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LA POESIE: UN ART POUR L'HOMME. Conférence faite par Docteur TOH BI Tié Emmanuel le mardi 26 octobre 2010 à l'université de Cocody en Amphi 7. Conférence initiée par le Collectif des Etudiants d
LA POESIE, UN ART POUR L'HOMME.
Introduction
La poésie est le genre avec lequel l'opinion publique entretient des rapports méticuleux, sous-tendus d'affectivité, sinon, de prudence, d'étonnement parfois, d'admiration très souvent, en tous cas, de rapports cultuels ; un tel aperçu , si laconique qu'il soit, semble enraciner la poésie dans l'ancrage de l'Olympe, demeure des dieux. C'est, donc, avec évidence que chaque individu, chaque peuple, chaque civilisation, s'en fait une expérience, certes, à des degrés divers. Il apparaîtrait intéressant d'exposer les identités vertueuses de ce style de langage, pas très quotidien aux Hommes, mais, fameux, pourtant. En effet, la poésie semble être un sacerdoce langagier, une œuvre de lumière et une œuvre de culture.
I- La poésie, un sacerdoce langagier
La poésie est le prisme d'une relation intuitive du locuteur avec les mots, les structures et syntaxes de la langue. Cette disposition linguistique, en mettant le lecteur/auditeur devant un monde nouveau, l'émeut et lui propose de multiples probabilités de compréhension d'un même fait de langue. Soit les extraits suivants :
- - «Bouche qui fait lyrique ma bouche» Senghor- Femme noire.
Un tel propos, à l'entendre, désaxe quelque peu ; plusieurs captations sont à entrevoir pour l'entendement : Il s'agit, soit, d'une bouche qui transforme, fabrique, convertit une autre bouche en lyrique, soit d'une bouche qui influence une autre bouche par un moyen lyrique, soit d'une bouche lyrique qui ressemble à une autre bouche lyrique etc... Toutefois, en prenant du recul, l'examen des deux mots « Bouche » et « lyrique » interpelle l'intelligence. C'est que la bouche est l'organe du goûter et de la parole, mais, aussi, un point de contact sexuel non négligeable. Ainsi, au-delà de la variété d'approches de l'énoncé « Bouche qui fait lyrique ma bouche », on peut objecter que la dialectique entre les deux bouches est fondée ou sur la parole, ou sur une alimentation, ou sur un plaisir corporel. Le jeu en est laissé à la sagacité de chacun.
- - « Nous surgîmes au milieu de la Fusillade
Comme deux corps ardents de braises
Et nos regards lançaient des flammes » Bohui Dali- Maïéto pour ZEKIA
Ici, l'on note l'usage d'un pronom personnel sujet « Nous » désignant une collectivité dont ferait partie le locuteur poète et décrivant une réalité de frayeur, celle de deux ou de plusieurs personnes qui « surgissent au milieu d'une Fusillade ». L'autre disposition qui rend perplexe, ici, c'est la comparaison entre l'idée de «surgir au milieu d'une fusillade » et « deux corps ». Plus simplement, le poète compare une phrase et un mot, une idée active et un élément, trahissant l'équilibre grammatical qui doit régir deux entités comparées. C'est ce déséquilibre qui crée une perplexité qui amène à se poser des questions et à supposer plusieurs interprétations. En plus, il y a que le lecteur/auditeur est désemparé par le vers « Et nos regards lançaient des flammes ». Comment, donc, le regard qui n'est qu'une simple orientation de l'organe de la vue vers une cible, peut accomplir l'action de « lancer des flammes », sachant pertinemment qu'il est hors de question que le regard, dépourvu de mains, réalise une action aussi belliqueuse que celle décrite et que la flamme n'est pas un objet rigide pour être tenue et lancée à l'enseigne d'un projectile. Cependant, la flamme, ayant la propriété de détruire, « Et nos regards lançaient des flammes » voudrait dire, entre autres, qu' à travers nos regards, on lisait l'intention de se venger jusqu'à détruire l'ennemi.
«Désossée
Désossée
Désossée
Orange hydrique bien en chair nubile de naguère
Jadis bercée par les séductions de la saccharose
A éveiller la libido des glandes » Toh Bi Emmanuel- Djèlénin-nin pour toi mon Afrique
On peut constater que l'imbrication du champ sémantique de l'Homme à celui de l' orange pour décrire le chiffonnement de la seconde, autrefois juteuse et succulente, surprend à plus d'un titre.
En somme, il s'agit, pour le langage poétique, d' amener le lecteur/ auditeur à participer à la reconstruction du sens de l'énoncé. Autrement, la langue serait plate et l'esprit humain même mourrait en raison de l'indifférence dans laquelle le laisserait une langue sans créativité. D'ailleurs, la langue ordinaire, communicative et utilitaire est jonchée d'éléments de style ou d'airs poétiques qui, à force d'usage, ont perdu de leur affectivité au point d'être ravalés au rang de catachrèses. Au plan stylistique, donc, le langage poétique est constitué d'écarts linguistiques doublés d' écarts sémantiques. Ce faisant, la poésie conduit à une magnificence de la langue et à un exercice d'intelligence. Ici, l'essentiel n'est pas de dire mais, plutôt, la façon de dire. Comme le dit Raymond Quénaud : « Dire, pas seulement pour dire, mais bien dire, fait un beau poème. » Ici, le mot est soumis à une espèce de manipulation, voire, de trahison, au regard de son emploi objectif et l'artiste-poète a tendance à l'idolâtrer. Cela suppose une richesse vocabulariale et une mise à jour de la grammaire. La poésie, donc, forge à la bonne expression tant orale qu'écrite.
II- La poésie, une œuvre de lumière.
Dans son œuvre Les rayons et les ombres, Victor Hugo dit ceci :
« Peuples
Ecoutez le poète
Ecoutez le rêveur sacré
Dans vos nuits sans lui complètes
Lui seul a le front éclairé ».
Ainsi, la poésie, du fait de son origine métaphysique, produit de la lumière. Car le poète rêve d'un monde idéal, totalement déconnecté de celui du vécu concret, marqué qu'il est par la corruption. Le monde dont il tient son inspiration est un monde célestifié, un monde d'harmonie, un monde où sont en phase toutes les entités qui sont en inimitié dans le monde objectif. Ce monde, le professeur Zadi l'appelle « le monde parallèle de l'harmonie universelle ». Djèlénin-nin pour toi mon Afrique, notre œuvre, le décrit dans l'extrait suivant :
« Le lion à table avec la biche rient aux éclats
La lune a la virtuosité du tchatchatcha avec les jeunes filles plantureuses la
Nuit
Echangeant des câlins l'épervier et le poussin s'offrent le tourisme de l'univers sans s'égratigner du tout
Le loup et l'agneau euphoriques entonnent à l'unisson un concert de réjouissance
Le serpent et le mangouste ne peuvent que se communiquer de la romance
Le jour et la nuit partagent les mêmes horaires
La poésie à l'honneur. » (P19).
Le poète, donc, sert de courroie de transmission entre les deux mondes. C'est pourquoi, Victor Hugo soutient que le poète est un mage qui conduit l'humanité vers la vérité. Et Platon de renchérir que le poète est un wates, c'est-à-dire, un devin. Ce n'est peut-être pas étonnant que la poésie ait aidé des peuples à se forger une identité, à interpeller des consciences mal disposées. A ce propos, le mouvement de la négro-renaissance au début du 20e siècle aux Etats-Unis, amené par William Dubois, et la négritude au milieu du siècle, amenée par Senghor et Césaire, ont permis de valoriser l'âme noire et de réduire le fossé haineux et de méfiance entre les deux races. Aujourd'hui, le noir, en quelque sphère qu'il se trouve, peut avoir les ambitions de son goût et aspirer à quelque poste de ses rêves.
- III- La poésie, une œuvre de culture.
Dans une économie de langage qui caractérise son art, le poète a l'art de combiner plusieurs notions de natures différentes et d'origines diverses. C'est son ouverture sur l'univers, aidée de sa personnalité sensible, qui lui donne une imagination fertile. Sueur de lune, notre troisième œuvre, poétise la réalité évoquée comme suit :
« Qui parle d'exégèse ici
Le guide éclairé n'est point un exégète
Le guide éclairé est immergé-vocabularial.
Il est sensible, émotif, rêveur
Il est ouvert en microcosme de l'univers
Il entretient en lui un monde parallèle.
Il crée des situations du néant, intuitivement
De son palais
Sur support graphique. » (P27).
La culture devrait être abordée, ici, dans ses deux sens ; à savoir l'ouverture sur l'univers, d'une part, et, de l'autre, le savoir intrinsèque d'un peuple qui lui vaut d'être une digne composante de l'espèce humaine aux côtés d'autres peuples et qui est conséquent à ses rapports avec la nature, la géographie, l'Histoire , la sociologie etc...
La poésie est le langage des dieux quand la culture, elle, est l'œuvre des dieux. Les deux concepts sont, donc, magnétiques.
Conclusion
Le sacerdoce langagier, l'œuvre de lumière et l'œuvre de culture, qui identifient la poésie, conditionnent les critères que remplit l'âme du poète, à savoir qu'il est sensible, qu'il dispose d'un bon répertoire du vocabulaire et qu'il est ouvert sur l'univers,donc, qu'il est cultivé.
En définitive, la poésie est une espèce de science-fiction comme l'a fait Jules Verne qui, dans les années 30 et 40, promouvait le roman de science-fiction qui se fondait sur les découvertes scientifiques du siècle pour créer un univers de fiction, un univers totalement invraisemblable. Les thèmes principaux de ses écrits étaient le voyage à travers le temps, le voyage à travers l'espace et le contact avec des civilisations extraterrestres. La poésie, aussi, dans la même période, sous le vocable du surréalisme, s'est émancipée et a connu un essor probant. Toutefois, il s'agit, pour la poésie, de créer un univers invraisemblable, non en se fondant sur les découvertes scientifiques, mais, plutôt, sur les découvertes de la langue, mieux, il s'agit de faire étale d'ingéniosité en se fondant sur l'orthodoxie de la langue. Et le mot, plus petite unité du fonctionnement linguistique subit des fards des plus impressionnants. Il n'est pas inutile de souligner que l'univers invraisemblable créé, en plus d'enrichir intellectuellement, favorise une évasion qui concourt à l'équilibre de l'être.
Bibliographie.
Adam (André) : Le texte descriptif, Ed Nathan, Paris, 1989.
Grevisse ( Maurice) : Le bon usage de la grammaire française,Ed Duculot, Paris,1988.
Alberès ( Réné-Marill) : La révolte des écrivains d'aujourd'hui, Ed Corréa, Paris, 1949.
Gleize ( Jean-Marie) : Poésie et figuration, Ed Seuil, Paris, 1983.
Kristeva (Julia) : La révolution du langage poétique, Ed Seuil, Paris, 1974.
Locha ( Matéso) : Anthologie de la poésie d'Afrique noire d'expression française,
Ed Hatier, Paris, 1987.
Picot ( Guillaume) :, Poésie lyrique au moyen âge, Ed Larousse, Paris, 1965.
Riffaterre ( Michael) : Sémiotique de la poésie, Ed Seuil, Paris, 1983.
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