• Le structuralisme

     

    I- Introduction

     

    1)- Origine

    Le structuralisme tire son origine du Cours de linguistique générale (1916) de Ferdinand de SAUSSURE qui envisage d'étudier la langue comme un système dans lequel chacun des éléments n'est définissable que par les relations d'équivalence ou d'opposition qu'il entretient avec les autres. Cet ensemble de relations forme la structure.

    2)- Définition

    Dans les années 1950, les analyses de LEVI-STRAUSS des systèmes de parenté permettent de penser que l'homme, envisagé comme un être pensant, être social, être communiquant avec ses semblables, va pouvoir enfin être un objet de science. Ainsi, pour LEVI-STRAUSS, la structure possède une organisation logique mais implicite, un fondement objectif en deçà de la conscience et de la pensée (structure inconsciente). Par conséquent, le structuralisme vise à mettre en évidence ces structures inconscientes.

    Les principaux auteurs et penseurs structuralistes sont: LEVI-STRAUSS, ALTHUSSER, LACAN, FOUCAULT et DERRIDA.

    3)- Les limites

    Toutefois, l'analyse structuraliste tend à laisser de coté l'histoire de l'homme et à vider l'action humaine de son individualité.

     

    II- La théorie structuraliste

    Pour les structuralistes, les processus sociaux sont issus de structures fondamentales qui demeurent le plus souvent inconscientes. Ainsi, l'organisation sociale génère certaines pratiques et certaines croyances propres aux individus qui en dépendent.

    Cette théorie se base sur une nouvelle science, la linguistique. F. DE SAUSSURE avait révolutionné l'approche du langage en montrant que toute langue constitue un système au sein duquel les signes se combinent et évoluent d'une façon qui s'impose aux acteurs et selon des lois qui leur échappent (ainsi Nicholas TROUBETSKOJ a appliqué cette méthode à l'étude des sons en montrant les lois par lesquelles ils se combinent dans différentes langues).

    Ainsi, s'inspirant de cette méthode, le structuralisme cherche à expliquer un phénomène à partir de la place qu'il occupe dans un système, suivant des lois d'association et de dissociation (supposées immuables). "Si l'activité inconsciente de l'esprit consiste à imposer des formes à un contenu, et si ces formes sont fondamentalement les mêmes pour tous les esprits, anciens et modernes, primitifs et civilisés comme l'étude de la fonction symbolique, il faut et il suffit d'atteindre la structure inconsciente, sous jacente à chaque institution et à chaque coutume, pour obtenir un principe d'interprétation valide pour d'autres institutions et d'autres coutumes" (LEVI-STRAUSS).

     

    III- Les différents courants structuralistes

     

    1)- L'anthropologie et l'ethnologie structuraliste

    Le point de départ de cette fusion est les travaux effectués par LEVI-STRAUSS. Se penchant sur les relations de parenté au sein des sociétés dites "primitives", il entreprit de montrer que celles-ci sont régies par des lois d'association et de dissociation comparables à celles régissant les rapports entre les sons au sein d'une langue. Par exemple, les structures élémentaires de la parenté ont pour fonction de déterminer quels conjoints sont interdits et de prescrire la catégorie d'individus à épouser selon les trois types de relations de parenté toujours données dans la société humaine: consanguinité, alliance, filiation; cela fait ainsi apparaître la signification profonde de la prohibition de l'inceste comme condition primordiale de l'échange (travaux liés à la psychanalyse freudienne: interdiction de l'inceste, et à celle de JUNG: archétype de la trinité). En renonçant à la consanguinité, l'homme s'astreint à pratiquer des échanges (dont la femme est le plus important) avec autrui. Ainsi, pour les structuralistes, les types d'arrangements matrimoniaux fixent les limites entre lesquelles jouent les choses individuelles, les considérations sociales et économiques inconscientes (Ils fixent la limite de tous les échanges).

     

    2)- Un structuralisme lié à la philosophie et aux "sciences humaines"

     

    Le structuralisme est lié à la philosophie et aux sciences humaines (psychanalyse, sociologie) mais on ne peut pas réellement parler de philosophie structuraliste ou de structuralisme philosophique (le structuralisme s'englobant, suivant les différents courants, dans la plupart des sciences, qui s'alimentent aussi dans les théories structuralistes). Ainsi, on peut parler de différents structuralismes, un structuralisme lié aux théories marxistes sur les structures économiques et sociales dégagées par le Capital, mise en place par Louis ALTHUSSER. Pour lui la structure économique, constituée par l'ensemble des rapports de production (rapports sociaux), est déterminée par la théorie de la praxis, de la pratique collective. (La praxis étant la relation dialectique entre l'homme et la nature et l'homme et l'environnement social, relation par laquelle l'homme en transformant la nature par son travail ou en transformant l'environnement social par son travail se transforme lui-même). Ainsi, l'homme en général, transformant son environnement naturel et social par son travail, détermine la structure économique. Jacques LACAN, lui, fonde un structuralisme imprégné de psychanalyse freudienne. Pour lui, l'inconscient est structuré comme un langage. Il rejette, ou tout du moins critique, l'autonomie du sujet dans la vie sociale. L'individu n'a que très peu de rôle dans la constitution de la structure économique (terme marxiste), celle-ci est comme prédéterminée inconsciemment (inconscient collectif). La société impose donc à l'individu un certain environnement social et non le contraire. D'autres auteurs, comme Michel FOUCAULT, partagent cette conception (Pour lui, le structuralisme annonce l'effacement du sujet et le point d'aboutissement ultime des sciences humaines). Jacques DERRIDA se fonde, quant à lui, sur un structuralisme basé non plus que sur l'étude du langage pour expliquer les structures inconscientes sociales mais aussi sur l'étude de l'écriture, inaugurant ainsi le poststructuralisme.

     

    IV- Conclusion

     

    Ainsi, l'apogée de ce courant fut des années1950 aux années 1970. Le structuralisme roue

    ses recherches à trouver les structures sociales inconscientes qui régissent l'humanité en affirmant que celles-ci sont organisées logiquement. Ainsi, le structuralisme implique une mathématisation du réel, et l'organisation des structures est étudiée de manière rigoureuse, à l'aide des mathématiques modernes. Malgré la différence entre les divers courants structuralistes, ceux-ci ont influencés les sciences humaines d'aujourd'hui et notamment la sociologie. Ainsi, Pierre BOURDIEU invente la notion d'habitus, qui correspond à une capacité acquise socialement par un individu et qui lui permet d'avoir la réaction immédiate et appropriée à un environnement. Ainsi, lorsque l'habitus est acquis, tout semble naturel à un individu ce qui lui permet d'effectuer les choix correctes, c'est-à-dire ceux conformes à son ethos (la culture de son groupe). L'habitus s'apparente à une partie de la structure sociale, inconsciente à l'individu et déterminé par les échanges entre les individus.

    Objections:

    Cependant, le structuralisme se limite à une analyse synchronique des institutions pour en dégager la structure et le sens. Les structuralistes étudient donc la structure à un moment donné de l'histoire car ils considèrent cette structure comme inchangeable. Ainsi, l'évolution de l'homme et des sociétés à travers l'histoire est mise de coté. De plus, le structuralisme enlève toute individualité, toute action individuelle sur la détermination de la structure sociale. Au contraire, pour eux, l'individu et les échanges entre individus sont déterminés par la structure sociale, sorte d'inconscient collectif. Cela semble être vrai, mais partiellement seulement. Car il est vrai que la conscience humaine propre à chaque individu est déterminée par les rapports de production eux-mêmes déterminés par la structure sociale. Toutefois, d'un point de vue historique, ce principe empêche toute évolution, toute transformation de la société. C'est le cas dans certaines sociétés primitives où la conscience humaine n'émerge de l'inconscient que sous une forme collective issue de la structure inconsciente. Cependant, dans des sociétés en évolution, l'homme transforme les rapports sociaux et économiques au fil du temps. Certains expliquent cela par la praxis, mais cette théorie n'explique pas le pourquoi de ces transformations. Elles sont dues à l'émergence de la conscience individuelle qui donne une liberté à l'individu par rapport à la structure inconsciente et collective. Philosophiquement, la conscience individuelle est sans doute liée à la conscience de l'individu d'être pour soi, c'est-à-dire à la conscience d'exister et donc de mourir. Cela entraîne une recherche personnelle du bonheur à travers les passions qui expriment la volonté de puissance c'est-à-dire la volonté de bonheur absolu. Ainsi, l'erreur du structuralisme est de vider de toute action humaine et de toute historicité l'analyse de la structure. Car si tout au long de l'histoire, la conscience individuelle a transformé (par le praxis) les rapports de production alors que ceux-ci sont déterminés par la structure sociale inconsciente, c'est que celle-ci a aussi évolué et n'est donc pas immuable (bien que son fondement premier, appelé en psychanalyse l'inconscient collectif, reste sans doute immuables, d'autres couches viennent sans doute s'y superposer au cours de l'histoire ou au cours d'une vie humaine).

     

    Claude Lévi-Strauss

    1908 -

    Anthropologue français

    Influencé par les réflexions du linguiste Roman Jakobson, Lévi-Strauss transpose les méthodes « structuralistes » d'analyse des phénomènes à l'anthropologie, comme outil de recherche pour une grammaire universelle de la mythologie. Fondateur de l'anthropologie structurale, il fonde aussi le laboratoire d'anthropologie sociale. Derrière la variété des cultures, il existe une unité psychique de l'humanité. Le missionnaire jésuite n'était pas supérieur au sauvage Bororo qu'il venait convertir au Christ et à la modernité. Pour comprendre quelque chose à l'homme, il ne faut pas se limiter à s'observer soi-même à la manière du philosophe qui pratique l'introspection. Il ne suffit pas non plus de se limiter à une période, à la manière de l'historien. Il est au contraire indispensable de brûler ses vaisseaux, de partir à la rencontre de ceux qui semblent le plus éloigné possible de nous-mêmes, afin de chercher ce qui, dans la nature humaine, est constant et fondamental. Ce qui manquait à l'anthropologie jusque dans les années cinquante, estime Lévi-Strauss, c'était une théorie, un système, un instrument pour comprendre ce que l'on voyait. « Toutes les sciences, affirme-t-il, ne fonctionnent que sur la base de théories explicatives ». Ainsi, en sociologie, Marx, le premier, a montré que pour interpréter la réalité sociale, il fallait sortir de la perception immédiate et la voir à travers un système. Ce que Marx a fait pour la sociologie, Lévi-Strauss le fera pour l'anthropologie : Le structuralisme est une lunette pour déchiffrer les civilisations.

    L'un des véritables fondateurs du structuralisme, rappelle Lévi-Strauss est Roman Jakobson. Ce linguiste russe a démontré comment, « dans la quantité illimitée des sons que la voix peut émettre, chaque langue en sélectionne un petit nombre formant un système et qui, par la façon dont ils s'opposent entre eux, servent à différencier les significations ». Pour Roman Jakobson, chaque langue est donc une variation à partir d'une structure. Or, de son côté, en comparant les relations de parenté chez les primitifs et leurs mythes, Lévi-Strauss avait observé qu'il retombait toujours sur les mêmes problèmes de base. Il en conclut que, derrière la variété des cultures, il existe une unité psychique de l'humanité. Les civilisations ne font que combiner des éléments de base communs à toute l'humanité. Les hommes ne font que combiner un nombre limité de conduites possibles. À la manière dont nous jouons avec un kaléidoscope les figures sont nombreuses, mais elles ne font que déplacer des structures de base, toujours les mêmes. Voilà pourquoi on constate parfois, dans des civilisations éloignées, des ressemblances troublantes : ce n'est pas nécessairement parce que ces civilisations ont communiqué entre elles. Par exemple, on retrouve dans l'Antiquité classique, en Extrême-Orient, en Amérique, le même mythe d'un couple de nains en guerre contre des oiseaux aquatiques. A-t-il été inventé plusieurs fois? C'est peu probable ; ou bien on se l'est emprunté, ou bien l'esprit humain a travaillé ici et là de la même façon. Les mythes et les règles de la vie sociale sont le matériau de base dans lequel Lévi-Strauss détecte les « invariants structurels ». Exemple? La prohibition de l'inceste. Dans toutes les sociétés, cet interdit, en contraignant au mariage hors de la famille, assure le passage de l'homme « biologique » à l'homme en société. Voilà le type même de la structure invariante. L'avantage de l'observation des primitifs, c'est que leur société étant plus simple et plus petite, une analyse globale se heurte à moins d'obstacles. Il n'y a pas de civilisation « primitive » ni de civilisation « évoluée » ; il n'y a que des réponses différentes à des problèmes fondamentaux et identiques. Non seulement les « sauvages » pensent, mais la « pensée sauvage » n'est pas inférieure à la nôtre, et elle est fort complexe ; simplement, elle ne fonctionne pas comme la nôtre. « La pensée occidentale, dit Lévi-Strauss, est déterminée par l'intelligible : nous évacuons nos sensations pour manipuler des concepts. À l'inverse, la pensée sauvage calcule, non pas avec des données abstraites, mais avec l'enseignement de l'expérience sensible : odeurs, textures, couleurs ». Dans les deux cas, l'homme s'emploie à déchiffrer l'Univers, et la pensée sauvage, à sa manière, y parvient aussi bien que la pensée moderne. Ce qui distingue « l'homme civilisé » du « primitif », c'est l'attitude devant l'Histoire, dit Lévi-Strauss. Les primitifs n'aiment pas l'Histoire, ils désirent ne pas en avoir ; ils se veulent primitifs plus qu'ils ne le sont véritablement. En fait, bien des événements ont bousculé les sociétés sauvages - guerre et paix, règnes et révolutions -, mais elles préfèrent en effacer les traces. Ces sociétés préfèrent se voir immuables, telles qu'elles se croient créées par les dieux. Chez nous autres « modernes », à l'inverse, l'Histoire est un objet de vénération. C'est par l'idée que nous nous faisons de notre histoire que nous cherchons à comprendre le passé, le présent et à orienter l'avenir. L'Histoire est, selon Lévi-Strauss, le dernier mythe des sociétés « modernes ». Nous arrangeons l'Histoire à la manière dont les primitifs arrangent les mythes : une manipulation arbitraire pour inventer une vision globale de l'Univers. La découverte du Nouveau Monde et le colonialisme furent un désastre humain, « le crime des crimes ». Mais, dit Lévi-Strauss, nous ne sommes pas pour autant coupables de ce qu'a fait Christophe Colomb ou de ce qu'ont fait nos grands-parents. Aussi, juge-t-il absurde et mal orientée la culpabilité des intellectuels européens qui pleurent sur le Tiers-Monde. « Les dirigeants actuels du Tiers-monde sont au moins aussi responsables de la destruction des cultures dites 'arriérées' qui subsistaient chez eux, que ne l'est l'Occident actuel ». Sa conférence devant l'Unesco en 1971 causa un énorme scandale. Trois observations en furent la cause :

    1. « La génétique moderne, en discréditant la notion de race et en lui substituant celle des stocks génétiques, permettait d'en parler autrement qu'en termes métaphysiques et de comprendre sur quelles données objectives reposaient les distinctions.

    2. Entre les cultures il est normal que, mises en contact sur des territoires contigus ou qui se chevauchent, elles génèrent des réactions d'agressivité. Les « primitifs » le savent bien.

    3. Les cultures sont créatives lorsqu'elles ne s'isolent pas trop, mais il faut qu'elles s'isolent quand même un peu ». Si les cultures ne communiquent pas, elles se sclérosent, mais il ne faut pas non plus qu'elles communiquent trop vite, afin de se donner le temps d'assimiler ce qu'elles empruntent au dehors. « Aujourd'hui (1989), dit Lévi-Strauss, le Japon me paraît l'un des seuls pays à atteindre cet optimum : il absorbe beaucoup de l'extérieur et refuse beaucoup ». Mes origines juives ne m'ont jamais tourmenté, ni le judaïsme  comme religion. Je me sens plus proche de l'animisme, en particulier du shintoïsme des Japonais ».

     

    [1] Extrait de Les vrais penseurs de notre temps de Guy Sorman, Fayard © 1989.

     


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    EUGENE DERVAIN : UN AFRICANISTE OU UN NEGRETUDIEN ?

    ETUDE DE « A MA TANTE QUI DECOUVRIS L'AFRIQUE EN 1965 » ET « DUEKOUE » DANS UNE VIE LISSE ET CRUELLE D'EUGENE DERVAIN

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Mini mémoire de Maîtrise

    Option : Poésie et quête de connaissance

     

     

     

     

     

     

    Présenté par :                                                                                                 Séminaire animé :

    Adou Valery Didier Placide                                                                            Dr. Hélène N'GBESSO

    BOUATENIN                                                                                               Maître assistante

     

     

     

     

     

     

    Année universitaire

     2009-2010

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    EUGENE DERVAIN : UN AFRICANISTE OU UN NEGRETUDIEN ?

    ETUDE DE « A MA TANTE QUI DECOUVRIS L'AFRIQUE EN 1965 » ET « DUEKOUE » DANS UNE VIE LISSE ET CRUELLE D'EUGENE DERVAIN

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Mini mémoire de Maîtrise

    Option : Poésie et quête de connaissance

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Année universitaire

     2009-2010

     

     

    SOMMAIRE

     

     

     

    Introduction                                                                                                                            3-4

     

    Partie I : DERVAIN et l'Afrique                                                                                             5

     

    • I- L'image de soi de DERVAIN 6

     

    II-        La vision de DERVAIN de l'Afrique                                                              9

     

    Partie II : DERVAIN et la négritude                                                                                        13

     

    • I- DERVAIN: africaniste ou négritudien? 14

     

    II-        La négritude de DERVAIN                                                                                        18

     

     

     

    Conclusion                                                                                                                             21

     

    Bibliographie                                                                                                                           22

     

     

     

    Tables de matières                                                                                                                 23

     

     

     

     

     

    INTRODUCTION

     

     

     

                « La poésie, exploration du monde et de la vie est comme la science, au cœur de la connaissance [et] la connaissance est l'aboutissement provisoire d'un processus, celui de l'appropriation d'un objet, d'un fait, d'un phénomène, d'une manière de comprendre. Elle est médiatisée par un savoir antérieur qui s'incarne dans différents discours. Par eux transite l'intentionnalité de l'énonciateur, sa tentative de produire, de manipuler, d'organiser, de recevoir et de manifester un savoir »1. Tous les discours possèdent une dimension cognitive, régie selon Barthes par au moins trois forces : mathesis, mimesis, semiosis. C'est-à-dire le savoir, la représentation et la reproduction de sens. La poésie a ceci de particulier qu'elle exerce ces trois forces sur les matériaux discursifs eux-mêmes « parce qu'elle met en scène le langage [..] »2. Le langage, pour beaucoup de théoriciens, est le substitué du discours, et G.E Sarfati d'affirmer que « le discours est le langage mis en action ; la langue assumée par le sujet parlant »3 ou quand l'individu se l'approprie « [il] se tourne en instance de discours »4. Le discours pris comme texte sera l'objet de recherche de plusieurs théoriciens car l'analyse d'un texte, surtout de « la production poétique ne correspond pas forcement aux idées qu'on a sur elle [...]. Mise en scène discursive de l'expérience de la vie, la poésie est inséparable de la connaissance »5. Elle devient alors un outil de la quête de connaissance, le lieu même où se constitue peu à peu cette connaissance qui passe par la recréation du monde par le poète. La poésie, écrivit Novalis, «  met en mouvement le fond de l'âme »6 du poète.

    Acceptant que la connaissance de l'être et du monde peut passer par le faire, par l'acte de l'écriture, et que c'est dans le lyrisme qu'on exprime ses émotions et qu'on saisit l'homme comme l'affirme Hermann Broch: «  Il faut représenter l'homme dans toute sa gamme de

    ses expériences vécues, en allant de ses possibilités physiques et de ses sentiments au domaine moral et métaphysique, d'où un appel immédiat au lyrisme, seul capable  d'en fournir l'expression ». Et  aussi parce qu'  « un poème est, à nos yeux, réalité vivante, et aucune entreprise ne se justifie, qui a pour résultat de désintégrer et de tuer la vie qui l'anime »8, nous avons jugé bon de montrer à travers deux poèmes de UNE VIE LISSE ET CRUELLE qu'Eugène DERVAIN, l'auteur de l'œuvre en question, est soit un africaniste soit un négritudien. UNE VIE LISSE ET CRUELLE9, d'où sont extraits nos deux poèmes intitulés À MA TANTE QUI DECOUVRIS L'AFRIQUE EN 1965 (pp.25-27) et DUEKOUE (pp.31-32), est un recueil de poèmes, édité en 1999 par EDILIS en Côte d'Ivoire, qui traduit la puissance de la parole libérée.

     

     


     

    1-                    Annie BRISSET, la poésie pense : une modalité assomptive de la connaissance.

    2-                    Roland BARTHES, Parole, pp 17,19-20

    3-                    G.E Sarfati, Précis de pragmatique, Paris, NATHAN,

    4-             Emile BENVENISTE

    5-             Cf. note 1

    6-             Idem, Novalis que cite Annie BRISSET

    7-             BROCH Hermann, Genèse du livre, les Irresponsables. Tr. A. Picard, Paris, Gallimard, p.290

    8-             Marcel TOWA, Leopold Sedar Senghor: Negritude ou Servitude? , Yaoundé (Cameroun), Edition CLE, p.9

    9-                    Eugène DERVAIN, UNE VIE LISSE ET CRUELLE, Abidjan, EDILIS, 1999 : œuvre d'où sont extraits nos textes supports (le corpus de notre mini mémoire).

    A chaque poème, le lyrisme des mots, dans leur reprise, leur répétition, leur opposition est tout un style à travers lequel le poète réveille les souvenirs de sa vie, depuis Aragon, Eluard, A. Spire, Césaire, Hampaté Bâ et bien d'autres, et exprime ses préoccupations profondes pour l'Afrique.

    Pour notre travail, il nous faut une méthode ou des méthodes, et parmi les méthodes qui s'offrent à nous celle qu'il faut retenir pour le travail sans perdre «  la signification générale et l'articulation interne »10 des poèmes en est la difficulté rencontrée lors de notre investigation car « l'étude d'une œuvre poétique peut être abordée de multiples façons, dont certaines semblent faites pour permettre d'en éluder la signification. Tout discours, et spécialement tout discours poétique s'offre comme une totalité organique et signifiante. C'est la totalité qui signifie et chacune de ses parties composantes ne tire son sens que de cette signification globale »11.

    Par quelle(s) méthode(s) pouvons-nous explorer le sujet que nous nous sommes proposé : « Eugène DERVAIN : un africaniste ou un négritudien ? » ?

    Comment les deux poèmes proposés peuvent-ils expliciter notre sujet ?

    Qu'est-ce qu'un africaniste ou un négritudien ?

    Eugène DERVAIN est-il un africaniste ou un négritudien au sens premier des termes ?

    Pour répondre aux différents problèmes spécifiques de notre sujet, nous nous sommes proposés de saisir le poète dans son propre discours à travers la théorie de l'énonciation, et sans oublier « la psychologie individuelle de l'auteur »12 à travers la psychocritique. Ces deux méthodes qui nous semblent fiables pour appréhender « la signification et l'articulation interne »13 des poèmes seront renforcées par une synthèse explicative. Pour mieux saisir donc ces méthodes à travers les deux poèmes susmentionnés nous verrons successivement l'image de soi de DERVAIN, la vision de DERVAIN de l'Afrique, DERVAIN : un africaniste ou un négritudien ? Et la négritude de DERVAIN

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     

    10-            Cf. note 8, p.3

    11-            Idem

    12-                  Ibidem

    13-                  Ibid

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    PARTIE I : DERVAIN ET L'AFRIQUE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    •I-                 L'IMAGE DE SOI DE DERVAIN

     

     

     

    L'image de soi, c'est la projection que tout sujet parlant en situation de communication fait de lui dans son propre discours ; c'est une opinion qu'on bâtit sur soi- même dans son propre discours. Autrement dit c'est l'inscription de tout usager de la langue dans son propre énoncé. Selon la thèse de Paul Grice, que cite le professeur Bohui Hilaire dans son cours, « un énoncé, dans certaines situations de discours peut transmettre infiniment plus d'informations au destinataire du message que son sens littéral ne le laisse penser »1 or la poésie est avant tout un énoncé adressé à une tierce personne. Pour saisir donc cette image de DERVAIN, nous allons identifier dans le corpus (les poèmes sur lesquels nous travaillons)2 les manifestations de l'inscription du poète dans son discours et puis analyser le corpus à travers eux pour montrer que le poète se voit comme un apatride et comme un africain.

     

    •1-     COMME UN APATRDE

     

    Un apatride, pouvons-nous dire avec désinvolte, c'est un « sans patrie ». Un apatride est une personne qui n'a pas ou qui n'a plus de nationalité. Dire qu'Eugène DERVAIN est un apatride, c'est dire qu'il n'a pas de nationalité ou qu'il n'a plus de nationalité. Ce n'est pas nous qui le disons mais sa présence dans son énoncé nous le fait dire. En effet, le poète est présent dans les deux poèmes3 par les indices d'énonciation.

    Le poète, par l'emploi des indices de personne et de possession, s'implique dans son discours et se laisse saisir comme une personne qui n'a pas de patrie ou de nationalité. Il quitte tôt « la CARAIBE qui en silence prie »4 avec sa tante pour l'Afrique. Et là-bas, il sait qu'il est « étranger »5 et que l'Afrique est « une terre étrangère »6 à lui.

     


     

    1-          Pr. BOHUI Hilaire, cours sur le discours ; la pragmatique : une approche en analyse, dispensé aux étudiants de maîtrise à l'Université de Cocody, année 2009-2010.

    2-             Cf. note 9, p.3

    3-                    Idem

    4-             A MA TANTE QUI  DECOUVRIS L'AFRIQUE EN 1965, vers 3, p.26 d'une vie lisse et cruelle

    5-             Idem

    6-             Ibidem

    Il dit « je suis né loin d'elle »7. Mais dans le deuxième poème8, Eugène DERVAIN reconnaît qu'il n'est « pas étranger »9.

    Nous sommes perplexes devant la confusion créée par Eugène DERVAIN. Cependant, le premier corpus10 est révélateur. Dans ce poème, DERVAIN n'est autre qu'une personne étrangère : « Personne n'a jamais dit que ce pays est nôtre »11. Le pronom possessif « nôtre » implique DERVAIN et sa tante, et dit que l'Afrique n'est pas la leur. Un peu plus loin, DERVAIN renie la couleur de sa peau : « Le hasard des courants a dilué ma peau »12, et accuse un certain « on » de l'avoir prêté « une couleur indécise ».13

    L'adjectif qualificatif « indécise » précise la subjectivité du poète. Il doute de sa race, de sa nationalité. Il est incertain. Ce « subjectivème »  trahit donc la personnalité et l'image du poète. Le même pronom impersonnel « on » est toujours au banc des accusés. C'est lui encore que le poète accuse pour justifier le fait qu'il n'a pas de nationalité : « quand on vous persuade que la race fait la nation »14. Si « la race fait la nation » comme il le dit, alors nous disons qu'il refuse sa nation  car le verbe « persuade » est le fait d'intimider, le fait d'essayer de convaincre, or Eugène DERVAIN n'est pas convaincu que «  la race fait la nation ». Le fait de renoncer à la race, à la couleur de sa peau implique le renoncement de la nation. Il renonce donc à la nationalité et devient du coup un apatride.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     

    7-             Cf. note 4, p.6

    8-             DUEKOUE, le deuxième poème de notre travail, extrait d'une vie lisse et cruelle, pp.31-32

    9-                    Idem, v.28, p.32

    10-            Cf. note 4 p.6

    11-            Idem

    12-            Ibidem

    13-            Cf. note 8

    14-            Idem

    2- COMME UN AFRICAIN

     

    Le poète, par sa présence dans les poèmes, a une image d'apatride. Cette image est très vite suppléée par une autre image de soi. Il se voit comme un africain. Par un africain, nous pouvons dire d'une personne qui « est de l'Afrique »1, en d'autres termes qui appartient à l'Afrique. Et DERVAIN se dit appartenir ou être de l'Afrique :

     

    Lorsqu'à tous les instants chaque jour il me faut

    Fouiller dans ma mémoire et rappeler aux autres

    [...]

    [que l'Afrique est] ma patrie2

     

    Voici ce que dit Eugène DERVAIN de lui-même.

    Par l'emploi des adjectifs possessifs « mon », « ma », ... le poète s'attribue l'Afrique car « cette terre [lui est] chère »3. Il ne peut plus sans passer. Il s'est trouvé une terre, une nation, et c'est l'Afrique. Ces adjectifs mettent en évidence une relation de réciprocité entre le poète et l'Afrique. Le poète dit être le possesseur de l'Afrique : « mon Afrique »4, et de l'Afrique être issu : « ma patrie »5. En effet, dans le mot « patrie », nous avons le mot « père » or le père est le géniteur. En d'autres mots, « patrie », dans son sens étymologique, signifie « pays du père »6. Acceptant alors ce sens premier du lexème « patrie », nous pouvons sans doute dire qu'Eugène DERVAIN, de « ma patrie », le pays de son père, dit appartenir à l'Afrique. Il est originaire de l'Afrique car l'Afrique est le pays de son père : « De me dire, mon Afrique, que tu es ma Patrie »7. Ce n'est pas surprenant de le voir dire dans DUEKOUE : « je ne suis pas étranger [...] »8.

     

     


     

    1-             Dictionnaire Universel de poche, Paris, Hachette, 1993, p.10

    2-             Cf. note 4, p.6, v. 21-23 et v. 32

    3-             Idem, v.28

    4-             Ibid, v.32

    5-             Ib

    6-             Dictionnaire pratique du français, Paris, Hachette, 1987, p.801

    7-             Cf. note 2

    8-             Cf. note 8, p.7

    Eugène DERVAIN peut se dire africain, et nous aussi, nous pouvons le dire sans faux-fuyants car les éléments de la métalinguistique qui parsèment les deux corpus9 prouvent qu'il est de l'Afrique : « le niger, ébriés, GRAND BASSAM, COCODY, ANOUMABO, BLOKOSS, FANTI, BETE, GUERE, NIABOUA, SENOUFO, les tambours, laghia (A MA TANTE QUI DECOUVRIS l'AFRIQUE EN 1965), DUEKOUE, tambour (DUEKOUE) ». Dans son discours, il ne se cache pas, il est africain et fier de l'être. Et l'Afrique, il la connaît car il est de l'Afrique, et l'Afrique est son continent.

     

     

    DERVAIN, croyant se cacher derrière le discours poétique10, a laissé des indices d'énonciation mettent à nu son image de soi. Il s'est d'abord défini comme un apatride avant de confirmer son statut d'africain. Acceptant donc qu'il soit un africain, il aura une vision de l'Afrique.

     

     

     

     

     

    II-         LA VISION DE DERVAIN DE L'AFRIQUE

     

     

    Il serait hasardeux sans nous donner une méthode pour appréhender la vision du poète. Pour mieux élucider cette vision, nous avons pris un certain parti qui «  veut que l'œuvre s'explique seulement par la psychologie individuelle de l'auteur »11. Il nous faut donc « procéder à la psychanalyse effective de l'auteur [...] »12. Et c'est à Mauron que revient le mérite d'avoir élaboré une méthode d'approche appelée psychocritique13.

     

     


     

    9-             Cf. note 8, p.7

    10-            Pour ne pas susciter une confusion, du discours poétique, nous retenons que le langage de la poésie.

    11-            Cf. note 8, p.3, il note la difficulté de cette méthode est qu'on rencontre.

    12-            Mauron (Charles), Des métaphores obsédantes aux mythes personnels, Paris, José Corti, 1978.

    13-                  Idem

    Cette méthode permet de mettre à nu la personnalité profonde de l'auteur, en d'autres termes l'état d'âme d'Eugène DERVAIN. A travers les mots, les expressions, les images qui reviennent de manière consciente ou inconsciente sous la plume du poète que Mauron appelle « métaphores obsédantes »14, nous allons montrer que l'Afrique pour DERVAIN est une quête identitaire et aussi sa patrie.

     

    •1-     UNE QUETE D'IDENTITE

     

    Dans la carte d'identité15, Jean Marie ADIAFFI soutient, par le personnage Mélédouman, que l'identité d'une personne, c'est d'abord avoir un nom, puis une terre et enfin un peuple. C'est aussi la conception de l'identité chez l'africain. Se fiant sur ce principe, nous pouvons dire de l'identité que c'est l'acceptation de l'être en tant que tel, et Eugène Dervain est à la recherche de cette terre, de ce peuple pour établir son identité. Il en est obsédé.

    Dans le corpus16, le mot « terre » est occurrent et laisse sans doute dire que le poète est obsédé de posséder une terre. Nous avons dans A MA TANTE QUI DECOUVRIS L'AFRIQUE EN 196517 « la terre (v.26), cette terre (v.28) » et dans DUEKOUE18 « terre amoureuse (v.6), voici la terre (v.14) ». Il a besoin d'une terre pour être chez lui et pour ne pas qu'on dise de lui qu'il est « un étranger »19. Ce n'est pas seulement le mot « terre » qui forme la métaphore obsédante de DERVAIN. Il y a aussi « la forêt, la savane, la mer, plante, la floraison, des feuilles d'herbe, la montagne... ». Ces mots utilisés, épars, par le poète révèlent un cadre, un environnement, un lieu, un espace géographique qu'il se crée dans son esprit, dans sa conscience, et où il fait bon vive : « la douceur, sa fraîcheur, fécondité, féconditer ».

    Nous voyons un poète qui, des éléments communs et connus, et propres à la nature, crée son univers pour s'établir et s'installer. Il est aussi angoissé par la couleur de sa peau.

     

     


     

    14-            Pr. Jean Marie KOUAKOU, cours sur la méthodologie critique : la psychocritique, présenté par Dr. Vahi Y. aux étudiants de Licence de Lettres Modernes à l'Université de Cocody/ Abidjan.

    15-            Jean Marie ADIAFFI, La carte d'identité, Abidjan, CEDA, 1980, pp.28-29

    16-            Cf. note 9, p3

    17-            Cf. note 4, p.6

    18-            Cf. note 8, p.7

    19-            Idem

    Il refuse le fait d'être ce qu'il n'est pas. Il refuse d'être ce que la couleur de la peau lui impose. Il y a un refoulement20 total de son être et de sa chair. Un refus total de l'acceptation de la couleur de sa peau. Ce refus, ce refoulement assez constant dans l'inconscient du poète fait jaillir la personnalité du poète. Pour lui, la couleur de sa peau a été diluée : « Le hasard des courants a dilué ma peau »21 ou c'est « une couleur indécise » et prêtée22. Dans son subconscient, son inconscient, il refuse le principe que « la race fait nation »22. Son refus d'être identifié par la couleur de sa peau ou par la race l'amène à affirmer une identité qui lui propre mais encore ambiguë.

    Il semble épousé l'Afrique car « cette terre [d'Afrique lui] est chère [et cette terre ne lui est pas] étrangère »23. Il se reconnaît en Afrique, il saisit son être en Afrique car « les tambours par ici ne battent pas laghia »24 et « le son de [son] tambour [est] comme le son [de l'Afrique] »25. « Les siècles ont passé sur mon esclavage »26, un souvenir de l'histoire de l'Afrique, et ce souvenir parsème les poèmes : « le souvenir, mon souvenir, ma mémoire, mon rêve ». Ce qui renvoi à son enfance. Une enfance traumatisée du fait qu'il n'est ni blanc ni noir. C'est ce fait qui l'amène à chercher une identité vers l'Afrique. Eugène DERVAIN est en quête perpétuelle identitaire. La quête d'identité est donc son mythe personnel27. Nous avons dire qu'il saisit son être en Afrique. L'Afrique que sera-t-elle pour lui ?

     

     

    2- L'AFRIQUE, SA PATRIE

     

    Dire non à la race qui fait nation, Eugène DERVAIN doit trouver un idéal, un cadre pour se réaliser. Et ce cadre, c'est l'Afrique. Il semble trouvé en Afrique son identité car il est baigné dans la pure perfection de l'Afrique28 :

     


     

    20-            Thierry Bonfanti, Michel Lobrot, la psychanalyse, Paris, Hachette, 1995-1999

    21-            Cf.note 4, p.6

    22-            Cf. note 8, p.7

    23-            Cf. note 4, p.6

    24-            Idem

    25-            Cf. note 8, p.7

    26-            Idem

    27-            Cf. note 12, p.9

    28-            Cf. note 8, p.7

    J'avais rêve de baigner mon rêve dans la pure perfection de

    ton corps Afrique.

    Et son Afrique, à lui, c'est « GRAND BASSAM, COCODY, ANOUMABO, BLOKOSS »29 et « DUEKOUE »30. C'est l'Afrique  des « semailles [et des] moissons »31. C'est l'Afrique où « un rendez-vous d'amour  est toujours un printemps »32. C'est l'Afrique où les peuples tels que « FANTI, BETE, GUERE, NIABOUA, SENOUFO » l'ont accepté. C'est l'Afrique en général et la Côte d'Ivoire en particulier. Le continent africain trouble la conscience du poète et submerge à la surface de son inconscient : « mon Afrique, AFRIQUE, Ton corps AFRIQUE ». Au fur et à mesure que le poète progresse, l'écriture du mot « Afrique » change de Caractère scriptural. Ce qui révèle l'importance que ce dernier accorde à l'Afrique. Aux yeux du poète, l'Afrique a une grandeur, et elle est importante. C'est cette Afrique que « le poète [...] entend demeurer fidèle »33. L'Afrique, c'est celle qui a dit au poète tu n'es pas « étranger » mais frère, fils car c'est « [ton] Afrique », et lui de lui répondre « [...] tu es ma patrie ».

    L'obsession d'appartenir à l'Afrique est tellement grande qu'il se contente de dire « tant pis s'il faut t'aimer silencieusement ». Non seulement le mot « Afrique » revient plusieurs fois dans le corpus mais aussi les mots tels que « la ville, ce pays, nation, ma patrie » coulent sur la plume du poète. Sa soif de trouver une identité est satisfaite. Il a enfin trouvé son identité, l'identité dans la conception africaine, « [...] Puisque tout ici [l'] appartient et atteste ce qu' [il est, qu'il est] »34.

     

     

    DERVAIN, sans se rend compte qu'il est à la quête perpétuelle d'une identité, va soulager son manque par une identité qu'il s'impose lui-même ; celle de l'Afrique. S'attribuer une identité africaine n'est-il pas se considéré comme un connaisseur de l'Afrique ou comme un défenseur des valeurs africaines ?

     

     


     

    29-            Cf. note 4, p. 6

    30-            Cf. note 8, p.7

    31-            Idem

    32-            Cf. note 4, p. 6

    33--                 Cf. note 8, p.3

    34-            Cf. note 4, p. 6

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    PARTIE II : DERVAIN ET LA NEGRITUDE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    •I-                      DERVAIN : AFRICANISTE OU NEGRITUDIEN ?

     

     

     

    Nous touchons ici le but de notre mémoire1, celui de montrer qu'Eugène DERVAIN est soit un africaniste soit un négritudien. Cependant, il n'est pas question d'appliquer une méthode critique quelconque pour appréhender le sujet2. Nous avons déjà fait appel à deux méthodes critiques3. Cette dernière partie est une sorte de synthèse que nous avons appelée « synthèse explicative ». Synthèse explicative, parce qu'il est question de dire ce que nous avons retenu de la première partie ; parce qu'il est question aussi d'expliquer les poèmes par une sorte de lecture méthodique4. C'est pour toutes ces raisons que nous avons optées pour cette démarche un peu personnelle. Dans cette démarche, nous verrons successivement DERVAIN en tant qu'africaniste, et DERVAIN en tant que négritudien et la négritude de DERVAIN.

     

     

    •1-          DERVAIN, UN AFRICANISTE

     

    Un africaniste est un « spécialiste des langues et civilisations africaines »5. Pour étendre cette définition du dictionnaire, nous pouvons dire qu'africaniste est une personne qui s'intéresse à l'Afrique parce que son histoire, son origine est de l'Afrique. C'est aussi un écrivain latin ou européen originaire de l'Afrique.

    Partant donc de cette définition, nous voyons Eugène DERVAIN en tant qu'un africaniste au sens premier du terme. En effet, dans ses poèmes, il se présente comme un africain6 car il dit appartenir à l'Afrique. L'Afrique, il la connaît, avons-nous dit. « Conscient d'être un individu hybride, étranger à lui-même comme à ses frères de race »8, Eugène DERVAIN

     


     

    1-             Allusion au thème de notre mini mémoire : Eugène Dervain, un africaniste ou un négritudien ?

    2-             Allusion au titre du grand I de la deuxième partie.

    3-                    Allusion aux méthodes utilisées dans la première partie de notre travail.

    4-             Il n'est pas question d'appliquer concrètement la lecture méthodique.

    5-             Petit Robert, 1972

    6-             Voir l'image de soi : comme un africain, pp. 8-9

    7-          Idem.

    8-          Jacques Chevrier, la littérature nègre, Armand Colin/Nouvelles Editions Africaines

    renonce à la couleur de sa peau parce qu'il n'est pas ce qu'il est, c'est-à-dire hybride ;

    parce que la couleur de sa peau est une couleur de circonstance; parce que dans ses veines coule le sang africain ; parce que la couleur de sa peau est le fruit de l'esclavage10.

    Les siècles ont passé sur mon esclavage

    au bout desquels on m'a fait ce prêt d'une couleur indécise

    quand on vous persuade que la race fait nation

     

    Dervain est un spécialiste des langues africaines car il parle bien « FANTI, BETE, GUERE, NIABOUA, SENOUFO »11 et des civilisation africaines car il sait qu'à DUEKOUE « [...] l'homme plante et ne tue pas l'épervier »12. Pour s'intéresser à l'Afrique, il faut, comme le dit Alain Ricard, commencer par apprendre une langue africaine13. Et c'est ce qu'à faire Eugène DERVAIN, lorsqu'il cite les langues parlées en Afrique voire en Côte d'Ivoire dans ses poèmes. Il découvre l'Afrique en même temps que sa tante, et l'épouse comme sa patrie car il était en quête perpétuelle d'une identité, et voila qu'il la découvre au cœur de l'Afrique, surtout de la Côte d'Ivoire. Il s'est profondément enraciné dans le continent africain qu'il laisse « l'Afrique [palpiter] au cœur de ses préoccupations »14. En le lisant de près, on verra qu'il se dit plus africain que les africains eux-mêmes :

    De me dire, mon Afrique, que tu es ma patrie15

    [et que]

    Je ne suis pas étranger à l'enivrement de ce matin.16

    Car il est fier d'être un africain, et il s'enorgueillit que l'Afrique soit sa patrie. L'africanisme d'Eugène DERVAIN a un nom, c'est « l'ivoirianisme » ou « l'ivoirisme ». C'est-à-dire propre à la Côte d'Ivoire. S'approprier l'Afrique n'est-elle pas une manière de proclamer sa négritude ?

     


     

    9-             Allusion à un poème de Bernard DADIE.

    10-            Cf. note 8 p7

    11-            Cf. note 4 p.6

    12-            Cf. note 8 p7

    13-            Alain RICARD, De l'africanisme aux études africaines. Textes et « humanités ».

    14-            Voir la note de F.X. Cuche à la deuxième page de couverture de UNE VIE LISSE ET CRUELLE.

    15-            Cf. note 4 p.6

    16-            Cf. note 8 p7

     

    •2-    DERVAIN, UN NEGRITUDIEN

     

    Le concept de la négritude est « un champ de possibilités interprétatives »17, c'est-à-dire ce terme est ouvert à toutes sortes d'interprétations, et les encres des critiques ne cessent de couler. Pour cela, il est préférable de connaître la définition que lui accordent ses concepteurs. Césaire la définit ainsi18 :

    La Négritude est la simple reconnaissance du fait d'être noir et l'acceptation de ce fait , de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture.

    Et Senghor l'explique en ces termes19 :

    La  Négritude, c'est l'ensemble des valeurs culturelles du monde noir, telle qu'elles s'expriment dans la vie, les institutions et les œuvres des Noirs. Je dis que c'est là une réalité : un nœud de réalités

    Mais Césaire insistera sur le fait que la définition qu'il donne à la négritude ne peut être valable que par la coexistence d'autres définitions. C'est ce qui l'amène à dire  « qu'outre sa négritude, il est d'autres négritudes dont la plus célèbre reste présentée comme la défense et l'illustration des valeurs africaines par Léopold Sedar Senghor »20.

    La négritude, dira Marcien Towa, est avant tout un mouvement poétique21 dans lequel l'on dit être fier d'être noir et de présenter les valeurs africaines. Sans se hasarder avec la définition du concept de la négritude, nous pouvons dire que c'est à partir de ces définitions susmentionnées que nous allons rechercher une définition dans les textes d'Eugène DERVAIN, une définition qui lui sied. En effet, la négritude est une culture de mémoire et d'émotion. Et cette négritude se lit dans ses poèmes. La culture de la mémoire est le propre du noir or chez DERVAIN, c'est l'écriture de la mémoire. Il use à bon escient d'un vaste champ lexical de la mémoire : « le souvenir, mon souvenir, ma mémoire, mon rêve... ». DERVAIN se rappelle, se souvient de l'Afrique de ses ancêtres22, l'Afrique des danses, des « semailles », des « moissons » et des « tambours ». Il se présente cette Afrique comme une personne flamboyante, généreuse, belle...

     


     

    17-            UMBERTO Eco, Œuvre ouverte, chap.4, Paris, Editions Points, 1965, p. 138

    18-            Lylian KESTELOOT, la négritude hier et aujourd'hui in Césaire et Senghor. Un pont sur l'Atlantique, Paris, Editions L'Harmattan, 2006

    19-            Idem

    20-            Dr. Fatiha BOULAFRAD, nègre je suis, nègre je resterai : dernière parole d'un homme constaté et contesté

    21-            Cf. note 11. p. 9

    22'-           Allusion à un poème de David DIOP

    Les vers qui s'ensuivent l'illustrent bien :

    « Les rouges frondaisons des flamboyants de mai »23

    « le couteau d'un nuage nous partagea la pomme »24

    « Une beauté aussitôt saisie que possédée »25

    «  J'avais rêvé de baigner mon rêve dans la plus pure perfection de

    Ton corps Afrique »26

    Ce dernier vers magnifie l'Afrique, et nous laisse sans doute dire que DERVAIN chante l'Afrique comme les précurseurs de la négritude. Et Cuche de dire que « E. DERVAIN rejoint en cela la pure tradition africaine.[...] parti à la recherche de sa propre négritude, [il] s'est profondément enraciné dans le continent »27. Cet enracinement est dû à l'amour qu'il a pour le continent : « Tant pis s'il faut t'aimer silencieusement »28.

    Et la négritude de DERVAIN, c'est le mélange de la négritude de Césaire et de Senghor. Refuser la «  couleur indécise » de sa peau pour revêtir celle de l'africain et brandir les valeurs culturelles de ce dernier, c'est être vraiment un négritudien.

     

     

     

                Eugène DERVAIN donne un autre visage à la négritude. Pour être un négritudien, dans sa conception, c'est d'abord s'intéresser à l'Afrique,  « [lire...] dans la géographie précise de [son] corps (de l'Afrique) »29 ensuite, et présenter enfin ses valeurs culturelles et esthétiques.

     

     

     

     

     

     

     


     

    23-            Cf. note 4, p.6

    24-            Idem

    25-            Ibidem

    26-            Cf. note 8, p.7

    27-            Cf. note 4, p.6,

    28-            Idem, v33

    29-                  Cf. note 8, p.7

    II-  LA NEGRITUDE DE DERVAIN

     

     

                La négritude, l'avons nous vue comme «  la simple reconnaissance du fait d'être noir et l'acceptation de ce fait »1 ou comme «  l'ensemble des valeurs culturelles du monde noir »2. Chez DERVAIN, en associant donc la négritude de Césaire et Senghor, la négritude prend un autre visage, celui de l'africanisme. Car dans sa négritude, nous voyons le concept de l'africanisme. Il n'est pas un africaniste, il est plus que ça ; il n'est pas aussi un négritudien, il est plus que ça. La négritude de DERVAIN va au-delà du concept de l'africanisme et celui de la négritude.

                « Le mouvement de la Négritude est né, peu importe l'origine et l'histoire du mot, l'essentiel est qu'il existe désormais une voix africaine dont les échos n'ont pas fini de retentir »3, et DERVAIN, le sachant, use de ce concept à divers interprétations pour faire entendre sa voix dans le continent africain et définir sa négritude.

    Nous voulons montrer que la négritude de DERVAIN peut se définir comme une authenticité africaine, comme une quête identitaire, et le souci de préservation de cette identité lui permet donc de saisir l'autre, de le connaître et de faire partie de sa vie quotidienne. Pour saisir donc la négritude de DERVAIN, nous allons d'abord la définir comme une écriture de soi, et puis comme une écriture de l'autre.

     

     

    •1-                 UNE ECRITURE DE SOI

     

    L'écriture de DERVAIN s'approprie la nature, l'espace, l'environnement,... Elle est en contact permanent avec la nature. L'évocation des éléments de la nature « l'eau, la forêt, la savane, la mer, la terre, montagne, rivage, étoiles, ciel, nuage... » donne une tonalité lyrique à ces poèmes. S'attarder à cela, nous risquerons de nous contredire plus tard. Le lyrisme, chez DERVAIN, c'est « le souvenir, le rêve, la mémoire ». Le lyrisme, nous savons, est le caractéristique de la première personne traduisant ses émotions ; évoquant le souvenir d'enfance, les éléments de la nature. Le lyrisme, chez DERVAIN, est

     


     

    1-             Cf. note 18, p.16

    2-                    Idem

    3-             Jacques CHEVRIER, Littérature nègre, Armand Colin/Nouvelles Editions Africaines

    l'écriture de soi. Ici, ce n'est pas une auto-fiction ni une autobiographie mais une écriture à la première personne. Eugène DERVAIN écrit à la première personne : « nous, je, j', m' mon, ma... ».

    Ses poèmes acquièrent toutes ses énonciativités, c'est-à-dire ses poèmes prennent en compte le sujet parlant dans son énoncé. Eugène se présente lui-même comme un apatride, « un étranger » à la recherche d'une  « nation », d'une identité. Son écriture devient alors une écriture de quête identitaire. Le lyrisme, l'énonciativité, la quête identitaire,... des termes qui renvoient à une seule réalité : l'image de soi du poète. Le poète se présente donc comme un quêteur d'identité. Sa quête l'amène à s'intéresser à l'Afrique, à la découvrir, à l'épouser et à s'identifier à elle. D'où son africanisme mais il y a sa négritude qui domine. C'est donc une synthèse de la pure négritude et du pur africanisme. Cette écriture de soi qui marque sa négritude le pousse à adopter une autre écriture, celle de l'autre.

     

     

    •2-                UNE ECRITURE DE L'AUTRE

     

    L'autre, chez DERVAIN, ce n'est pas l'inconnu. C'est une personne


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  • Les types de discours

     

     

    • Ø Discours délibératif

    « Le genre délibératif est l'un des trois grands genres de l'éloquence. Il est défini par une matière du discours : le caractère opportun ou inopportun d'une décision à prendre, de la part de particuliers ou de corps constitués, touchant aussi bien les positions idéologiques, que la morale et ses enjeux les plus concrets dans l'action. Le genre délibératif envisage aussi ce qu'on appellerait aujourd'hui les conditions de faisabilité de l'éventuelle entreprise en y incluant la considération des mœurs des personnes concernées. » Le discours délibératif, qu'on qualifie aussi de discours politique, s'adresse à l'assemblée, au sénat. On y conseille ou déconseille sur toutes les questions portant sur la vie de la cité ou de l'État : la diplomatie, l'économie, la budgétisation, la législation, etc. Ce type de discours a donc pour finalité les décisions à prendre et on y discute de leur côté utile ou nuisible. Il faut y utiliser une argumentation par l'exemple.

    • Ø Discours démonstratif

    « Le genre démonstratif est l'un des trois grands genres de l'éloquence. Il se définit par la matière du discours : le bien ou le mal. Traditionnellement, le discours porte sur une personne : il devient donc blâme ou éloge, par rapport à l'utilité et à l'honnêteté, selon la considération de ladite personne et de ce qui a trait à elle, même après sa mort. Mais il n'y a pas de raison de limiter ce genre à un objet personnel. Le fait est qu'on loue des hommes (des dieux), parfois même, peut-être par plaisanterie, des animaux, des institutions ou des États, voire des objets inanimés. » Ce genre de discours a pour dénomination grecque discours épidictique. L'auditoire est représenté par des spectateurs. Ce type de discours regroupe tous les discours d'apparat, les panégyriques (sens 1 : "Discours d'apparat prononcé devant le peuple lors des grandes fêtes religieuses, exaltant la gloire nationale et vantant les avantages de telle ou telle entreprise ou voie politique." - Source : T.L.F.I. ), les oraisons funèbres, etc. On y blâme ou y loue un homme - ou une catégorie d'hommes - en mettant en avant le côté noble ou vil de son existence, de son action. L'amplification est souvent employée dans ce type de discours. Le discours démonstratif ne dicte pas un choix, mais oriente les choix futurs. Enfin, il peut être employé à des fins pédagogiques.

    • Ø Discours judiciaire

    « Le genre judiciaire est l'un des trois grands genres de l'éloquence. Il se définit par la matière du discours : il s'agit toujours de discuter sur le vrai ou le faux, contradictoirement.La judiciaire correspond donc à plusieurs états de la cause. » Dans ce genre de discours, l'auditoire est généralement un tribunal. On vise ici à accuser (par un réquisitoire) ou à défendre (par une plaidoirie). Le discours porte sur des faits qui se sont passés. il s'agit de les établir, de les qualifier et de les juger. On fait donc appel aux notions de justice et d'injustice, et on utilise le raisonnement syllogistique et l'enthymème. L'organisation du discours est soumise à des lois : on s'adresse à un auditoire spécialisé.

    •Ø      L'invention

    « L'invention est la première des cinq grandes parties de la rhétorique. Fondamentalement, c'est le choix de la matière à traiter dans le discours. Il s'agit toujours d'un mixte : d'une part, ce qui est directement commandé par le sujet de la cause (notamment dans le genre judiciaire), et qui concerne précisément les choses dont on va parler ; d'autre part, l'ensemble des procédures logico-discursives qui moulent le développement du discours : c'est-à-dire les lieux les plus propres à orienter le mouvement argumentatif (ce qui inclut donc, dans le judiciaire, les preuves). L'invention n'est ainsi pas complètement à l'écart de la recherche des mots, même si celle-ci relève plus pleinement de l'élocution. La qualité majeure de l'invention est évidemment le jugement. » L'invention (ou inventio ou heurésis) est la recherche la plus exhaustive possible, par un orateur, de tous les moyens de persuasion relatifs au thème de son discours. Ces moyens sont : les sujets, les preuves et les arguments, les lieux, les techniques de persuasion, les techniques d'amplification, la logique.

    •Ø      La disposition

    « La disposition est une des grandes parties de la rhétorique. Elle consiste en l'organisation du discours, c'est-à-dire savoir en quel lieu on doit dire ce qu'on a à dire ; c'est aussi l'arrangement de tout ce qui entre dans le discours, selon l'ordre le plus parfait ; ou encore une utile distribution des choses ou des parties, assignant à chacune la place et le rang qu'elle doit avoir. La disposition embrasse la division et s'appuie sur des propositions. Il importe de noter que la disposition ne se réduit pas à l'observation de la suite des cinq grandes parties du discours (spécialement judiciaire) : exorde, narration, confirmation, réfutation, péroraison. Elle gouverne l'ordre des différentes propositions, des thèmes traités, des indications anecdotiques narrées, des arguments déployés, du recours à tel ou tel lieu, même lors de l'action sur les sentiments de l'auditoire, notamment dans l'exorde et dans la péroraion, et enfin pour l'insertion de l'éventuelle digression. Il faut donc admettre que l'ordre est variable selon la cause, et qu'il est toujours nécessaire d'adapter le progrès de son discours en fonction de la situation concrète, ne serait-ce, par exemple, que pour le choix de mettre d'abord ou ensuite ses arguments les plus forts ou les plus faibles. Quintilien conseillait, à titre pratique, sa méthode personnelle, en tant que praticien et non en tant que théoricien : se mettre par esprit à la place de l'adversaire pour mieux juger de la stratégie des présentations. » La disposition (ou dispositio ou taxis) est la mise en ordre des moyens de persuasion, l'agencement et la répartition des arguments, dont résultera l'organisation interne, la composition générale et le plan du discours. Celui-ci est organisé selon les lois de la logique, de la psychologie et de la sociologie. L'organisation du discours, ainsi que la manière de le construire et de mettre en évidence certains points, sont dilués aujourd'hui dans les techniques de composition et de dissertation. Traditionnellement, la disposition se décompose en quatre parties : l'exorde, la narration, la confirmation, la péroraison.

    •Ø      L'action

    « L'action est une des cinq parties de la rhétorique. Elle n'est pas sans rappeler ce qu'on désignerait aujourd'hui sous le nom d'interprétation ou, en linguistique, de performance, encore que ce dernier concept ne soit pas exactement du même ordre. En tout cas, l'action peut soutenir un discours ordinaire et le rendre intéressant ou même fort, comme elle peut déclasser dans le banal ou l'inefficace un discours habile ou même puissant. L'action rapproche l'art oratoire de celui du comédien ; elle est le signe de l'individualité et de la singularité ; elle représente la composante sociale la plus forte de l'éloquence, la situant délibérément dans la vie. Traditionnellement, l'action a deux aspects : la prononciation et le geste. Il semble bien que le premier soit le plus important : il s'agit de la voix. [...] » L'action (ou pronuntiatio ou hypocrisis) est le parachèvement du travail rhétorique, l'énonciation effective du discours, la mise en œuvre des autres parties, où l'on emploie : les effets de voix, les mimiques, le regard, les techniques gestuelles. Ici, l'orateur devient acteur et doit savoir émouvoir par le geste et par les expressions du visage.

    •Ø      La mémoire

    « La mémoire est souvent considérée comme une des cinq parties de la rhétorique. Elle est en effet indispensable à l'interprétation du discours. Quintilien va même jusqu'à dire qu'un orateur qui serait entièrement dépourvu de mémoire devrait abandonner le métier. Il faut dire que le discours doit être prononcé par cœur, quitte à donner l'impression qu'on improvise [...]. » La mémorisation du discours (memoria ou mémoire) peut être intégrée à l'action : mieux on possède son discours, plus on est capable de l'adapter aux objections et d'improviser.

    •Ø      L'élocution

    « Le sens fondamental d'élocution est de désigner l'une des cinq grandes parties de la rhétorique. C'est celle qui préside à la fois à la sélection et à l'arrangement des mots dans le discours. La qualité essentielle de l'élocution est la clarté ; c'est l'élocution qui doit recevoir les ornements du discours. Elle est également le support de l'emphase et le lieu de manifestation des sentences. Enfin, l'élocution accepte naturellement les figures. »

    L'élocution (ou elocutio ou lexis) est la rédaction du discours, le point où la rhétorique rencontre la littérature. Le discours y est organisé dans le détail. Elle porte sur le style de la rédaction : elle fait appel aux figures, au choix et à la disposition des mots dans la phrase, aux effets de rythme, au niveau de langage.

    •Ø      L'exorde

    « Un exorde est l'une des parties obligatoires du discours : c'est la première. C'est dans le genre judiciaire qu'on en voit le plus purement les enjeux. Il a pour but de rendre les juges bien intentionnés, attentifs et dociles, à l'égard de l'orateur. » La fonction de l'exorde est essentiellement phatique : l'exorde comprend un exposé bref et clair de la question que l'on va traiter ou de la thèse que l'on va prouver. L'orateur pourra faire précéder l'exorde d'une présentation de soi. C'est la phase d'ouverture du discours.

    •Ø      La narration

    « La narration est l'une des parties obligées du discours, notamment dans le genre judiciaire. Elle fait l'objet de nombreuses prescriptions dans les traités, aussi diverses qu'en sont les pratiques concrètes. On propose parfois qu'il n'y en ait pas : c'est possible pour les causes très simples, où l'on peut se contenter d'une proposition ; c'est d'ailleurs une vraie question pour les cas où les juges sont déjà au courant : alors, on a toujours intérêt à en faire une malgré tout, ne serait-ce que relativement courte, et fortement sélective par rapport à son propre intérêt. [...] Elle est communément mise après l'exorde ; mais il peut arriver que, pour des raisons de stratégie de variété et de division dans la disposition, on la place plus loin. » La narration est l'exposé des faits concernant le sujet à traiter. Cet exposé doit paraître objectif : le logos y prend le pas sur le pathos et l'ethos. La narration nécessite la clarté, la brièveté, et la crédibilité.

    •Ø      La confirmation

    « La confirmation désigne deux attitudes oratoires. Soit il s'agit de l'opposé de la réfutation : on défend alors sa position parce que l'on est l'accusateur, dans le genre judiciaire, ou parce qu'on établit le premier un avis, dans le genre délibératif. La confirmation est alors souvent d'une allure affirmative, et il arrive que certains lieux soient plus propres à la confirmation qu'à la réfutation, même si en général ce sont les mêmes qui peuvent faire l'objet du jeu affirmation-négation. D'autre part, la confirmation désigne aussi l'amplification de ses arguments, dans n'importe quelle orientation que ce soit, et dans n'importe quel genre. C'est alors l'ensemble des procédés de soutien de son propos qui est ainsi visé. » La confirmation regroupe l'ensemble des preuves et est suivie d'une réfutation qui détruit les arguments adverses. On y utilise l'exemple, l'enthymème, l'amplification. L'amplification est l'art de trouver les meilleurs arguments et de les exposer selon une gradation en intensité.

    •Ø      La réfutation

    « La réfutation correspond à une tâche oratoire essentielle : ou il s'agit de défendre, et tout le discours consiste en une réfutation de celui de l'accusation ; ou il s'agit de répondre aux objections mutuelles, comme dans l'altercation. On peut aussi la considérer comme une partie du discours. »

    •Ø      La péroraison

    « La péroraison est l'une des cinq parties canoniques du discours : c'en est le couronnement. C'est dire l'importance de ce moment ultime, qui est le dernier feu de l'orateur, et doit de ce fait produire l'impression décisive pour emporter la conviction des auditeurs. » La péroraison met fin au discours. Elle peut être longue et se diviser en parties : l'amplification où l'on insiste sur la gravité, la passion pour susciter passion ou indignation, la récapitulation où l'on résume l'argumentation. Pour Cicéron , dans De inventione , la péroraison peut être un résumé (enumeratio), un mystère (enigmatio) ou un appel à la pitié (conquestio).


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