseaux, des tigres et des moutons » . Horace sait et reconnaît aux poètes le droit de créer des mots pour traduire des idées jusque-là inconnues.
    La Poétique d’Aristote, et d’Horace sont de l’Antiquité. À la Renaissance, elles seront reprises et mises en cause par Thomas Sébillet, Pierre de Ronsard, Joachim du Bellay. À l’encontre de Thomas Sebillet, Joachim du Bellay propose sa Poétique intitulée Défense et Illustration de la langue Française, à laquelle adhérera particulièrement Pierre de Ronsard. Du Bellay réclame pour le poète un humanisme profondément assimilé, c’est-à-dire totalement instruit des lettres ; ce dernier « doit être un homme instruit, cultivé ; car il ne doit parler dans ses poèmes que de ce qu’il sait. »  Pour cela, il doit imiter les anciens, car « c’est que sans l’imitation des Grecs et Romains nous ne pouvons donner à notre langue l’excellence et lumière des autres plus fameuses. »  Et pour enrichir la langue, le poète doit s’instruire et se cultiver car « l’amplification de notre langue ne peut se faire sans doctrine et sans érudition » , et aussi « (…) les poètes n’ont pas le droit d’être médiocres, il leur est refusé par les dieux, par les hommes et par la publicité. »  Il faut lire et relire, imiter et non faire une traduction ni une reproduction. Il s’agit d’imiter pour rénover. Avec la Renaissance, la Poétique devient des préceptes, des leçons à soumettre à tous les poètes français, présents et futurs, même à ceux qui utiliseront le français et qui ne seront pas Français.
    À l’ère du Classicisme, les auteurs se sont levés et ont proposé leur Poétique. De toutes ces Poétiques (La poétique de Jules de Mesnardière, Les Réflexions sur la Poésie Française de Rapin, L’Art Poétique du Sieur Colletet), c’est celle de Nicolas Boileau qui marqua l’époque classique et influencera les poètes. Avec Boileau, la poétique devient un ensemble de règles de versification, de prosodie, de métrique, de rhétorique… « de l’art pour l’art » car toute œuvre doit être utile et agréable. L’Art Poétique de Boileau définit un code à la poésie car cette Poétique corrige « les poètes par sa critique. » Ce fait est rejeté par Charles H. Boudhors. Selon lui, Boileau a interprété, traduit le goût, les tendances, l’expérience de camaraderie, et des cercles d’amis où il a écouté et discuté. L’Art Poétique a agacé certains écrivains, tel que Victor Hugo.
    Quant à Victor Hugo, il est de l’époque Moderne. C’est dans la préface de Cromwell qu’il contestera les Poétiques de ses devanciers.
    Devant cette impasse, Hugo réclame pour l’artiste le droit d’être créateur, et le devoir de créer, sans modèle. L’artiste doit donc s’affranchir de la tutelle de ses devanciers au nom de la liberté de l’art. En d’autres termes, il n’y a ni règles, ni modèles qui vaillent. 
    Pour lui, le poète ne doit pas être contraint ; il plaide pour la liberté de l’art. Nous constatons que la Poétique, selon Victor Hugo, est la liberté qu’a le poète de créer sans obligation, sans se fixer des règles ou des préceptes. Les théoriciens contemporains vont récupérer la Poétique selon Hugo, voire selon Boileau ou selon Roman Jakobson, pour la défaire et l’orienter davantage dans tous les genres littéraires et sur l’écriture propre à l’auteur.
    Parlons de la Poétique de Roman Jakobson, car elle fut le soubresaut des différentes conceptions de la Poétique du temps contemporain. Roman Jakobson, avec les six fonctions de langage va révolutionner la manière d’approcher les textes littéraires. Ce n’est pas à vraiment parler une Poétique, il préfère le terme « fonction poétique ». Selon Roman Jakobson, la fonction poétique vise l’esthétique de l’énoncé ou de l’énonciation, et cette fonction poétique ne concerne plus la poésie mais tous les genres littéraires, car il s’agit de mettre l’accent sur le message pour son propre compte, c’est-à-dire significatif par la forme et le fond, mieux le signifiant (texte, forme, structure) et le signifié (sens, signification).
    On connaît la proposition de Jakobson selon laquelle l’objet de la discipline à constituer n’est pas l’œuvre, ni même la littérature en tant qu’ensemble d’œuvre, mais bien la "littérarité", c’est-à-dire le caractère abstrait qui fait d’une œuvre donnée une œuvre littéraire. 
    Sachant qu’une œuvre littéraire n’est pas forcément poétique, certains théoriciens vont apporter des précisions, voire proposer d’autres méthodes d’approches (Stylistique, Sémiotique, Structuralisme…). Cependant, d’autres, vont essayer de délimiter ce concept qui est la Poétique, et qui semble être un vaste concept, sujet à polémiques.
    Parmi eux, Henri Meschonnic qui essayera de définir la Poétique. Selon lui, la Poétique est « essentiellement liée à la pratique de l’écriture » , ce qui sous-entend le style de l’écrivain. Quant à Michel Jarrety, il dira de la Poétique qu’elle « définit les lois de fonctionnement de la littérature, analyse et fixe également les règles auxquelles les écrivains doivent se tenir.»  Or, Jean Cohen, dans le Haut langage : théorie de la poéticité, que cite Jean Marie Klinkenberg, dira que « la poétique doit se montrer capable de passer des mots aux choses ». Et Senghor de dire qu’« il suffit de nommer la chose pour qu’apparaisse le sens sous le signe. Car tout est signe et sens en même temps pour les Négro-Africains.» 
    Avec Senghor, nous entamons la Poétique négro-africaine. Il faut avouer que la littérature négro-africaine n’est basée sur aucune théorie littéraire, c’est-à-dire qu’il n’y a pas eu véritablement de Poétique écrite qui ait eu sur les écrivains un impact du type de celui de l’Art de la Poétique de Boileau ou de la Préface de Cromwell de Victor Hugo. Néanmoins certains écrivains négro-africains ont eu l’audace d’écrire une sorte de Poétique, tels que Léopold Sédar Senghor et Jean-Baptiste Tati-Loutard. Senghor, en voulant se défendre contre ses détracteurs, a en même temps défendu les autres poètes nègres, et par ricochet toute la poésie négro-africaine. Et cette défense en est devenue une Poétique. L’on appréhende cette Poétique dans la postface de son œuvre poétique Éthiopiques intitulée Comme les lamantins vont boire à la source et aussi dans la majeure partie de ses œuvres poétiques. En définissant sa poésie, Senghor rejoint par moment les autres Poétiques déjà soulignées par l’imitation, par la liberté de créer… Il reconnaît qu’il a beaucoup imité :
    J’ai beaucoup lu. Et beaucoup imité…À la découverte de Saint John Perse après la libération je fus ébloui comme Paul sur le chemin de Damas. […] [Cependant] si l’on veut nous trouver des maîtres, il serait plus sage de les chercher du côté de l’Afrique. Comme les lamantins vont boire à la source du simal. 
    Cette Poétique a une particularité. En effet, ce qui fait la poésie négro-africaine, c’est la musique. Le poème doit se chanter, se méditer, se réciter ou se psalmodier, c’est pourquoi, Senghor met généralement en tête de ses poèmes un instrument de musique (les instruments de musique abondent dans ses poèmes).
    Lorsqu’en tête d’un poème, je donne une indication instrumentale, ce n’est pas simple formule. Le même poème peut donc être récité […] psalmodié ou chanté [ou] on peut réciter le poème en s’accompagnant d’un instrument de musique : tam-tam, tama, kôra, khalam… 
    Pour Senghor, la poésie négro-africaine doit pouvoir exprimer dans toutes ses composantes l’émotion nègre, car c’est le chant qui est le nerf du poème, il est le poème même. En d’autres mots, le poème doit être une émotion. Cela transparaît dans ce verset extrait de Que m’accompagnent Kôras et Balafong :
    J’ai choisi le verset des fleuves, des vents et des forêts
    L’assonance des plaines et des rivières, choisi le rythme
    de sang de mon corps dépouillé
    Choisi la trémulsion des balafongs et l’accord des cordes
    et des cuivres qui semble faux, choisi le 
    Swing le swing oui le swing ! 
    Et Jean Dodo  de renforcer l’assertion de Senghor en ces termes :
    Il me plaît l’alexandrin pur et classique
    Scandé avec césure où l’hiatus est sacrilège
    Il me plaît le merveilleux sonnet
    Aux formes sonores savantes et régulières
    Mon vers de liberté veut être livre
    Improvisé comme le serment d’amour
    Long comme la route longue et rouge
    De pénétration et de dépendance
    Long comme le son qu’égrène patiemment mon balafong des champs
    Menu comme le pas de l’enfant qui danse
    Va de la mère au père
    Pèlerin symbolique de l’amour du monde.
    Dans cet extrait, nous voyons la Poétique défendue par Nicolas Boileau, cependant, Jean Dodo rejette cette Poétique pour affirmer la sienne qui est l’émotion nègre rythmée « comme le son qu’égrène patiemment [son] balafong des champs, comme le pas de l’enfant qui danse. » C’est en cela qu’il rejoint Senghor. Le rythme est l’une des caractéristiques de la poésie Senghorienne.
    Senghor a des formules particulières pour définir le rythme. Le rythme, dit-il, c’est le nombril du poème, il naît de l’émotion, et engendre à son tour l’émotion et l’humour… 
    Et Senghor ajoutera que le rythme n’est pas seulement dans les accents du français modernes, mais il est, pour les poètes nègres,
    …aussi dans la répétition des mêmes mots et des mêmes catégories grammaticales, voire l’emploi-instinctif- de certaines figures de langue : Allitération, associations, homéotéleutes, etc. 
    Pour Senghor, la Poétique peut-elle se définir comme le rythme émotionnel de la parole capable « de nommer la chose pour qu’apparaisse le sens sous le signe » . Qu’en est-il de Jean-Baptiste Tati-Loutard ?
    Jean-Baptiste Tati-Loutard a écrit un texte intitulé La Vie Poétique.  Sa Poétique est un texte didactique qui donne des préceptes à des poètes de sa génération ou aux poètes futurs. Il ne défend pas une poésie quelconque. Il reconnaît que les écrivains, surtout les poètes, doivent imiter : « voilà pourquoi le poète est d’abord un imitateur »  ; cela ne les empêche pas d’être libres dans leur création. C’est pourquoi il recommande le recours aux termes anciens ou aux néologismes pour exprimer ce que les hommes attendent ; comme le souligne J. P. Makouta-Mboukou :
    Le recours aux termes anciens ou aux néologismes pour exprimer des réalités nouvelles a été toujours prêché par tous les auteurs de poétique, Tati-Loutard ne ferait pas exception. Et comme eux, Tati-Loutard connaît la puissance des mots.  [Cependant] il faut éviter les discussions de prosodie : vers classique ou libre ; le poète enfourche le cheval qui lui convient le mieux. 
    Il ressort de cet extrait que La Vie Poétique recommande imitation et liberté aux poètes, voire aux écrivains. La Poétique, selon Tati-Loutard, s’appréhende par la liberté scripturale du poète et la mimesis.
    Il nous semble que la question y demeure toujours ; celle de savoir ce qu’est la Poétique. Jean Pierre Makouta-Mboukou a essayé de répondre à cette question dans Les Grands traits de la poésie Négro-Africaine : Histoire-Poétiques-Signification. C’est avec lui que nous allons à notre tour essayer de répondre à la question posée. 
    Il commence d’abord à dire ce que la Poétique n’est pas. Pour lui, la Poétique n’est pas une critique ni une histoire littéraire, parce que les différentes Poétiques passées en revue « n’ont pas visé une critique quelconque d’œuvres particulières »  ; et aussi comme le dit Gérard Genette la Poétique s’oppose à l’histoire littéraire. En effet, la Poétique est, comme le souligne Gérard Genette, une théorie générale des formes littéraires, alors que l’histoire littéraire est un bilan, une somme de discours littéraires réels, et à tout moment, une donnée de l’histoire humaine. La poétique serait donc l’acte de créer, de susciter la vie, de communiquer une étincelle, de fabriquer l’œuvre, comme le dirait Henri Meschonnic, « liée à la pratique de l’écriture.» 
    Au vu de tout ce qui précède, nous constatons que le problème est que le terme a pris des acceptions non seulement diverses mais contradictoires. Retenons que la Poétique était à l’origine une théorie (ensemble de règles construites à respecter) et au fil du temps une méthode (l’ensemble de procédés utilisées par un auteur). Cependant, nous dirons que la Poétique est la manière de dire ce que l’on ressent tout au fond de son âme, c’est cette possibilité de dire ses pensées sans contraintes pour susciter l’émotion chez l’autre. Et chaque auteur a sa manière propre à lui d’organiser ses pensées pour les dire au grand jour, « sa technique, sa façon de présenter ses vérités et ses beautés pour les rendre pénétrantes et par-là mêmes plus fortes.»  Et lorsque nous appréhendons la Poétique comme méthode d’approche ou d’analyse des textes dits poétiques, il ne faut pas exclure l’interprétation.
    On se rend en effet compte, à l’expérience, qu’une réflexion théorique sur la poétique, comme le signale Todorov, si elle ne s’appuie sur les données des œuvres réelles, cette poétique est stérile et inopérante. Ce qui signifie qu’à chaque fois la poétique est précédée et suivie de l’interprétation des œuvres. C’est en s’appuyant sur les œuvres existantes qu’une réflexion générale sur la littérature peut être élaborée. Car c’est à l’intérieur même de la littérature que la poétique cherche ses lois. Elle est donc une approche à la fois "abstraite" et "interne" de la littérature. 
    Et Jarrety Michel de renforcer les dires de Makouta-Mboukou, en ces termes : 
    La poétique sera passée du versant de l’écriture et de la création à celui de la lecture et de l’interprétation. Cette poétique moderne est en effet directement issue du renouvèlement que le terme a connu au siècle dernier. 
    Chercher donc dans le texte la manière dont l’auteur exprime ses pensées, ses idées, son être, la vie ou la manière dont il dit ce qu’il ressent est une façon ou d’une autre de dire sa Poétique. Ce qui sous-entend que la Poétique est la recherche des procédés mis en action dans le texte pour dire et traduire ce que l’on ressent, et qui fait de ce texte une particularité, une originalité, une marque déposée. Par Poétique, nous voulons donc appréhender l’écriture particulière de Senghor qui fait de ses poèmes une particularité, car elle (la Poétique) est « l’étude de l’art littéraire en tant que création verbale »  ou l’écriture de la valeur d’une œuvre. Autrement dit, il s’agit d’identifier les procédés d’écriture propre à Senghor suivis de leur interprétation, et d’examiner les différentes façons d’exprimer littéralement (poétiquement) la Francophonie. Quelle est donc cette Francophonie ?
    2. FRANCOPHONIE
    Le terme Francophonie apparaît en 1880 sous la plume du géographe Onésime Reclus pour désigner la communauté linguistique et culturelle que la France constitue avec ses colonies. Pour Onésime reclus, la France fait œuvre civilisatrice outre-mer en se servant de la langue qui est l’un des instruments de la mission civilisatrice. Le terme disparaît pendant la moitié du XXe siècle, seul l’adjectif « francophone » est utilisé. Cet adjectif figurant dans les dictionnaires désignait les personnes « dont le français est la langue maternelle. » À l’origine, la Francophonie, en tant que le fait de parler français, était une composante de la politique étrangère de la France, elle n’a fait que tout simplement appliquer dans ses colonies certains principes qui lui étaient chers. Aujourd’hui, lorsqu’on parle de Francophonie, certains Africains restent prudents car ils la voient comme un instrument de la recolonisation des pays africains. Ce qui est nié par les spécialistes de la Francophonie ou par les Francophonistes.
    […] La langue française est médiatrice et non pas impératrice.  [Ou] un autre contresens largement répandu est de penser que la Francophonie est un instrument aux mains de la France, au service de sa propre stratégie d’influence  [car] la langue française est le bien commun de tous ceux qui la parlent et nous aurions tort d’enfermer sa défense et son illustration


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  • MINISTÈRE DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
    UNIVERSITÉ FÉLIX HOUPHOUËT BOIGNY
    U.F.R LANGUES, LITTÉRATURES ET CIVILISATIONS
    Département de Lettres Modernes
    Mémoire de Master 2
    Parcours : Langues et Civilisations Africaines
    Option : Poésie, Poétique et Psychocritique
    Présenté par :
    BOUATENIN
    Adou Valery Didier Placide
    Copyright
    Bouatenin, 2014-2015
    Mémoire de Master 2
    Option : Poésie, Poétique et Psychocritique
    Aux membres de ma famille,
    À tous ceux qui sont pour le dialogue des cultures
    À mes amitiés et amours
    « Entrer dans une œuvre, c’est changer d’univers, c’est ouvrir un horizon. L’œuvre véritable se donne à la fois comme une révélation d’un seuil infranchissable et comme pont jeté sur ce seuil interdit. Un monde clos se construit devant moi, mais une porte s’ouvre, qui fait partie de la construction. L’œuvre est tout ensemble une fermeture et un accès, un secret et la clé de son secret. Qu’elle soit récente ou classique, l’œuvre impose l’avènement d’un ordre en rupture avec l’état existant, l’affirmation d’un règne qui obéit à ses lois et à sa logique propre : en présence de l’œuvre, je cesse de sentir et de vivre comme on sent et on vit habituellement. J’assiste à une destruction préludant à une création […] La contemplation de l’œuvre implique une mise en question de notre mode d’existence et un déplacement de toutes nos perspectives [...] : passage de l’insignifiant à la cohérence des significations, de l’informe à la forme, du vide au plein, de l’absence à la présence.» 
    « Africains, mes frères, vous semblez n’avoir plus rien à dire,
    Depuis que se sont tus les chantres de la Négritude. Qu’on se détourne donc un peu de ces cris onomatopéiques ! La négritude n’a eu qu’un seul tord : n’avoir pas assez creusé le thème pour rencontrer des cultures vivantes. » 
    « Si nous avons pris l’initiative de la Francophonie, ce n’est pas pour des motifs économiques ou financiers. Si nous étions à acheter, il y aurait, sans doute plus d’un plus offrant que la France. Et si nous avons besoin d’assistants techniques francophones de haute qualification, c’est qu’avant tout, pour nous, la Francophonie est culture ».
     
    REMERCIEMENTS
    Nous tenons à exprimer notre profonde gratitude à tous ceux qui ont contribué directement ou non à la réalisation de ce travail.
    Nos remerciements vont à l’endroit de Docteur ADAMOU Kouakou Dongo David pour son soutien, sa rigueur, sa disponibilité.
    Nous tenons à témoigner également notre gratitude au Professeur N’GUETTIA Martin Kouadio, qui sans arrière-pensée, a accepté d’être notre directeur d’étude bien que chargé et ayant sous sa coupole plusieurs étudiants.
    Et sans oublier le Professeur BOHUI Djédjé Hilaire.
    Merci aux membres du jury pour l’attention et le temps accordés à notre travail.
    Nous disons un merci sincère aux personnels de DFI (Deustch-Französisches Institut) et Frankreich-Bibliothek à Ludwigsburg en Allemagne pour les livres et les documents mis à notre disposition, sans oublier les membres du projet WERTEWELTEN de l’Université EBARHARD KARLS de Tübingen (Allemagne).
    Merci aux personnes qui nous ont orienté dans l’analyse de notre sujet à travers échange et discussion intellectuels.
    Notre infinie gratitude aux parents et amis pour le soutien tant moral que financier, et surtout pour la correction apportée à notre travail,
    À toutes ces personnes sus-mentionées je dis :
    “Mi da wasi mo, mo, mo
    Adiε bε tshin wa
    Mi da wasi
    Mi da wasi asan” 
    AVANT-PROPOS
    Le premier contact avec la poésie de Senghor fut au lycée, son œuvre poétique Chants d’ombre était au programme. Les questions à l’ordre du jour étaient celle de la Négritude du retour aux sources, du royaume d’enfance avec les poèmes tels que "Joal", "Femme noire", "Prière aux masques". Senghor, hormis son œuvre, nous savons qu’il avait été président de la république du Sénégal. Arrivé à l’université, notre deuxième année fut le deuxième contact avec l’œuvre poétique senghorienne. Ce deuxième contact nous donna une lecture différente de ce que nous avons eu lorsque nous étions encore lycéen. Notre amour pour la littérature en général, et pour la poésie en particulier, était porté sur les poètes français tels que Victor Hugo, Verlaine, Arthur Rimbaud, Pierre de Ronsard, Jean de la Fontaine que notre mère nous fit découvrir aux cours primaires. La curiosité nous fit découvrir Senghor, sa poésie, sa Négritude, la Francophonie. Durant notre séjour en Allemagne, précisément à Ludwigsburg, nous avons échangé avec Monsieur Gueye, de nationalité sénégalaise, travaillant aux services de l’intégration à la mairie de ladite ville, à propos de Senghor et de sa Négritude. En tant que Sénégalais, il défendait bien sûr son compatriote. Cependant, ses arguments nous poussèrent à revoir nos prises de notes durant notre recherche pour appréhender Senghor. Pour nous, Senghor revêtait le manteau de la Francophonie pour exprimer sa Francophobie. Avec cette idée conçue et nourrie, nous avons entamé à nouveau des recherches pour la justifier. Ce fut ainsi que les livres et les écrits traitant de sa personnalité, de sa Négritude, de la Francophonie consultés à la bibliothèque de l’institut Franco-allemand ("Deustch-Französisches Institut" et Frankreich-Bibliothek) nous ont révélé un homme stable dans ses pensées et dans ses actions, un homme qui cherchait à concilier Négritude et Francophonie. De retour en Côte d’Ivoire, nous avons formulé un sujet pour une inscription en année de recherche. Nous voulions alors montrer que Senghor exprimait une sorte de francophobie car, pour nous, Négritude et Francophonie sont deux concepts inconciliables de par leurs définitions et leurs modes d’action.
    Nous nous sommes donc présenté au bureau du Docteur ADAMOU au CNRTO (Centre National de Recherche en Tradition Orale) pour lui soumettre notre thème de recherche. Il estima le thème polémique, vu que Senghor est connu pour être un amoureux de la langue française, voire un défenseur acharné de cette langue qui lui a valu d’être élu à l’Académie française. Nous avons à nouveau repris les recherches, revu notre lecture de ses œuvres et des écrits sur lui. À l’issue de tout cela, nous avons découvert l’homme aux multiples facettes. Nous avons observé à cet effet que l’une des facettes fondamentales, la moins étudiée sans doute jusqu’ici, mais la moins pertinente, était la Francophonie. D’où  notre sujet de mémoire : « La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : "Que m’accompagnent Koras et Balafong" (Chants d’ombre) et "Chaka" (Éthiopiques)».
    SOMMAIRE
    Introduction pp.8-15
    PARTIE I : La poétique de la Francophonie pp.16-40
    Chapitre I-Analyse de concepts pp.19-32
    Chapitre II-Existe-t-il une poétique de la Francophonie ? pp.33-40
    PARTIE II : Négritude et Francophonie : Deux concepts chers à Senghor pp 41-72
    Chapitre I-Senghor entre Négritude et Francophonie pp.46-62
    Chapitre II-Senghor, de la Négritude à la Francophonie pp.63-72
    PARTIE III : Francophonie, l’accomplissement de la Négritude pp.73-105
    Chapitre I- La réhabilitation du continent africain pp.81-92
    Chapitre II-Défense et Illustration de la culture francophone pp.93-105
    Conclusion pp.106-108
    Bibliographie pp.109-118
    Table des matières pp.119-120
    INTRODUCTION
    La poétique  est un mot de diverses significations. Elle est tantôt appréhendée comme une théorie interne de la littérature (genre littéraire), tantôt comme une théorie d’interprétation du fait littéraire. En effet, la poétique se veut donc trouver les règles générales de la littérature ou d’un certain canon de littérature. Combinaison de sonorité, du rythme, de tonalité ; création avec les mots, esthétique d’un texte…, la poétique varie d’un auteur à un autre. Henri Meschonnic dit de la poétique qu’elle est « essentiellement liée à la pratique de l’écriture. De même que cette pratique est conscience de langue ; la poétique est la conscience de cette conscience. »  Michel Jarrety la définit comme celle qui «  définit les lois de fonctionnement de la littérature, analyse et fixe également les règles auxquelles les écrivains doivent se tenir. »  Le mot poétique, d’un spécialiste à un autre, d’Aristote à Henri Meschonnic, en passant par Boileau et Roman Jakobson ainsi que bien d’autres, varie de significations et d’appréhensions. Cependant, nous retenons de ces auteurs que la poétique se donne la tâche de chercher les éléments de la littérature et les règles selon lesquelles ces éléments sont assemblés ; elle essaie d’écrire une grammaire, de traiter tout le domaine du discours créatif, parole et écriture. On dit d’un texte qu’il est poétique lorsqu’il, par sa lecture ou par son étude, suscite une émotion esthétique sur la sensibilité et l’émotivité du lecteur en tenant compte de l’architecture rythmique  du texte et du degré d’émotivité et de sensibilité. Donc pour appréhender la poétique d’un texte, ce n’est pas seulement la prosodie, l’étude des rythmes, la versification, la métrique ; ce n’est pas aussi l’expliquer littéralement ou rhétoriquement, mais de voir d’autres méthodes ou théories car la poésie est un champ de possibilités interprétatives, et nous risquerions de ne pas saisir la signification du texte. Car « la production poétique ne correspond pas forcément aux idées qu’on a sur elle. »  Pour mieux saisir la poétique, il faut voir du côté du lyrisme, des émotions, du « faire » et des actes de l’écriture, comme l’affirme Hermann Broch . Nous trouvons cette particularité dans la poésie africaine : le lyrisme des mots; et surtout dans la poésie senghorienne où le lyrisme signifie « poésie qui exprime des émotions, des sentiments intimes au moyen de rythmes, d’images propres à les transmettre au lecteur.» ou « la monotonie du ton [est] le sceau de la Négritude, l’incarnation qui fait accéder à la vérité des choses essentielles.»  Mieux « l’œuvre et la pensée de Léopold Sédar Senghor semblent marquées par le sceau de la Francophonie et de la Négritude, comme deux facettes d’une réalité dialectique qui serait constamment alimentée de l’intérieur par la complémentarité et la dualité. Tout en prônant son attachement aux valeurs culturelles négro-africaines, le poète-académicien ne cache pas son amour pour la langue française » .
    D’où l’essence de notre sujet de mémoire : « La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : "Que m’accompagnent Koras et Balafong" (Chants d’ombre) et "Chaka" (Éthiopiques)». En effet, « la poésie, exploration du monde et de la vie, est comme la science, au cœur de la connaissance, [et] la connaissance est l’aboutissement provisoire d’un processus, celui de l’appropriation d’un objet, d’un fait, d’un phénomène, d’une manière de comprendre. Elle est médiatisée par un savoir antérieur qui s’incarne dans différents discours. Par eux transite l’intentionnalité de l’énonciateur, sa tentative de produire, de manipuler, d’organiser, de recevoir et de manifester un savoir» , c’est-à dire l’on façonne le monde ou la vie par la poésie comme la science cherche à comprendre le monde ou la vie avec les éléments propres au monde ou à la vie pour donner un sens à notre existence. Faire la poésie, c’est donc s’approprier des éléments de la langue ainsi que ses mécanismes pour produire le savoir, pour représenter et reproduire des sens , et Senghor, de par sa poésie, s’approprie la langue française pour véhiculer sa vision culturelle, et surtout pour peindre deux concepts qui lui sont chers, à savoir la Négritude et la Francophonie. Si l’on admet que la poétique concerne l’écriture, l’agencement des mots, et ce que cela signifie et produit sur la sensibilité et l’émotivité du lecteur, alors , par la poétique de la Francophonie nous entendons la manière dont Senghor agence les mots pour dire la Francophonie dans son œuvre poétique immergée dans « le verset des fleuves, des vents et des forêts/ L’assonance des plaines et des rivières, […] le rythme »  de la Négritude.
    Pourquoi Senghor et non pas un autre poète africain ou un poète quelconque ? Senghor, certes, a été beaucoup critiqué et étudié. Cependant, si aujourd’hui il continue à être au centre des recherches, c’est parce qu’il reste dans son œuvre des zones non encore explorées ou insuffisamment analysées par les critiques littéraires. Ses poèmes, sa Négritude, sa vision du monde, sa Francophonie font de lui un homme à multiples facettes. Grammairien, poète, politique, négritudien, francophoniste, il avait assez de cordes à sa « Kora », comme Orphée , pour « charmer » les critiques qui continuent de faire couler encore l’encre de leur plume. Tous veulent s’approprier l’héritage littéraire, à la fois compact et complexe, laissé par Senghor. Un moment de sa vie, il lui a fallu affirmer son être : « […] il fallait d’abord nous débarrasser de nos vêtements d’emprunt, ceux de l’assimilation, et affirmer notre être, c’est-à-dire notre négritude. »  Et quelle que soit sa prise de position, Senghor est resté dans la même logique de sa pensée : la symbiose des cultures. « Il est extrêmement difficile de se prononcer sur le cheminement du Président Senghor lorsqu’on le définit sur la Négritude et la Francophonie. […] Aussi curieux que cela paraisse, Senghor ne sembla jamais avoir ressenti la Négritude et la Francophonie en termes de déchirement, ni même d’opposition », se justifie Lilyan Kesteloot . Senghor s’est fait le poète de la Négritude et le chantre de la Francophonie. Nous voyons deux faces du poète : Négritudien et Francophoniste. Deux termes divergents, chantés et conciliants. C’est donc cette ambiguïté chez le poète qui nous a amené à formuler le sujet de notre mémoire. La Francophonie est d’actualité, et un nombre important d’articles et d’écrits a été édité sur elle. Le mot « Francophonie » est apparu « en 1880 sous la plume d’Onésime Reclus […] pour désigner la communauté linguistique et culturelle que la France constitue avec ses colonies »  et « s’est enrichi au fil du temps de significations nouvelles »  avec Senghor.  « Il nous a dès lors paru que ses pensées étaient toujours d’actualité et que ses écrits méritaient d’être lus à nouveau »  pour mieux appréhender la redéfinition de la Francophonie afin de l’intégrer dans un monde où l’identité culturelle universelle est encore incomprise. Parler de la Francophonie dans l’œuvre de Senghor, c’est aussi parler de la Négritude et de la symbiose culturelle. Parler donc de la Négritude revient à appréhender l’histoire et l’expérience de vie que renferment les poèmes des négritudiens, surtout de Senghor, car « les poèmes sont un langage d’expérience. Une forme de vie qui transforme une forme de langue, une forme de langue qui transforme une forme de vie. Le poème est ininterrompu »  ou une « œuvre ouverte.»  Et aussi, du fait que les traits de la Négritude ont été mieux affirmés en poésie que dans les autres genres littéraires. Et parce que « l’œuvre poétique de Senghor renferme presque toutes les normes d’appréciation qui caractérisent l’originalité de la Négritude» , parce qu’aussi, « ce qui fait la négritude d’un poème, c’est moins le thème que le style, la chaleur émotionnelle qui donne vie aux mots, qui transmue la parole en verbe. »  C’est ainsi que nous avons opté pour la poésie, la poétique et la psychocritique en général, et en particulier les littératures et civilisations africaines comme domaine de recherche pour mieux exploiter notre sujet dont l’auteur de l’œuvre support est un Africain.
    Il ne s’agira pas pour nous d’étudier l’emploi du terme « Francophonie » dans l’œuvre de Senghor mais de montrer comment ce mot en tant que concept est mis en évidence dans ses œuvres pour manifester l’ouverture des cultures, surtout la symbiose culturelle. Mieux, nous voulons montrer que les œuvres ou les textes poétiques de Senghor sont un manifeste de la Francophonie. C’est dire que les poèmes de Senghor sont l’empreinte indélébile de la Francophonie. Au lieu de saisir la poétique de la Francophonie dans les cinq tomes de Liberté ou dans les essais et articles écrits par Senghor de son vivant ou par d’autres critiques, il serait bon de l’appréhender dans ses œuvres poétiques. C’est aussi montrer que la Francophonie défendue par Senghor est le nouveau visage de la Négritude Senghorienne perceptible dans ses poèmes. Ce nouveau visage se résume dans son concept la symbiose culturelle. 
    De ce travail, nous nous sommes donné l’objectif d’étudier « l’interculturalité » dans la poésie afin d’appréhender le caractère humaniste que renferme le concept de la Francophonie. Notre objectif principal est de montrer que les textes poétiques de Senghor ne sont pas seulement l'expression de la Négritude mais qu'ils sont aussi l'expression de la Francophonie, et que la poésie senghorienne est le fondement même de ce concept. Le problème central de notre étude est celui de l’identité culturelle chez Senghor, l’un des pères fondateurs de la Négritude et de la Francophonie, sachant bien que « le problème central de la francophonie n’est donc pas seulement celui de l’identité, ainsi que le répètent inlassablement écrivains et commentateurs, mais de l’unité d’un sujet divisé. »  Il se définit tantôt comme négritudien en se faisant théoricien de la Négritude, tantôt comme francophoniste (spécialiste de la francophonie). « Léopold Senghor qui fut et reste le seul théoricien de cette Négritude-idéologie… la défend avec beaucoup de subtilité et d’énergie, ne cessant de modifier, d’ajuster en fonction des critiques qui lui sont faites »  pour finalement réaliser une harmonieuse symbiose des contraires, concept défendu « à travers la Francophonie » . De ce fait, nous pouvons affirmer que la question de l’identité culturelle a été le leitmotiv de la poésie senghorienne. Aborder la Francophonie dans les poèmes de Senghor, c’est toucher le problème de l’identité culturelle. C’est la raison pour laquelle nous porterons ici les interrogations qui découlent du problème de notre sujet. La double posture négritudienne et francophoniste de Senghor n’infère-t-elle pas une astuce pour le poète d’élucider une réalité baptisée « symbiose culturelle » ? Il se pose la question de savoir si la Francophonie n’est pas chez Senghor la forme achevée de la Négritude. La difficulté est de savoir comment le poète a pu concilier des concepts en principe irréductibles. Comment les œuvres poétiques du poète mettent-elles en évidence la poétique de la Francophonie ? Mieux, comment se fait la découverte de la diversité des composantes culturelles dans les poèmes de Senghor ? Comment Senghor se définit-il en tant que poète francophone dans ses poèmes ? Le nerf des questions est de savoir comment l’écriture de la Francophonie se manifeste dans les poèmes de Senghor. Mieux comment les poèmes de Senghor expriment-ils le concept  « Francophonie » ?
    Pour répondre aux différents problèmes spécifiques de notre sujet, nous nous sommes proposé d’analyser le discours du poète et « la psychologie individuelle de l’auteur » , à travers la théorie de l’énonciation et la psychocritique. En effet, la théorie de l’énonciation permettra de saisir le sujet-parlant dans son propre discours, car « la problématique de l’énonciation "c’est la recherche des procédés linguistiques par lesquels le locuteur imprime sa marque à l’énoncé, s’inscrit dans le message et se situe par rapport à lui" » . Car nous sommes convaincu que c’est à travers le langage que nous pourrions saisir la subjectivité . Quant à la psychocritique, elle recherche, isole et étudie l’expression de la personnalité inconsciente de l’auteur dans le texte. Elle permettra donc de dégager le mythe personnel de l’auteur dans ses écrits. Elle tâchera aussi de mettre en exergue l’identité culturelle du poète et celle de l’homme partagé entre les cultures européennes et africaines en éprouvant la nostalgie du royaume de l’enfance . Par cette méthode, nous émettons l’hypothèse qu’à partir de notre sujet, l’on pourrait ressortir le phantasme inconscient de Senghor ayant, peut-être, présidé à la poétisation de la Francophonie. Saisir donc le sujet-parlant et dégager le mythe personnel revient à appréhender la personnalité de l’auteur. C’est dire qu’il existe une complémentarité entre la théorie de l’énonciation et la psychocritique. En effet, il faut un relevé de mots d’abord, une analyse ensuite de ces termes et une interprétation enfin ; telle est la démarche des deux théories mises en évidence dans notre étude. Cependant à propos de la psychocritique, la phase de l’interprétation fait appel à la biographie de l’auteur, en guise de vérification. Cette complémentarité réside dans le fait que dans tout énoncé, le sujet-parlant ou le sujet-écrivant qui assume la communication laisse dans ses énoncés des marques susceptibles de montrer sa subjectivité et sa personnalité, de façon volontaire ou involontaire. 
    Pour notre étude, nous avons choisi deux poèmes. Ce sont « Que m’accompagnent Koras et Balafong »  et  « Chaka » . Le premier est extrait de Chants d’ombre (1945) et est subdivisé en neuf parties numérotées en chiffre romain. Dans ce poème, il est question pour le poète d’opérer un choix entre l’Afrique et l’Europe. Le choix du poète est difficile, car il est vraiment baigné dans la culture occidentale, mais, s’il devrait choisir, il choisira donc l’Afrique. « Que m’accompagnent Koras et Balafong » est l’expression de la Négritude ; c’est dans ce poème qu’il employa pour la première fois le lexème « Négritude » . Le deuxième poème est extrait de Éthiopiques (1956). Il est constitué de deux chants. Le premier chant présente Chaka mourant, plongé dans un remords et dans une sorte de culpabilité, conversant avec une voix blanche. Le second chant est une sorte de tirade rythmée par le chœur et le coryphée. Dans ce poème, le poète, en se substituant à Chaka, donne plus de force à sa Négritude. De Chants d’ombre à Éthiopiques, onze années se sont écoulées, la Négritude du royaume de l’enfance laisse place à la Négritude de l’agneau immolé pour le peuple africain ; d’où « […] du tam-tam surgisse le soleil du monde nouveau » qui rayonnera « sur tous les peuples de la terre ». Les deux poèmes présentent une Négritude du royaume de l’enfance qui se mue en porte-parole de toutes les cultures, et montrent « un homme entièrement enraciné dans ses valeurs traditionnelles et ouvert au dialogue et aux autres cultures » . Nous voulons montrer à travers ces deux poèmes qu’il existe une poétique de la Francophonie, cela sous-entend que la signification, le sens de la Francophonie se trouverait dans les œuvres poétiques de Senghor, en l’occurrence Chants d’ombre et Éthiopiques. Nous voulons alors qu’à partir des œuvres poétiques de Senghor l’on appréhende réellement la signification première de la Francophonie, le sens de la civilisation universelle, de la symbiose culturelle, de l’identité culturelle universelle (francophone). L’identité culturelle francophone a toujours été le leitmotiv de Senghor, et ses poèmes ne sont que le support adéquat et manifeste pour matérialiser son concept aussi cher. Nous voulons aussi démontrer que Senghor adopte une écriture dite « écriture francophone », c’est-à-dire une écriture métissée (négrifiée), dans ses poèmes. Ce qui reviendrait à redéfinir la conception de la Francophonie et la définition que l’on donne aux auteurs francophones. Désormais, la Francophonie sera la symbiose parfaite des cultures ou le métissage parfait des différents aspects culturels des aires géographiques ayant le français en partage. L’on reconnaîtra à partir de la poétique de la Francophonie que tel auteur ou tel autre est un auteur francophone par rapport à tel ou tel auteur. Si l’on conçoit  la Francophonie comme étant l’acceptation des aspects culturels de tous les pays dits francophones, parce qu’ils ont la langue française en partage, nous pouvons donc dire que Senghor est un poète francophone, car sa poésie baigne dans cet apport culturel ; et par ricochet tout auteur, ou écrivain parlant français, et qui fera usage de l’écriture métissée, est aussi un auteur francophone au même titre que Senghor. Tels sont les objectifs que nous voulons atteindre en répondant aux problèmes et à la problématique de notre sujet de mémoire.
    Le premier obstacle rencontré fut le fait que Senghor est assez étudié de par le monde. Il était complexe de formuler un sujet de travail sur Senghor sans plagier tel ou tel critique. Aussi, le fait que les œuvres de Senghor sont des « œuvres ouvertes.» Et lorsque nous avons formulé le sujet, nous sommes confronté à un autre obstacle, celui de la méthode critique pour exploiter le sujet formulé. Nous étions dans l’embarras du choix.  Le dernier obstacle est celui de la complexité du mot Francophonie. En effet, la Francophonie se trouve être un domaine vaste recouvrant plusieurs réalités, et ambigüe (prêtant à confusion interprétative). 
    Nous ne pouvons traiter le sujet sans chercher la signification ou le sens de la Poétique et de la Francophonie. C’est la raison pour laquelle nous étudierons d’abord la poétique de la Francophonie, ce qui nous amène à analyser les concepts de Poétique et de Francophonie. Dans cette partie, nous nous attarderons sur l’écriture de la Francophonie. Il s’agit d’appréhender les concepts ou les notions clés de notre sujet de mémoire. À la suite de cela, nous montrerons que la Négritude et la Francophonie sont deux concepts chers à Senghor ; avant de dire que la Francophonie est l’accomplissement de la Négritude. Il est question dans la deuxième partie de montrer que Senghor ne dissocie point la Négritude de la Francophonie, car les deux concepts veulent dire la même chose et sont chers chez lui. Quant à la troisième partie, elle justifiera le fait que la Francophonie est l’accomplissement de la Négritude. Dans cette troisième partie nous montrerons que la Francophonie est l’expression accomplie de la Négritude, et que Senghor redéfinit l’identité culturelle de l’Afrique. Tel sera le plan adopté pour notre analyse.
    PARTIE I :
    LA POÉTIQUE DE LA FRANCOPHONIE
    Aucun artiste authentique ne se contentera d’offrir des matériaux bruts. Le devoir le plus pressant du Noir, pour l’instant, est de perfectionner sa technique, sa façon de présenter ses vérités et ses beautés, pour les rendre plus pénétrantes, et par là même plus fortes. 
    Avant d’aborder le travail proprement dit, il nous faut appréhender les concepts ou les notions clés de notre sujet de mémoire . Ces concepts ne sont que « la poétique » et « la Francophonie ». Par « analyse de concepts », nous voulons répondre aux questions suivantes :
    - Qu’est-ce que la poétique ?
    - En quoi un texte est-il jugé poétique ?
    - Sur quoi se fonde le caractère poétique d’un texte ?
    - Qu’est-ce que la Francophonie ?
    - De quelle Francophonie s’agit-il ?
    - Existe-t-il une poétique de la Francophonie ?
    Les notions de « poétique » et de « Francophonie » sont suffisamment complexes, mieux elles sont un champ d’interprétations diverses ; nous pouvons dire de ces concepts qu’ils sont ouverts, en empruntant le mot « ouverts » à Éco Umberto , parce qu’ils renvoient à plusieurs significations très ambigües qui tendent à la confusion, et amènent parfois à des prises de position ou à des interprétations à titre personnel ou à des contre arguments. Ce sont ces différentes interprétations, ces différents contre arguments qui rendent encore plus complexes ces concepts dans leur appréhension. C’est surtout la « Poétique » qui, aujourd’hui, demeure encore insaisissable car les auteurs la présentent comme « des règles absolues.»  Quant à la « Francophonie », elle est à la fois concept et institution, et Marc Gontard de nous avertir du piège des non-dits idéologiques de ce terme en ces propos :
    [La Francophonie], c’est un terme problématique dont il faut d’abord souligner les ambiguïtés pour éviter de se trouver pris au piège des non-dits idéologiques […] L’une des ambigüités du terme de Francophonie est donc de donner l’illusion d’une communauté culturelle subsumée par une communauté de langue : « ayant le français en partage… 
    Et le problème lié à l’appréhension de ce terme est celui de la place de la France, qui dit ne pas être de l’espace francophone parce qu’elle ne partage pas sa langue, et que la langue fait la patrie. La Francophonie, selon la majorité des Français, est le français hors de la France.
    C’est à travers notre langue que nous existons dans le monde autrement que comme un pays parmi d’autres. […] si nous reculons dans notre langue, nous serons emportés purement et simplement. […] Messieurs les ministres, Messieurs les secrétaires perpétuels, un lien étroit a toujours existé entre l’État et la langue française. 
    De cet extrait, nous constatons que la France a eu toujours l’idée que sa langue est un trésor à conserver, et c’est elle qui fait le pays et les Français.
    De ce qui précède, nous voyons que nous sommes confrontés à de vastes concepts, vastes concepts pour un sujet de mémoire, et par une erreur de délimitation ou d’orientation nous pouvons faire des amalgames. Pour éviter cette erreur fatale qui nous coûterait cher, nous nous permettrons de donner une définition de ces concepts afin de bien délimiter notre sujet pour éviter toute confusion. Nous ne prétendons pas les rendre clairs mais il s’agit pour nous de répondre aux questions mentionnées plus haut afin de circonscrire notre sujet et voir dans quelle mesure il existe une poétique de la Francophonie.
    CHAPITRE I : ANALYSE DE CONCEPTS
    Dans cette partie, nous allons analyser les termes « Poétique » et « Francophonie », voire les études antérieures concernant la « Poétique » et la « Francophonie ». Nous débuterons donc par la Poétique. En effet, il s’agira pour nous d’appréhender la Poétique d’Aristote en passant par d’autres critiques ou théoriciens contemporains tels qu’Henri Meschonnic, Jean Cohen, Michel Jarrety pour aboutir à la Poétique négro-africaine. C’est de ces différentes conceptions ou approches de la Poétique que nous essayerons de retenir une définition applicable à notre travail. Il ne s’agit pas de confronter les Poétiques mais de voir les différentes conceptions de la Poétique d’un auteur à un autre. C’est par une synthèse conclusive que nous allons dégager ou appréhender une Poétique avec laquelle nous travaillerons. Quant à la Francophonie, nous essayerons de voir l’idée qu’elle revêtait lorsqu’Onésime Reclus l’employa en 1880 avant qu’elle devienne un concept ou une institution. Pour mieux appréhender l’idée ou le concept de la Francophonie, nous nous attarderons sur ce qu’ont dit Xavier Deniau, Marc Gontard, Farandjis Stélio, Eugène Travares, Aïssata Kindo, René Gnalega, et même Senghor, sans oublier les auteurs qui sont hostiles à la Francophonie.
    1. LA POÉTIQUE
    Longtemps liée à la poésie, la poétique s’étend à tous les genres littéraires, et elle est propre à chaque auteur. En effet, la poétique prend naissance avec le livre célèbre d’Aristote qui, pour lui, est l’art de l’imitation. Aristote considère la poésie comme « une imitation dans le cadre de tous les arts qui relèvent d’elle : l’épopée, le poème tragique, la comédie, le dithyrambe, la peinture, la musique, la danse. » 
    Bien avant de ‘’décortiquer’’ ce concept, il est bon que nous sachions que la poétique, de manière générale, « désigne le système poétique d’un écrivain, c’est-à-dire la conception qui est le fondement de son art en sa qualité d’écrivain, qu’il soit poète, romancier, nouvelliste, conteur, dramaturge ou essayiste. »  Elle a donc recours à deux réalités : d’abord elle est désignée comme l’ensemble des règles présidant à l’élaboration des œuvres poétique (principes, règles, théories). En ce sens, le terme désigne alors « l’ensemble des principes esthétiques qui guident un écrivain dans son œuvre » . Autrement dit, elle est l’ensemble de règles construites qu’un auteur donné est censé respecter. Enfin, elle renvoie à l’ensemble des procédés utilisés par un auteur, et qui fait de son texte un texte littéraire (méthode, pratique, étude). Elle permet alors de saisir l’unité et le sens du texte parce qu’elle obéit au principe scientifique. Revenons-en au concept, selon Aristote.
    La poétique d’Aristote est la plus ancienne et elle se borne à être une théorie relative à certains types de discours littéraires, voire vers la création d’œuvres futures. Tandis que l’art poétique d’Horace intitulé l’Épitre aux Pisons est un ensemble de conseils aux poètes futurs. Pour Horace, l’harmonie doit être la règle de toute écriture. Cependant, il dit que la poétique ne doit pas aller « jusqu’à permettre l’alliance de la douceur et de la brutalité, l’association des serpents et des oiseaux, des tigres et des moutons » . Horace sait et reconnaît aux poètes le droit de créer des mots pour traduire des idées jusque-là inconnues.
    La Poétique d’Aristote, et d’Horace sont de l’Antiquité. À la Renaissance, elles seront reprises et mises en cause par Thomas Sébillet, Pierre de Ronsard, Joachim du Bellay. À l’encontre de Thomas Sebillet, Joachim du Bellay propose sa Poétique intitulée Défense et Illustration de la langue Française, à laquelle adhérera particulièrement Pierre de Ronsard. Du Bellay réclame pour le poète un humanisme profondément assimilé, c’est-à-dire totalement instruit des lettres ; ce dernier « doit être un homme instruit, cultivé ; car il ne doit parler dans ses poèmes que de ce qu’il sait. »  Pour cela, il doit imiter les anciens, car « c’est que sans l’imitation des Grecs et Romains nous ne pouvons donner à notre langue l’excellence et lumière des autres plus fameuses. »  Et pour enrichir la langue, le poète doit s’instruire et se cultiver car « l’amplification de notre langue ne peut se faire sans doctrine et sans érudition » , et aussi « (…) les poètes n’ont pas le droit d’être médiocres, il leur est refusé par les dieux, par les hommes et par la publicité. »  Il faut lire et relire, imiter et non faire une traduction ni une reproduction. Il s’agit d’imiter pour rénover. Avec la Renaissance, la Poétique devient des préceptes, des leçons à soumettre à tous les poètes français, présents et futurs, même à ceux qui utiliseront le français et qui ne seront pas Français.
    À l’ère du Classicisme, les auteurs se sont levés et ont proposé leur Poétique. De toutes ces Poétiques (La poétique de Jules de Mesnardière, Les Réflexions sur la Poésie Française de Rapin, L’Art Poétique du Sieur Colletet), c’est celle de Nicolas Boileau qui marqua l’époque classique et influencera les poètes. Avec Boileau, la poétique devient un ensemble de règles de versification, de prosodie, de métrique, de rhétorique… « de l’art pour l’art » car toute œuvre doit être utile et agréable. L’Art Poétique de Boileau définit un code à la poésie car cette Poétique corrige « les poètes par sa critique. » Ce fait est rejeté par Charles H. Boudhors. Selon lui, Boileau a interprété, traduit le goût, les tendances, l’expérience de camaraderie, et des cercles d’amis où il a écouté et discuté. L’Art Poétique a agacé certains écrivains, tel que Victor Hugo.
    Quant à Victor Hugo, il est de l’époque Moderne. C’est dans la préface de Cromwell qu’il contestera les Poétiques de ses devanciers.
    Devant cette impasse, Hugo réclame pour l’artiste le droit d’être créateur, et le devoir de créer, sans modèle. L’artiste doit donc s’affranchir de la tutelle de ses devanciers au nom de la liberté de l’art. En d’autres termes, il n’y a ni règles, ni modèles qui vaillent. 
    Pour lui, le poète ne doit pas être contraint ; il plaide pour la liberté de l’art. Nous constatons que la Poétique, selon Victor Hugo, est la liberté qu’a le poète de créer sans obligation, sans se fixer des règles ou des préceptes. Les théoriciens contemporains vont récupérer la Poétique selon Hugo, voire selon Boileau ou selon Roman Jakobson, pour la défaire et l’orienter davantage dans tous les genres littéraires et sur l’écriture propre à l’auteur.
    Parlons de la Poétique de Roman Jakobson, car elle fut le soubresaut des différentes conceptions de la Poétique du temps contemporain. Roman Jakobson, avec les six fonctions de langage va révolutionner la manière d’approcher les textes littéraires. Ce n’est pas à vraiment parler une Poétique, il préfère le terme « fonction poétique ». Selon Roman Jakobson, la fonction poétique vise l’esthétique de l’énoncé ou de l’énonciation, et cette fonction poétique ne concerne plus la poésie mais tous les genres littéraires, car il s’agit de mettre l’accent sur le message pour son propre compte, c’est-à-dire significatif par la forme et le fond, mieux le signifiant (texte, forme, structure) et le signifié (sens, signification).
    On connaît la proposition de Jakobson selon laquelle l’objet de la discipline à constituer n’est pas l’œuvre, ni même la littérature en tant qu’ensemble d’œuvre, mais bien la "littérarité", c’est-à-dire le caractère abstrait qui fait d’une œuvre donnée une œuvre littéraire. 
    Sachant qu’une œuvre littéraire n’est pas forcément poétique, certains théoriciens vont apporter des précisions, voire proposer d’autres méthodes d’approches (Stylistique, Sémiotique, Structuralisme…). Cependant, d’autres, vont essayer de délimiter ce concept qui est la Poétique, et qui semble être un vaste concept, sujet à polémiques.
    Parmi eux, Henri Meschonnic qui essayera de définir la Poétique. Selon lui, la Poétique est « essentiellement liée à la pratique de l’écriture » , ce qui sous-entend le style de l’écrivain. Quant à Michel Jarrety, il dira de la Poétique qu’elle « définit les lois de fonctionnement de la littérature, analyse et fixe également les règles auxquelles les écrivains doivent se tenir.»  Or, Jean Cohen, dans le Haut langage : théorie de la poéticité, que cite Jean Marie Klinkenberg, dira que « la poétique doit se montrer capable de passer des mots aux choses ». Et Senghor de dire qu’« il suffit de nommer la chose pour qu’apparaisse le sens sous le signe. Car tout est signe et sens en même temps pour les Négro-Africains.» 
    Avec Senghor, nous entamons la Poétique négro-africaine. Il faut avouer que la littérature négro-africaine n’est basée sur aucune théorie littéraire, c’est-à-dire qu’il n’y a pas eu véritablement de Poétique écrite qui ait eu sur les écrivains un impact du type de celui de l’Art de la Poétique de Boileau ou de la Préface de Cromwell de Victor Hugo. Néanmoins certains écrivains négro-africains ont eu l’audace d’écrire une sorte de Poétique, tels que Léopold Sédar Senghor et Jean-Baptiste Tati-Loutard. Senghor, en voulant se défendre contre ses détracteurs, a en même temps défendu les autres poètes nègres, et par ricochet toute la poésie négro-africaine. Et cette défense en est devenue une Poétique. L’on appréhende cette Poétique dans la postface de son œuvre poétique Éthiopiques intitulée Comme les lamantins vont boire à la source et aussi dans la majeure partie de ses œuvres poétiques. En définissant sa poésie, Senghor rejoint par moment les autres Poétiques déjà soulignées par l’imitation, par la liberté de créer… Il reconnaît qu’il a beaucoup imité :
    J’ai beaucoup lu. Et beaucoup imité…À la découverte de Saint John Perse après la libération je fus ébloui comme Paul sur le chemin de Damas. […] [Cependant] si l’on veut nous trouver des maîtres, il serait plus sage de les chercher du côté de l’Afrique. Comme les lamantins vont boire à la source du simal. 
    Cette Poétique a une particularité. En effet, ce qui fait la poésie négro-africaine, c’est la musique. Le poème doit se chanter, se méditer, se réciter ou se psalmodier, c’est pourquoi, Senghor met généralement en tête de ses poèmes un instrument de musique (les instruments de musique abondent dans ses poèmes).
    Lorsqu’en tête d’un poème, je donne une indication instrumentale, ce n’est pas simple formule. Le même poème peut donc être récité […] psalmodié ou chanté [ou] on peut réciter le poème en s’accompagnant d’un instrument de musique : tam-tam, tama, kôra, khalam… 
    Pour Senghor, la poésie négro-africaine doit pouvoir exprimer dans toutes ses composantes l’émotion nègre, car c’est le chant qui est le nerf du poème, il est le poème même. En d’autres mots, le poème doit être une émotion. Cela transparaît dans ce verset extrait de Que m’accompagnent Kôras et Balafong :
    J’ai choisi le verset des fleuves, des vents et des forêts
    L’assonance des plaines et des rivières, choisi le rythme
    de sang de mon corps dépouillé
    Choisi la trémulsion des balafongs et l’accord des cordes
    et des cuivres qui semble faux, choisi le 
    Swing le swing oui le swing ! 
    Et Jean Dodo  de renforcer l’assertion de Senghor en ces termes :
    Il me plaît l’alexandrin pur et classique
    Scandé avec césure où l’hiatus est sacrilège
    Il me plaît le merveilleux sonnet
    Aux formes sonores savantes et régulières
    Mon vers de liberté veut être livre
    Improvisé comme le serment d’amour
    Long comme la route longue et rouge
    De pénétration et de dépendance
    Long comme le son qu’égrène patiemment mon balafong des champs
    Menu comme le pas de l’enfant qui danse
    Va de la mère au père
    Pèlerin symbolique de l’amour du monde.
    Dans cet extrait, nous voyons la Poétique défendue par Nicolas Boileau, cependant, Jean Dodo rejette cette Poétique pour affirmer la sienne qui est l’émotion nègre rythmée « comme le son qu’égrène patiemment [son] balafong des champs, comme le pas de l’enfant qui danse. » C’est en cela qu’il rejoint Senghor. Le rythme est l’une des caractéristiques de la poésie Senghorienne.
    Senghor a des formules particulières pour définir le rythme. Le rythme, dit-il, c’est le nombril du poème, il naît de l’émotion, et engendre à son tour l’émotion et l’humour… 
    Et Senghor ajoutera que le rythme n’est pas seulement dans les accents du français modernes, mais il est, pour les poètes nègres,
    …aussi dans la répétition des mêmes mots et des mêmes catégories grammaticales, voire l’emploi-instinctif- de certaines figures de langue : Allitération, associations, homéotéleutes, etc. 
    Pour Senghor, la Poétique peut-elle se définir comme le rythme émotionnel de la parole capable « de nommer la chose pour qu’apparaisse le sens sous le signe » . Qu’en est-il de Jean-Baptiste Tati-Loutard ?
    Jean-Baptiste Tati-Loutard a écrit un texte intitulé La Vie Poétique.  Sa Poétique est un texte didactique qui donne des préceptes à des poètes de sa génération ou aux poètes futurs. Il ne défend pas une poésie quelconque. Il reconnaît que les écrivains, surtout les poètes, doivent imiter : « voilà pourquoi le poète est d’abord un imitateur »  ; cela ne les empêche pas d’être libres dans leur création. C’est pourquoi il recommande le recours aux termes anciens ou aux néologismes pour exprimer ce que les hommes attendent ; comme le souligne J. P. Makouta-Mboukou :
    Le recours aux termes anciens ou aux néologismes pour exprimer des réalités nouvelles a été toujours prêché par tous les auteurs de poétique, Tati-Loutard ne ferait pas exception. Et comme eux, Tati-Loutard connaît la puissance des mots.  [Cependant] il faut éviter les discussions de prosodie : vers classique ou libre ; le poète enfourche le cheval qui lui convient le mieux. 
    Il ressort de cet extrait que La Vie Poétique recommande imitation et liberté aux poètes, voire aux écrivains. La Poétique, selon Tati-Loutard, s’appréhende par la liberté scripturale du poète et la mimesis.
    Il nous semble que la question y demeure toujours ; celle de savoir ce qu’est la Poétique. Jean Pierre Makouta-Mboukou a essayé de répondre à cette question dans Les Grands traits de la poésie Négro-Africaine : Histoire-Poétiques-Signification. C’est avec lui que nous allons à notre tour essayer de répondre à la question posée. 
    Il commence d’abord à dire ce que la Poétique n’est pas. Pour lui, la Poétique n’est pas une critique ni une histoire littéraire, parce que les différentes Poétiques passées en revue « n’ont pas visé une critique quelconque d’œuvres particulières »  ; et aussi comme le dit Gérard Genette la Poétique s’oppose à l’histoire littéraire. En effet, la Poétique est, comme le souligne Gérard Genette, une théorie générale des formes littéraires, alors que l’histoire littéraire est un bilan, une somme de discours littéraires réels, et à tout moment, une donnée de l’histoire humaine. La poétique serait donc l’acte de créer, de susciter la vie, de communiquer une étincelle, de fabriquer l’œuvre, comme le dirait Henri Meschonnic, « liée à la pratique de l’écriture.» 
    Au vu de tout ce qui précède, nous constatons que le problème est que le terme a pris des acceptions non seulement diverses mais contradictoires. Retenons que la Poétique était à l’origine une théorie (ensemble de règles construites à respecter) et au fil du temps une méthode (l’ensemble de procédés utilisées par un auteur). Cependant, nous dirons que la Poétique est la manière de dire ce que l’on ressent tout au fond de son âme, c’est cette possibilité de dire ses pensées sans contraintes pour susciter l’émotion chez l’autre. Et chaque auteur a sa manière propre à lui d’organiser ses pensées pour les dire au grand jour, « sa technique, sa façon de présenter ses vérités et ses beautés pour les rendre pénétrantes et par-là mêmes plus fortes.»  Et lorsque nous appréhendons la Poétique comme méthode d’approche ou d’analyse des textes dits poétiques, il ne faut pas exclure l’interprétation.
    On se rend en effet compte, à l’expérience, qu’une réflexion théorique sur la poétique, comme le signale Todorov, si elle ne s’appuie sur les données des œuvres réelles, cette poétique est stérile et inopérante. Ce qui signifie qu’à chaque fois la poétique est précédée et suivie de l’interprétation des œuvres. C’est en s’appuyant sur les œuvres existantes qu’une réflexion générale sur la littérature peut être élaborée. Car c’est à l’intérieur même de la littérature que la poétique cherche ses lois. Elle est donc une approche à la fois "abstraite" et "interne" de la littérature. 
    Et Jarrety Michel de renforcer les dires de Makouta-Mboukou, en ces termes : 
    La poétique sera passée du versant de l’écriture et de la création à celui de la lecture et de l’interprétation. Cette poétique moderne est en effet directement issue du renouvèlement que le terme a connu au siècle dernier. 
    Chercher donc dans le texte la manière dont l’auteur exprime ses pensées, ses idées, son être, la vie ou la manière dont il dit ce qu’il ressent est une façon ou d’une autre de dire sa Poétique. Ce qui sous-entend que la Poétique est la recherche des procédés mis en action dans le texte pour dire et traduire ce que l’on ressent, et qui fait de ce texte une particularité, une originalité, une marque déposée. Par Poétique, nous voulons donc appréhender l’écriture particulière de Senghor qui fait de ses poèmes une particularité, car elle (la Poétique) est « l’étude de l’art littéraire en tant que création verbale »  ou l’écriture de la valeur d’une œuvre. Autrement dit, il s’agit d’identifier les procédés d’écriture propre à Senghor suivis de leur interprétation, et d’examiner les différentes façons d’exprimer littéralement (poétiquement) la Francophonie. Quelle est donc cette Francophonie ?
    2. FRANCOPHONIE
    Le terme Francophonie apparaît en 1880 sous la plume du géographe Onésime Reclus pour désigner la communauté linguistique et culturelle que la France constitue avec ses colonies. Pour Onésime reclus, la France fait œuvre civilisatrice outre-mer en se servant de la langue qui est l’un des instruments de la mission civilisatrice. Le terme disparaît pendant la moitié du XXe siècle, seul l’adjectif « francophone » est utilisé. Cet adjectif figurant dans les dictionnaires désignait les personnes « dont le français est la langue maternelle. » À l’origine, la Francophonie, en tant que le fait de parler français, était une composante de la politique étrangère de la France, elle n’a fait que tout simplement appliquer dans ses colonies certains principes qui lui étaient chers. Aujourd’hui, lorsqu’on parle de Francophonie, certains Africains restent prudents car ils la voient comme un instrument de la recolonisation des pays africains. Ce qui est nié par les spécialistes de la Francophonie ou par les Francophonistes.
    […] La langue française est médiatrice et non pas impératrice.  [Ou] un autre contresens largement répandu est de penser que la Francophonie est un instrument aux mains de la France, au service de sa propre stratégie d’influence  [car] la langue française est le bien commun de tous ceux qui la parlent et nous aurions tort d’enfermer sa défense et son illustration


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    BOUATENIN                                                                                                        

    Adou Valery Didier Placide                                                                         

     

     

     

     

                      La théorie de Daniel Delas et Jacques Filliolet se fonde sur la théorie de Ferdinand de Saussure et d’Emile Benveniste. Ferdinand de considère la langue comme «un système dont toutes les parties peuvent et doivent être considérées dans la solidarité synchronique »[1], c’est-à-dire la langue et un système dans lequel les signes par leur interdépendance sont chargés d’une valeur. Quant à Emile Benveniste, il considère la langue comme un discours, c’est-à-dire une actualisation individuelle de la langue. Ce qui implique une interdépendance des éléments linguistiques qui le constituent. En s’appuyant sur la théorie de ces deux linguistes, Daniel Delas et Jacques Filliolet définissent le texte poétique comme un ensemble de signifiants organisés en un système, mieux comme une « unité auto-fonctionnante»[2] en affirmant que c’est le lecteur qui donne sens au texte poétique et non l’auteur en étudiant les rapports que les signifiants établissent entre eux tout en intégrant les différents niveaux d’analyse qui convergent pour produire la signifiance ( le sens).

    À partir de la théorie de Daniel Delas et Jacques Filliolet, nous proposerons donc une lecture (possible) de Je vous remercie mon Dieu, un poème extrait de La ronde des jours de Bernard Dadié (1956). Il s’agira de nous interroger sur le fonctionnement du poème en mettant sa constitution linguistique en évidence. Et cette lecture est possible aux analyses structurales de la poésie, qui à la suite d’Émile Benveniste, considèrent le poème comme un système clos de signes.

     

     

     

                      Le premier contact avec le poème de Bernard Dadié donne l’impression que le texte est très compréhensif, accessible à tous. Un texte ponctué avec, semble-t-il, des mots qu’on a l’habitude de rencontrer. Le titre même du poème donne la simplicité du texte. Il est révélateur. En effet, il révèle la nature du poème : « Je vous remercie mon Dieu ». C’est une action de grâces. Ce titre est repris dans le poème comme un refrain donnant au texte poétique non seulement une allure de chant de louange, mais aussi une forme de cercle.

    Ce poème a, en effet, la forme d’un cercle. Il débute par « Je vous remercie mon Dieu, de m’avoir créé Noir, » et se termine par « Je vous remercie mon Dieu, de m’avoir créé Noir ». Cette forme cyclique qu’a le poème montre que le Noir est au début et à la fin de la création. Par lui commence le monde, par lui finit le monde. Le «  Noir » est omniprésent. Cela se voit par l’emploi emphatique de « m’avoir créé Noir ». Par cet emploi « le Noir » est mis en vedette, il est au centre de la création ; il a été créé avant tous les autres êtres. Par ce fait, le poème confirme la thèse qui fait de l’Afrique le berceau de l’humanité. Cette confirmation prend toute sa charge véridique dans l’emploi des groupes nominaux  suivants : « depuis le premier  matin », « depuis le premier soir », « depuis l’aube des temps » ; et par l’emploi de l’adjectif numéral ordinal « premier ». Le « Noir » est le premier des êtres. Et pour rechausser le « Noir », le poète procède par un emploi antithétique dans lequel il dit que la couleur blanche est éphémère tandis que la couleur noire est pérenne :

    Le blanc est une couleur de circonstance

    Le noir, la couleur de tous les jours.

    Et l’emploi des articles « une » et « la » n’est pas fortuit dans ce sens. En effet, l’article « une » est indéfini et l’article « la », défini. Employer « une couleur de circonstance » implique ce qui est provisoire, indéfini, c’est-à-dire « le blanc » est provisoire, sans valeur tandis que le « noir » est défini, durable et a une valeur. En d’autres mots, le Noir est incontournable. Il a de la valeur. Cette valeur s’appréhende dans la mission qui lui est assignée. Et la mission assignée est de « porter le monde sur sa tête », d’ « humer tout le vent du monde » par son nez, de « courir toutes les étapes du monde » avec ses jambes. En effet, chaque membre de son corps est fait pour être utile pour le monde. Sa physionomie n’est pas fortuite. Lorsqu’il présente une partie de son corps, il définit le rôle que cette partie joue. Ce fait est souligné par l’emploi des groupes nominaux « la forme de ma tête », « la forme de mon nez », « la formes de mes jambes », qui respectivement sont joints par d’autres groupes nominaux « faites pour porter le Monde », « qui doit humer tout le vent du Monde », « prêtes à courir toutes les étapes du Monde ». Cependant, le poète insiste sur le fait que le Noir est la pierre angulaire du Monde. En effet, le syntagme « porter le Monde » est employé de façon répétitive dans le texte à telle enseigne de dire qu’il constitue une métaphore obsédante chez le poète. Pour lui, la première mission assignée au Noir est celle de « porter le Monde ». Et cette insistance se saisit par l’emploi de la conjonction de coordination « et » en tête de vers constituant une sorte de parallélisme syntaxique.

    Et je porte le Monde depuis le premier matin.

    […]

    Et je porte le Monde depuis le premier soir.

    Au-delà de montrer que le Noir est incontournable, qu’il est à tous les niveaux de la création, le poète expose les souffrances endurées par ce dernier.

     

                      Les souffrances endurées par le Noir font de lui « la somme de toutes les douleurs ». Le poète affirme par la que le Noir est le résultat des douleurs. Par un emploi hyperbolique et additif, le poète montre qu’il a beaucoup souffert. En effet, par « trente-six épées ont transpercé mon cœur », « trente six baisers ont brûlé mon corps », l’on saisit un nombre indéfini et exagéré d’épées et de baisers qui ont transpercé ou brûlé le cœur ou le corps du Noir. C’est un emploi hyperbolique. Cet emploi hyperbolique est renforcé par des groupes nominaux tels « tous les calvaires », « tous les levants ». Dans ces groupes nominaux, l’on saisit l’exagération de la douleur ou des douleurs endurées par le Noir. Ces grandes douleurs seront additionnées dont le résultat est le Noir, lui le poète. Cette addition se perçoit dans l’emploi de la conjonction de coordination « et » en tête de vers de façon anaphorique pour insister sur le fait d’être « la somme de toutes les douleurs ».

    Et mon sang sur tous les calvaires a rougi la neige.

    Et mon sang à tous les levants a rougi la nature.

    Par cette addition, l’on voit que le Noir a tellement versé son « sang » pour porter « le Monde depuis l’aube des temps ». L’emploi des participes passés en témoignent pour le sang versé : « transpercé », « brûlé », « rougi » ; ce dernier participe passé est employé deux fois dans le poème impliquant ainsi une insistance sur la quantité de sang coulé sur la « neige » et dans « la nature ». Malgré les douleurs endurées, le poète dit son satisfecit.

     

                      C’est ce satisfecit qui fait de ce poème une action de grâces. Il remercie Dieu de l’avoir créé tel que tel. Le poète manifeste sa joie, son contentement, sa satisfaction d’être « créé Noir », d’être « la somme de toutes les douleurs ». La manifestation de sa satisfaction s’appréhende par l’emploi des adjectifs attributs « content », « satisfait », « heureux ». Ces adjectifs nous renseignent sur l’émotion du Noir, sur l’état d’âme du poète. Par ces adjectifs, nous croyons le poète se dit « content » de la forme de sa tête, de son nez, de ses jambes, de ses bras courts, de ses bras longs, de l’épaisseur de ses lèvres. Sous ces adjectifs attributs, se lit la fierté du poète d’être créé « Noir » et d’accomplir la mission qui lui est assignée, celle « de porter le Monde ».

    À la surprise de tous, croyant qu’il renoncera de manifester sa joie, le poète nous laisse entendre que malgré tout, malgré les difficultés, les douleurs subies ou endurées il est quand même content :

    Je suis quand même

    Content de porter le Monde…

    Ce qui attire notre attention c’est l’emploi de la locution adverbiale « quand même ». En effet, cette locution est employée pour insister, dans le poème, sur la satisfaction du poète malgré les pénibles épreuves qu’il a traversées. C’est donc l’une des raisons de plus de remercier Dieu de l’avoir créé Noir, de l’avoir permis d’être au commencement du Monde. Voilà ce qui fait du poème une action de grâces.

     

     

     

                      La lecture du poème Je vous remercie mon Dieu, à partir de Daniel Delas et de Jacques Filliolet, a révélé qu’on ne peut pas construire le sens d’un texte poétique en dehors du texte lui-même. C’est-à-dire que le sens du texte s’appréhende à partir des éléments qui composent le texte, parce que considéré comme un système clos. Pour dégager le sens du poème, nous avons convoqué la forme cyclique qu’a le poème, utilisé quelques notions grammaticales voire stylistiques. Cela nous a été permis grâce à la théorie de Delas et de Filliolet, qui veut que l’analyse du texte poétique se mène sur divers plans (syntaxique, stylistique, sonore,…). Cette lecture nous a donc permis de savoir qu’il s’agit d’une action de grâce dans laquelle le poète dit sa fierté d’être Noir. Nous pouvons dire que Je vous remercie mon Dieu est empreint indélébile de la négritude. UUUU



    [1] Ferdinand de SAUSSURE, Cours  de Linguistique Générale

    [2] Daniel DELAS et Jacques FILLIOLET, Linguistique et Poétique


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