• Un souci de salut

     

    Les textes de ce 21ème dimanche du Temps Ordinaire ne nous laissent pas indifférents. Nous avons jubilé le dimanche passé avec la Vierge Marie et l'Abbé Patrice KOUASSI. Aujourd'hui, les textes nous interpellent et nous disent d'abord que Dieu vient rassembler toutes les Nations (Es 66,18-21), ensuite il encourage ceux qu'il aime (Heb.12, 5-7─11-13), et enfin que le salut est universel et que la porte d'entrée est étroite (Luc 13,22-30). De ces textes, nous voyons que la question du salut préoccupe aujourd'hui les hommes comme hier les disciples de Jésus-Christ. Au fond, chacun de nous s'est posé un jour ou l'autre, pour lui-même, cette question : « est-ce que je serai sauvé ? »

    C'est peut-être, pour une part, ce qui motive un certain nombre de nos attitudes religieuses. A voir le succès de certaines sectes actuelles, qui ont comme principal argument qu'il n'y aura qu'un petit nombre de sauvés (par exemple les témoins de Jéhovah, pour qui, il n'aura que 140 mille élus), à voir la réponse de nombreuses personnes à cet appel à une conversion, à un changement de vie... Aujourd'hui, on peut se dire qu'il y a au cœur des hommes un souci de leur propre salut.

    N'y aura-t-il que peu de gens à être sauvés ? La réponse ne doit pas oublier que cette question est posée alors que Jésus marchait «  vers Jérusalem », le lieu de son destin. Jésus répond en deux manières. D'abord, il déplace la question pour dire que le salut n'est pas une question de nombre mais de désir fort, voire de combat intérieur. Puis, il dit qu'il faut se dépêcher car la porte ne va pas rester ouverte longtemps. La venue du royaume de Dieu entraîne vraiment un renversement des valeurs humaines et religieuses : « les premiers seront les derniers...les derniers seront les premiers... ».

    Nous savons que Christ, sur la croix, est mort pour le salut du monde, mais ce n'est pas de le dire ou de dire que nous sommes de bons catholiques (nous allons à la messe, nous communions) que nous serons sauvés. Pour être sûr d'être sauvé, c'est d'abord veiller sur soi-même en sorte d'être sauvé, avant de se poser la question du salut ou de damnation des autres : « Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? » Mt7, 3. Et cela demande une conversion urgente, un amour du prochain, une annonce de la Bonne Nouvelle. Cela signifie que nous devons prendre conscience de notre péché, et de notre état naturel de rébellion contre Dieu, nous en détourner délibérément, et lui demander de nous pardonner à cause du sacrifice de Jésus. Apprendre à combiner foi et bonne œuvre pour le prochain car « Tu vois que la foi coopérait à ses œuvres, que les œuvres ont complété la foi...» Jc.2, 22.

    Soyons attentifs aux textes de ce jour et surtout à l'homélie pour saisir les armes qu'il faut pour notre salut car il est aujourd'hui le souci des hommes. Le salut éternel qui consiste à échapper à la mort, et à vivre éternellement d'une vie sainte et heureuse dans une communion ininterrompue avec Dieu n'est pas l'apanage des hommes. Nul homme ne mérite ce salut, nul n'y a droit. Mais ce salut est offert gratuitement à tous les hommes qui se reconnaissent pécheurs et qui s'engagent à une conversion totale.

    Bonne célébration Eucharistique !

    Didier Placide


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  • CHRISTOLOGIE

     

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    PRÉSENTATION

    Christologie, branche de la théologie chrétienne traitant de la personne même du Christ. La christologie s'efforce de faire comprendre l'œuvre du Christ en définissant la nature de Jésus, en tant que personne, par rapport à Dieu et à l'humanité. Par là elle se distingue de la sotériologie, branche de la théologie qui étudie la rédemption et l'œuvre rédemptrice du Christ.

    La christologie ne relève pas tant de l'étude des propos révélés que de l'élaboration théologique d'une interprétation chrétienne du phénomène Jésus.

     

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    LES ÉCRITS DU NOUVEAU TESTAMENT

    De l'avis des critiques contemporains de la Bible, Jésus n'a pas enseigné explicitement qu'il était le Christ (c'est-à-dire l'oint ou le Messie) ; il a plutôt mis en pratique une christologie en paroles et en actes. Selon le théologien allemand Günther Bornkamm, Jésus aurait ainsi exprimé, par son enseignement et par ses actes, l'offre d'un salut venu de Dieu ; il aurait par là suscité un espoir messianique chez ses disciples, mais aussi la colère et la crainte de ses adversaires. Après sa mort en croix, l'espérance des disciples se serait trouvée confirmée par la résurrection de Jésus : ils auraient alors interprété ce qu'ils pensaient être la volonté de Dieu accomplie dans la personne de Jésus.

    Les premiers chrétiens formulèrent leur christologie dans les termes de la pensée religieuse de la Palestine du Ier siècle, où se mêlaient les conceptions hébraïques et hellénistiques de Dieu, de l'histoire et du destin. Un élément essentiel pour la christologie du Nouveau Testament fut l'importance croissante de la pensée eschatologique à cette époque : pour de nombreux spécialistes de nos jours, Jésus lui-même éprouvait le sentiment de vivre la fin des temps.

    On peut, à l'intérieur du Nouveau Testament, distinguer quatre formes anciennes de christologie.

    La première se dédouble en deux parties : d'une part, elle présentait la vie terrestre de Jésus comme celle d'un prophète eschatologique et d'un serviteur de Dieu ; d'autre part, elle attendait le retour du Christ en tant que Messie et Fils de l'homme (Actes des Apôtres, III, 13, 20-21).

    Une deuxième formulation, également dédoublée, présentait aussi le Jésus terrestre comme le prophète et le serviteur des derniers jours, mais elle postulait qu'il était d'ores et déjà devenu le Seigneur, Christ et Fils de Dieu, lors de la résurrection (Actes des Apôtres, II, 22-24, 36).

    Dans la troisième forme, ces titres messianiques furent appliqués à Jésus dès l'époque de son existence terrestre : un lien intrinsèque était ainsi établi entre le ministère terrestre et la rédemption. Une « formule messianique » fut élaborée, dont Dieu était le sujet, son Fils l'objet, et qui exprimait l'intention rédemptrice : « Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas mais ait la vie éternelle » (Évangile selon saint Jean, III, 16). Le moment messianique fut d'abord rattaché au baptême de Jésus par Jean : « ... et une voix vint des cieux, « Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur » (Évangile selon saint Marc, I, 11). Ensuite, par exemple dans les récits de la Nativité de Matthieu et de Luc, il fut ramené à la conception ou à la naissance de Jésus. On n'a pas encore affaire, ici, à une christologie établissant la vie antérieure et l'incarnation, ni à une divinité métaphysique. S'y exprimait seulement l'idée d'un rôle de l'homme Jésus dans l'histoire du salut, à l'initiative de Dieu.

    La quatrième forme apparut en particulier dans les hymnes christologiques de l'Église hellénistique : Jésus y était identifié à la Sagesse divine ou Logos. Le judaïsme hellénistique et philosophique avait vu dans ce Logos une personnification de l'être divin, l'agent de la création, de la révélation et de la rédemption. Le Jésus terrestre fut donc considéré comme l'incarnation de cette sagesse préexistante : le Logos (voir Épître aux Colossiens, I, 15-20 ; Épître aux Hébreux, I, 1-3 ; Évangile selon saint Jean, I, 1-18). S'appropriant cet aspect de la pensée juive, les premiers chrétiens tentèrent ainsi d'établir que le Dieu qu'ils professaient en Jésus n'était pas un Dieu inconnu, mais celui-là même que le judaïsme avait déjà rencontré dans la création, dans l'expérience de la religion et dans l'histoire du salut d'Israël. En outre, dans les écrits de Jean, la relation Fils-Père entre Jésus et Dieu fut élargie à l'éternité ; l'identification du Fils au Logos incarné aboutit à l'emploi du mot « Dieu » pour désigner tant le Verbe préexistant (Évangile selon saint Jean, I, 1) que le Fils incarné (Évangile selon saint Jean, I, 18) et le Christ ressuscité (Évangile selon saint Jean, I, 20-28). Cependant, le Fils n'était pas Dieu en soi : à travers le Fils, Dieu « sort de lui-même », se communique dans l'acte de création, de révélation et de salut. Par ce biais, les expressions « Fils de Dieu » et « Fils de l'homme », qui soulignaient d'abord le rôle de Jésus dans l'histoire du salut, prirent une signification métaphysique, établissant en dernier ressort sa nature divine.

     

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    DANS L'ÉGLISE PRIMITIVE

    D'Ignace d'Antioche (au IIe siècle) au concile de Chalcédoine (451), les penseurs chrétiens se trouvèrent confrontés aux difficultés logiques que soulevaient les christologies du Nouveau Testament pour des esprit grecs. Si le Fils est à la fois Dieu et distinct du Père, comment Dieu peut-il être dit « un » ? Si Jésus est divin, comment peut-il être aussi humain ?

    Au IIe siècle, les docètes (du grec dokeo, « sembler ») soutinrent que l'humanité de Jésus était apparente mais non réelle : dans la pensée grecque, la divinité n'était susceptible ni de se modifier ni de souffrir. Contre eux, Ignace insista sur la réalité de l'incarnation de Jésus. Le résultat en fut l'ajout dans le Credo des paroles « il a pris chair de la Vierge Marie », afin de sauvegarder l'humanité de Jésus.

    Une seconde controverse fit rage autour du concept contesté d'unité de Dieu. Soucieux de préserver cette unité, les adeptes du monarchianisme (ou sabelliens) expliquaient que le Dieu unique s'était accompli en trois manifestations successives : le Père, le Fils et l'Esprit. De leur côté, les adeptes du monarchianisme dynamique (ou adoptianistes) présentaient Jésus comme un homme sur lequel était descendu, comme par adoption, le pouvoir de Dieu. Au IVe siècle, Arius et ses disciples affirmèrent que le Fils préexistant n'était pas identique à Dieu, mais seulement la première des créatures de Dieu. Il était « de substance analogue » à Dieu, c'est-à-dire de même substance mais distinct. Le concile de Nicée (325) condamna l'arianisme et le Credo fut élargi en conséquence : le Fils fut déclaré « Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré non pas créé, de même nature (du grec homoousios,"de substance identique") que le Père ».

    Le problème de l'incarnation de la divinité en la personne de Jésus suscita aussi de nombreuses controverses. D'un côté, les théologiens d'Alexandrie insistaient sur la divinité de Jésus au détriment de son caractère humain ; leurs principaux adversaires, les théologiens de l'école d'Antioche, insistaient au contraire sur l'humanité de Jésus au détriment de sa divinité. À Alexandrie, les apollinaristes affirmèrent que dans le Jésus humain, le Logos s'était substitué à son esprit. La thèse revenait à nier la pleine humanité du Christ et l'apollinarisme fut condamné par le premier concile de Constantinople, en 381. Une autre hérésie surgit de l'école d'Antioche au Ve siècle : le nestorianisme. Les nestoriens affirmaient que deux personnes distinctes se trouvaient réunies dans le Christ incarné : ils rejetaient donc le titre de Théotokos (mère de Dieu) donné à Marie par l'école d'Alexandrie. Pour Nestorius, patriarche de Constantinople, et ses adeptes, Marie était la mère du Jésus humain mais pas du Fils à la fois divin et humain. Contre le nestorianisme, les conciles d'Éphèse (431) et de Chalcédoine (451) réaffirmèrent le titre de Théotokos. Au concile de Chalcédoine, l'incarnation fut définie comme « deux natures, une personne », formule devenue classique dans l'orthodoxie chrétienne. Mais la définition du concile de Chalcédoine suscita de nouveaux désaccords : une partie importante de l'école d'Alexandrie affirma que le Fils incarné était uniquement de nature divine (monophysisme), remettant de nouveau en question l'humanité de Jésus.

     

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    LA CRITIQUE MODERNE DE LA FORMULE DE CHALCÉDOINE

    La christologie chalcédonienne orthodoxe a été critiquée pour plusieurs motifs. Les théologiens contemporains soulignent tout ce qu'elle suppose d'interprétation non critique des Évangiles. La pluralité des christologies du Nouveau Testament n'est pas prise en compte par une formule exclusivement fondée sur l'Évangile de Jean et sur la conception de la virginité de Marie exprimée par Matthieu et Luc.

    Le théologien allemand Rudolf Bultmann, spécialiste du Nouveau Testament, a montré que la formule de Chalcédoine était fondée sur une pensée religieuse ancienne (messianisme apocalyptique juif, peut-être gnosticisme) et sur une métaphysique archaïque, pour lesquelles les termes personne, nature et substance offraient un sens fondamentalement différent de celui qu'ils ont acquis par la suite. L'usage de la terminologie chalcédonienne dans l'interprétation de la figure du Jésus évangélique aurait privé les chrétiens contemporains d'un accès à l'homme Jésus dans sa réalité historique. Bultmann suggère donc une « démythification » du Nouveau Testament et l'analyse des éléments mythologiques présents dans les christologies primitives, afin que l'œuvre du Christ prenne un sens pour l'homme contemporain. D'autres théologiens proposent de recourir à de nouvelles christologies pour expliquer les doctrines de la préexistence et de l'incarnation ; par exemple, ils font appel à la métaphore du Nouveau Testament selon laquelle Dieu a « envoyé » son Fils, plutôt qu'à la christologie trop intellectualisée du concile de Chalcédoine.

    Enfin, certains théologiens catholiques contemporains, comme Edward Schillebeeckx ou Walter Kasper, ont choisi de bâtir leurs recherches christologiques « à partir du bas » plutôt qu'« à partir du haut » : ils partent d'un Jésus pleinement humain pour découvrir et reconnaître en lui la présence salvatrice de Dieu.

     

     

     

    FORMATION : LA PRIERE

     

    INTRODUCTION.

                    La prière, pour beaucoup de gens est une liste de demandes qu'on présenterait à Dieu, et lorsque ces demandes ne sont pas exaucées, on finit par cesser de prier. En est-il ainsi en ce qui nous concerne ? Et Jacques 4,3 de répondre « vous demandez, et vous ne recevrez pas, parce que vous demandez mal, dans le but de sastifaire vos passions ». Il ressort  que beaucoup d'entre nous ne savent point prier ou ne savent pas qu'est ce que la prière. Ces lignes qui suivent essayeront de définir la prière et de montrer comment doit-on prier.

     

    I- DEFINITION DE LA PRIERE.

                    Le dictionnaire le ''Petit Robert'' définit la prière comme '' le mouvement de l'âme tendant à une communication spirituelle avec Dieu, par l'élévation vers Lui des sentiments (amour, reconnaissance), des méditations''. Prier  c'est s'adresser à Dieu, à un être surnaturel. On peut également prier un homme... La prière est la position de l'homme dans un «état d'humiliation, de faiblesse... » En ce qui nous concerne, nous chrétiens, la prière est l'instant ou l'enfant de Dieu parle à son Père. C'est un moment intime durant lequel l'homme ou la femme reconnaît ses incapacités et se prosterne devant le Tout-puissant pour implorer son secours. Elle est aussi une demande, une supplication, une confession, une intercession, une louange, un besoin, une requête, une humiliation, des actions de grâce... Tout ceci étant adressé à Dieu au nom de Jésus-Christ ; oui, on doit prier au nom de Jésus-Christ (Jean 14,14-16) avec un cœur pur (1 Timothée 2,8). La prière, c'est la conversation avec Dieu, le Père dans un lieu secret (Matthieu 6,6) car, c'est un moment secret qu'on passe en présence de Dieu. Prier est donc, la capacité de laisser le Saint-Esprit nous conduire dans la volonté de Dieu exprimer le désir de nos cœur. Dieu au travers des difficultés quotidiennes, parle aux hommes de diverses manière, et ceux-ci prennent peu garde de ses messages.

     

    II- ORIGINE DE LA PRIERE.

                    La prière, pour nous les chrétiens, a son origine dans Genèse 4,26 : « Seth aussi eut un fils qu'il appela Enoch. C'est à cette époque là qu'on a commencé à prier l'Eternel ». Enoch est un symbole du fait que, malgré l'éloignement de ses grands-parents (Adam et Eve) d'avec Dieu, l'installation et l'instauration de l'injustice, Dieu se suscite toujours un homme pour invoquer son nom.

     

    III- COMMENT PRIER ?

                    Disons pour commencer que la prière ne devrait jamais être quelque chose de monotone ni un devoir dont on voulait s'acquitter le plus vite possible. La prière est l'une des choses les plus importantes dans la vie de chaque individu, elle doit être une occasion de joie, de reconnaissance. Prier, vous devez être tout à fait éveillé lorsque vous priez, mais encore vous devez réfléchir sérieusement à tout ce que vous dites, être conscients de vos motifs, de vos intentions et en même temps avec la ferme assurance que Dieu vous entend. Dans Matthieu 6,4-13, Jésus montre à ses disciples comment il faut prier à la suite d'une demande d'un de ses disciples (Luc 11,1-4). Et après avoir montré comment prier, il dit «...croyez que vous l'obtenez, et ce sera (fait) pour vous » (Marc 11,24) ou « tout ce que vous demanderez avec foi par la prière, vous le recevrez » (Matthieu 21,22). Et Jacques de dire que la prière commence par la confession des péchés : « confessez vous donc vos péchés les uns aux autres et priez les uns pour les autres, afin d'être guéris » (Jacques 5,16). Et puis, un vrai chrétien prie toujours en disant « que ta volonté se fasse (soit) et non pas la mienne ». Pour nous, chrétiens catholiques, la prière commence et s'achève aussi par le signe de croix.

    1- Le signe de croix.

                    Le signe de croix est  un geste simple utilisé par un grand nombre de chrétien au cours des offices ou de la prière collective ou individuelle. Il est l'un des rare geste de la prière chrétienne et une chose que beaucoup de personnes ignorent ou ne savent pas le faire. Matériellement, il consiste à toucher successivement, du bout des doigts de la main droit, son front, son cœur, son épaule gauche puis son épaule droite. Le signe de croix ne se fait pas pendant la messe, il se fait au début et à la fin de la messe. Fais un signe de croix confirme qu'on est en union de prière avec le Père, le Fils et l'Esprit Saint. On peut dire que c'est une sorte de prière.

    2- La prière en langue.

                    Le parler en langue est « un langage » mystérieux (1 Corinthiens 14,14), et pour certains rébarbatif (1 Corinthiens 14,11/ Esaïe 28,11-12). Cependant, il s'agit d'une langue authentique que Dieu comprend (1 Corinthiens 14,10). Incompréhensible à notre intelligence, le parler en langue ou la prière en langue est un des moyens par lequel nous parlons à Dieu  et Dieu nous parle. Il est accordé par le Saint-Esprit (Actes 2,4). La prière en langue permet à s'édifier soi-même, à édifier l'église (1 Corinthiens 14,4-28) mais ceci est bénéfique lorsqu'il est accompagné du don d'interprétation.

    3- Les soupirs de l'Esprit

                    C'est l'autre façon de prier avec l'aide de Saint-Esprit. Ce sont les soupirs du Saint-Esprit, ce à quoi il aspire pour nous (Romains 8,26). Il s'agit là d'une expérience merveilleuse et mystérieuse. Nous sentons monter de notre âme des soupirs dont nous ne saisissons pas la signification, sinon qu'il s'agit de la manifestation du Saint Esprit dans le plus profond de notre être. Comme pour la prière en langue, nous ne savons pas pourquoi nous prions... Mais celui qui sonde les cœurs connaît la pensée de l'Esprit qui intercède selon Dieu.

    4- Les prières prophétiques.

                    Nous en trouvons de nombreux exemples dans les Ecritures, surtout les Psaumes. Ce sont des prières prononcées dans notre langue maternelle ou une langue que nous comprenons, mais qui dépendent plus de l'inspiration du Saint-Esprit que de notre esprit, dans le sens qu'elles transmettent un message prophétique qui parle à ceux qui les entendent. Nous comprenons que cette forme de prière est publique. Elles s'adressent à Dieu, mais les paroles sont aussi un message pour ceux qui les entendent, parlant à leur cœur, les entraînant dans la même prière.

     

    IV- L'EUCHRARISTIE.

                    L'eucharistie, ici, n'est pas la communion qu'on prend lors de la messe mais une prière dominicale. L'eucharistie est le sommet de toutes les prières chrétiennes. Elle désigne la célébration ou le mémorial de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ à travers la proclamation de la Parole, et à travers une action de grâce qui culmine avec le partage des éléments eucharistiques- le pain et le vin - qui sont pour les chrétiens le corps et le sang du Christ, offert en sacrifice sur la croix et ressuscité. En tant que prière, elle est la réunion des prières : demande, supplication, confession, intercession, louange, besoin, requête, humiliation, actions de grâce... adressée à Dieu qui s'est fait homme et mort pour nous sauver. L'eucharistie est la prière de l'assemblée réunie, et pour une parfaite réussite, elle se veut en communion, en unisson..., c'est-à-dire cette prière demande que l'assemblée effectue les mêmes gestes, dit les mêmes paroles aux mêmes moments. La célébration eucharistique est une action de tous les baptisés, car tous participent au sacerdoce du christ qui est l'unique prêtre. C'est pour cela que l'Église demande aux fidèles de se rendre le dimanche à la messe et de communier car, par la communion, l'union intime de l'homme et de Dieu devient possible. Communier, c'est recevoir le Christ lui-même qui s'est offert par amour pour chacun de nous. Le Seigneur invite tous les hommes à ce banquet : « en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la Chair du Fils de l'homme et ne buvez son Sang, vous n'aurez pas la vie en vous ». (Catéchisme de l'église catholique 1366-1367). Il est beau et bon que des frères et sœurs rassemblés disent la même prière à la même heure et font les mêmes gestes car c'est là que Dieu répand ses grâces. L'eucharistie est donc une prière d'action de grâce et de louange au Père.

     

    CONCLUSION

                    Vous ne pouvez prier que si vous êtes conscients que le faire vous sera bénéfique et judicieux. Alors, vous prendrez soin de vous préparer chaque jour à rencontrer votre Père Créateur. Veiller à entretenir une relation intime avec Lui, votre exaucement sera toujours certain. Dites vos besoins au Pourvoyeur, citez-Lui vos besoins maintenant, il vous écoute. De toute manière, quelque soit la prière faite ou la langue dans laquelle vous la dites, le plus important est que cela vienne du profondeur de votre cœur et d'une repentance sincère, et que cela soit inspirée par l'Esprit Saint.

     

    Didier Placide,

    Animateur à la catéchèse.

     

     


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  • Le salut éternel

    Le salut éternel consiste à échapper à cette mort, à cette fin, et à vivre éternellement d'une vie sainte et heureuse dans une communion ininterrompue avec Dieu. Nul homme ne mérite ce salut, nul n'y a droit. Mais ce salut est offert gratuitement à tous les hommes.

    "Car le salaire du péché, c'est la mort : mais le don gratuit de Dieu, c'est la vie éternelle en Jésus-Christ notre Seigneur. "Romains 6.23

    Jésus-Christ, le Fils de Dieu, est devenu homme précisément pour sauver les hommes.

    "Car il n'y a qu'un seul Dieu, qu'un seul médiateur aussi entre Dieu et les hommes, un homme : Christ-Jésus." 1 Timothée 2.5

    Dans son amour pour nous, Dieu a sacrifié son Fils unique.

    "Mais en ceci, Dieu prouve son amour envers nous : Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs." Romains 5.8

    "Lui qui n'a pas épargné son propre fils mais l'a livré pour nous tous, comment avec son fils, ne nous donnerait-il pas tout ?" Romains 8.32

    Il est mort par la main des hommes, et pour que soit accomplie la justice de Dieu, mais volontairement.

    "Le Père m'aime parce que je donne ma vie afin de la recevoir à nouveau. Personne ne me prend la vie, mais je la donne de ma propre volonté. J'ai le pouvoir de la donner, et j'ai le pouvoir de la recevoir à nouveau. C'est là ce que mon Père m'a ordonné de faire." Jean 10.17-18

     

    Les hommes ont fait mourir Jésus injustement. Car il n'avait rien fait de mal. Dieu l'a fait mourir justement, parce qu'il l'a chargé de nos péchés. Lui-même a livré sa vie volontairement par amour pour son Dieu et par amour pour nous.

    "Le prince de la vie que vous aviez fait mourir, Dieu l'a ressuscité des morts ; nous en sommes les témoins." Actes 3.15

    "Livré pour nos fautes et ressuscité pour notre justification. "Romains 4.25

    Trois jours après sa mort, Jésus est ressuscité. Sa résurrection fut aussi extraordinaire que sa mort. Ressuscité par son Dieu et Père ! Après s'être montré vivant à ses disciples, il est monté au ciel et s'est assis à la droite de Dieu.

    "Donc le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s'assit à la droite de Dieu." Marc 16.19

    Tous ces faits se sont accomplis conformément aux prophéties de l'Ancien Testament et selon les prédictions de Jésus lui même.

    Voici, entre autres, quelques paroles de consolation et d'espérance que le Fils de Dieu adressa à ses disciples la veille de sa mort :

    "Que votre cœur ne se trouble pas : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures : sinon vous aurais je dit que j'allais vous préparer le lieu où vous serez. Lorsque je serai allé vous le préparer, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, si bien que là où je suis, vous serez vous aussi." Jean 14.1-3

     

    Jésus-Christ est le seul Sauveur des hommes. Il est pour tous, sans distinction, le seul moyen pour obtenir le pardon des péchés, la réconciliation avec Dieu, la paix et la vie éternelle.

    "C'est à lui que tous les prophètes rendent le témoignage que voici : le pardon des péchés est accordé par son Nom à quiconque met en lui sa foi."Actes 10.43

    "Et voici ce témoignage : Dieu nous a donné la vie éternelle, et cette vie est en son Fils. Qui a le Fils a la vie ; qui n'a pas le Fils de Dieu n'a pas la vie."1 Jean 5.11-12

    Par lui seul notre destin peut être changé. Il est le seul chemin qui mène à Dieu, dès mainte nant, et à ses aimables demeures, pour toujours. Mais ce chemin, il faut

    le choisir individuellement,

    le prendre individuellement,

    le suivre individuellement,

    par une foi individuelle, avant de passer la frontière... de l'au-delà.  Source : FEEBF

    Que faire pour obtenir le salut ?

    Question d'un Internaute : "J'aimerais savoir ce qu'il faut faire pour obtenir le salut"

    Pour parvenir au salut, il faut le préalable de la repentance. Cela signifie que nous devons prendre conscience de notre péché, et de notre état naturel de rébellion contre Dieu, nous en détourner délibérément, et lui demander de nous pardonner à cause du sacrifice de Jésus.

    Ensuite, le salut dépend de notre foi, et non de nos œuvres, dans le sens que nous ne faisons pas de bonnes œuvres pour être sauvé ; cependant, quand sommes sauvés, nous sommes appelés à pratiquer de bonnes œuvres, comme conséquences de notre foi 

    "Car c'est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu. Ce n'est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ pour de bonnes œuvres, que Dieu a préparées d'avance, afin que nous les pratiquions." (Éph 2.8-10)

    Jésus a pris nos péché sur lui afin de nous donner sa justice :

    "Celui qui n'a point connu le péché, il l'a fait devenir péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu." (2Co 5.21)

    La justification que Dieu nous donne est un acte juridique. Notre dette est payée, nous sortons libres du "tribunal". C'est le résultat de la foi et non de la loi :

    "Car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu ; et ils sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est en Jésus-Christ." (Rom 3.23-24)

    "Où donc est le sujet de se glorifier ? Il est exclu. Par quelle loi ? Par la loi des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi. Car nous pensons que l'homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi." (Rom 3.27-28)

    Cela ne signifie nullement que nous ne pouvons plus pécher. Mais nous ne nous complaisons plus dans le péché. Nous ne le pratiquons plus :

    "Ne livrez pas vos membres au péché, comme des instruments d'iniquité ; mais donnez-vous vous-mêmes à Dieu, comme étant vivants de morts que vous étiez, et offrez à Dieu vos membres, comme des instruments de justice. Car le péché n'aura point de pouvoir sur vous, puisque vous êtes, non sous la loi, mais sous la grâce." (Rom 6.13-14)

    Si le péché n'a plus de pouvoir sur nous, dans le sens qu'il ne peut plus nous contraindre, nous gardons notre entier pouvoir de décision, et notre faiblesse peut nous amener à pécher. Dans ce cas, nous devons nous en repentir (nous en détourner radicalement), et en demander pardon à Dieu (et éventuellement aux gens que notre péché a pu affecter) :

    "Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les pardonner, et pour nous purifier de toute iniquité." (1Jn 1.9)  Par Jean-Claude Guillaume

     

    Les sept brins d'une corde céleste.

     

    En Jean 10:27-29, Christ offre cette image de la sécurité éternelle du croyant: "Mes brebis entendent ma voix; je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle; et elles ne périront jamais, et personne ne les ravira de ma main. Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tous; et personne ne peut les ravir de la main de mon Père

    Ces versets décrivent sept brins d'une corde céleste qui nous lie éternellement à Christ. Quels sont-ils?

    Le premier brin est le caractère du Berger. Étant donné que nous Lui appartenons, c'est son devoir de Berger de nous protéger et d'avoir soin de nous. S'Il devait nous perdre, Il violerait sa puissance et son caractère divins.

    Le second brin est le caractère de la brebis. Au verset 27, Jésus dit que ses brebis Le suivent sans exception. Elles n'écoutent pas les étrangers; elles n'écoutent que Lui. Bien qu'elles tombent occasionnellement dans le péché, elles savent qui suivre.

    Le troisième brin est la définition de la vie éternelle. Au verset 28, Christ dit: "Je leur donne la vie éternelle". Combien de temps dure la vie éternelle? Toujours. En parler comme quelque chose qui a une fin, c'est énoncer une contradiction. Nous sommes en sécurité à cause de la définition même de la vie éternelle.

    Le quatrième brin est le fait que la vie éternelle est un don. Nous n'avons rien fait pour mériter la vie éternelle, et il n'y a rien que nous puissions faire pour la conserver. C'est un don

    Le verset 28 poursuit ainsi: "elles ne périront jamais". C'est le cinquième brin, celui de la fidélité de Christ. Si les croyants devaient périr, cela ferait de Christ un menteur. Mais Dieu ne peut mentir (voir Tite 1:2). Ce qu'Il dit est digne de confiance

    Le sixième brin est la puissance de Christ, qui a dit: "personne ne les ravira de ma main" (verset 28). Léon Morris a eu raison de dire: "C'est un des aspects précieux de la foi chrétienne que notre continuation dans la vie éternelle dépend non de notre faible prise sur Christ, mais de sa ferme prise sur nous. (The Gospel According to John, Grand Rapids: Eerdmans, 1971, p. 521)

     

    Le septième brin est la puissance du Père. Christ a dit: "Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tous; et personne ne peut les ravir de la main de mon Père" (v. 29). Remarquez qu'au verset 28, Christ dit "ma main" et au verset 29 "la main de mon Père". Quelle double protection

    Qu'est-ce que Christ disait au juste ? Que rien ni personne ne peut révoquer le salut de Dieu, ni nous arracher de sa main de Berger bienveillant. Paul exprime la même chose: "Car j'ai l'assurance que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni les choses présentes ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur (Romains 8:38-39).

    Ne laissez pas Satan vous affliger de doutes. Votre salut, qui comprend la gloire à venir, est éternellement assuré en Christ. Portez cela comme casque du salut. John MacArthur

     

     


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  • Le mythe

    par Michel Robert, du cégep du Vieux Montréal

     

    Introduction

    Lorsque nous observons certains de nos comportements, dans le monde actuel, nous pouvons être surpris des rapports que nous établissons entre certains de nos gestes et les raisons que nous formulons dans notre tentative de comprendre ces comportements. La justification de nos actes, de certains d'entre eux, appelle à l'indifférence collective et quelquefois la réussite de ces mêmes actes exige une assurance que le seul silence accueille. Sans que l'ensemble des idées que nous ayons sur nous-mêmes et sur les autres prennent l'allure d'une vérité dogmatique, il nous semble néanmoins concevable que nous puissions donner un sens à notre vie. Ainsi, par exemple, ma présence à un cours le lundi matin huit heures, revêt la forme d'un comportement positif articulé à ma croyance qu'il y a dans cette activité quelque chose qui en vaille la peine; apprendre, maîtriser une technique, etc. La surprise, dans cet exemple, est peut-être le fait que je ne pense rien de cela. Je vais au cours parce que c'est écrit dans mon horaire; je ne pense à rien d'autre... (Ci-contre: Frankeinstein)

    J'ai, bien sûr, donné en exemple une situation qui exigerait d'en nuancer certains contours. Je l'ai fait pour introduire la question du sens de certaines de nos activités relativement à nous-mêmes et aux autres. Schématiquement, il s'agit d'aborder ce qui, dans une culture, participent de nos actes sans que nous en ayons une notion claire et cohérente; sans même que nous y voyions là, nécessité, de notre part, d'y réfléchir. Une expression comme la suivante: "plus on a de l'argent, plus on est heureux", indique autrement le même phénomène culturel. Chacun, à part soi, y croit suffisamment pour l'énoncer tout en doutant que tel soit bien le cas. Alors, les jeux de loteries engendrent des gestes individuels qui participent, tout de même, d'une certaine pensée collective. C'est ce que nous appelons un mythe. Peut-être voit-on mieux, dans mon premier exemple, se profiler l'ombre du geste forcé, subi, obligé, tel un destin. Bien d'autres images de cet exemple sont aussi possibles, je le sais. Celle-ci, me semble-t-il, permet tout de même de saisir au quotidien l'importance que peut prendre dans notre vie la banalisation de certains de nos gestes. Comme si nous pouvions vivre d'un côté et qu'il y ait un sens de l'autre; et que si les deux m'appartiennent, ni leur registre ne s'accorde ni leur temps se rythme. Regardons ceci de plus près.

    Définition

    Nous pouvons penser que de tout temps l'être humain a cherché dans un ailleurs, un au-delà, le sens, à la fois du monde et de son existence et, à la fois le sens des gestes qu'il posait dans ce monde. Souvent cet ailleurs était surhumain, supérieur et garant de la survie du monde. Le mythe est l'histoire de cet ailleurs. Cette histoire, ce récit se veut la vérité.

    Dans la période archaïque de l'humanité, le mythe servait de connaissance aux humains. Son importance résidait dans le fait que cette connaissance venait fonder l'existence humaine, car, par le mythe, l'homme savait l'histoire du monde et ainsi son histoire. Si tous connaissaient cette histoire, tous ne pouvaient cependant la raconter. Cette histoire exigeait un temps et un espace réservés. C'est le sacré. Dans les moments de catastrophes, le sacré garantissait la recréation de ce qui pouvait être disparu; les rituels sacrés, gestes précis effectués par un groupe fonctionnel précis, les sorciers, chamans, prêtres, l'assuraient. Vivre le mythe est surtout une expérience religieuse.

    La période archaïque est marquée par la culture de l'oralité. Le mythe est raconté, au travers un rituel qui comportait costumes, maquillage, danses et chants. Une quantité de formules précises assuraient un fondement commun à chaque interprétation du mythe. Ainsi se voyait assurée la transmission d'une tradition précise. C'est cette tradition qui formait la mémoire collective d'une société; son fond culturel commun en quelque sorte.

    Dans la Grèce antique

    Après sa période archaïque, la Grèce antique passa de la tradition orale à celle de l'écriture. Cette transformation ne fut pas subite, mais elle allait modifier considérablement le rapport aux mythes. En effet l'oralité engendrait une forme d'expression fondée surtout sur l'écoute et l'identification. La gestuelle du barde ou du poète récitant impliquait une identification aux êtres mythiques dont il racontait l'histoire; les "Muses" déesses qui inspiraient sa mémoire, en assuraient la vérité; ne lui restait plus qu'à séduire son auditoire. L'écriture apportait une exigence formelle différente. Il devenait maintenant possible, pour ceux qui le pouvaient, de revenir sur le texte et de méditer sur son sens. Apparaissaient alors toutes sortes d'incongruités liées aux mythes. Ces histoires exemplaires mettaient en scène des dieux aux mœurs scandaleuses; caprices, querelles, meurtres, incestes. C'est ainsi que parallèlement aux récits s'organisa une nouvelle expression; la formulation argumentative. Celle-ci se raffinant jusqu'à prendre chez Platon le statut de seul discours permettant la connaissance. Toutefois, nous savons que même à cette époque (~IVe siècle) les croyances et les doctrines traditionnelles liées aux mythes étaient encore bien vivantes. Le ver, cependant, était dans la pomme.

    Deux autres définitions

    Dans la définition précédente, nous n'avons donné que le sens du mythe traditionnel. Deux autres sens sont aussi possibles: les mythes se référant aux religions de salut et ceux concernant les idéologies modernes.

    Par son rapport au salut, l'individu élabore dans le mythe sa place dans la hiérarchie des valeurs du discours religieux. Ainsi, le mythe sert de justification universelle à l'entreprise individuelle que constitue le salut de son âme. Donnons en exemple le christianisme.

    Quant aux idéologies modernes, celles-ci greffent, dans un premier temps, sur le plan collectif, le mythe, comme un processus sans cesse renouvelé du savoir. La finalité inéluctable se trouvant déjà inscrite à l'intérieur du mythe, le savoir agit en tant que signe de ce qu'il faut faire. Le collectif devient le miroir de ce qui est nécessaire pour l'individu. Ce qui s'y reflète représente pour l'individu la voie à suivre, le chemin à parcourir. Donnons en exemple le marxisme.

    Aujourd'hui

    Les mythes présentent, dans une société qui les vit, une espèce d'approfondissement du mystérieux. Une forme de connaissance ritualisée et codifiée. De plus le mythe, dans une culture archaïque, sert de lien à la collectivité qui y puise ses représentations collectives. Qu'en est-il aujourd'hui.

    Ce qui a changé d'abord et avant tout est bien sûr lié à la rationalité occidentale. L'utilisation de la seule raison générant ses règles de fonctionnement et déterminant le but à atteindre est devenu la norme. Évidemment, c'est ce processus critique qui a dénoncé l'artifice et l'illusoire du mythe, de même, ce processus a installé dans l'individu seul, la réception et l'énonciation de la vérité; ou plutôt, du véritable intérêt de celle-ci pour celui-là.

    Mais à son tour la raison n'a-t-elle pas cherché à répondre aux récits comme si elle était un au-delà, une transcendance? N'a-t-elle pas créé un espace culturel manifestant ainsi de nouvelles expressions aux rites; par la libération des liens sociaux et communautaires inhérents au mythe traditionnel, la recherche du "moi", de son identité véritable?

    Une forme de banalisation occupe aujourd'hui cet espace. Certaines expressions parlent même "de l'ère du vide". Et si, le fond culturel commun contemporain, semble en créer à répétition, l'important réside dans le processus de création de ces espaces et de ces expressions et non, dans le produit. L'important, malgré tout, demeure les possibilités que permet la raison humaine et dans celles-ci, l'horizon même de sa limite.

     

    Dans le roman de Mary Shelley, Frankenstein est le nom du docteur et non celui de la créature qu'il fabrique...

     


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  • Cours de théologie morale : la Charité --- Auteur : P. Michel LABOURDETTE op

    Article 3 - La charité est-elle une vertu ?

    Annotation

    A. Le raisonnement de l'article et celui de la question disputée de Caritate (a. 2)

    1. A prendre séparément cet article, on pourrait faire une instance ; S. Thomas montre que la charité est une vertu par le même argument qui lui a servi pour l'espérance : conformer notre action à la règle suprême de la bonté morale, qui est Dieu, ne peut être que le fait d'une vertu. Or, pour mériter pleinement et à tous égards le nom de vertu (de vertu simpliciter, dans l'ordre volontaire et moral, il faut plus : il faut que soit assurée non seulement la bonté propre de cette action, mais la bonté de la personne : bonum reddit agentem et opus ejus bonum reddit. C'est ainsi que l'espérance est principe de cet acte toujours bon qui est espérer Dieu de Dieu lui-même ; mais cela ne suffit pas à rectifier entièrement la personne ; aussi l'espérance comme la foi, n'est-elle pleinement vertu, « in statu virtutis », que si la charité assure cette rectification. De soi, elle est compatible avec le péché mortel. Pourquoi n'en est-il pas de même de la charité ? Pourquoi celle-ci est-elle si bien vertu qu'elle ne peut jamais l'être que [45] pleinement à tous égards, et qu'elle donne à toutes les autres d'en atteindre l'état proprement dit ? C'est ce que montreront les derniers articles de la question, en comparant la charité avec les autres vertus.

    Mais on peut aussi le montrer ici par sa notion même et c'est ce que fait S. Thomas dans l'article parallèle de la Qu. disp. de Caritate (laquelle est, à peu de chose près, contemporaine de notre IIa-IIae, et sans doute postérieure à elle). L'art. 2 pose la question : utrum caritas sit virtus ? La réponse est assez longue. J'en prends la dernière partie qui se place dans l'exacte perspective des notions que nous avons utilisées pour définir la charité comme une amitié.

    2. Après avoir rappelé quelques généralités concernant la vertu, S. Thomas raisonne ainsi (je traduis à peu près) :

    a) De même que l'homme, s'il est admis à participer au bien commun d'une cité et en devient le citoyen, doit avoir des vertus ordonnées aux actes de cette vie civile et aimer le bien commun de cette cité,

    de même, quand il est admis par la grâce à la participation de la béatitude, il devient citoyen et membre de cette société bienheureuse (cives sanctorum et domestici Dei) et il doit avoir, mais cette fois par infusion de grâce, les vertus qui conviennent. Mais la droite opération de ces vertus mêmes présuppose un amour du bien commun de cette société-là, à savoir le Bien divin, objet de la béatitude.

    b) Or il y a deux façons d'aimer le bien commun d'une cité : « uno modo ut habeatur, alio modo ut conservetur » : pour soi ou pour lui.

    Le premier mode d'amour ne suffit pas à faire un bon citoyen de cette cité ; c'est un amour de convoitise où on veut le bien commun à soi. Seul le second y parvient, car par lui on veut le bien pour lui-même, pour qu'il soit conservé et développé et au besoin on s'expose et se sacrifie soi-même a lui (comme la partie au tout).

    c) Il en est ainsi dans la « société » de la béatitude :

    Vouloir le bien qui fait la béatitude pour le posséder ne rectifie pas la personne, car des pécheurs peuvent le vouloir ainsi et le désirent,

    mais vouloir ce bien pour lui-même, pour qu'il soit conservé et se diffuse et que rien n'y porte atteinte, cela rectifie complètement par rapport au bien et fait le bon citoyen de la cité des bienheureux.

    « Et haec est caritas quae Deum per se diligit, et proximos qui sunt capaces beatitudinis sicut seipsos ; et quae repugnat omnibus impedimentis et in se et in aliis ; unde numquam potest esse cum peccato mortali, quod est beatitudinis impedimentum »

    La charité est donc, par elle-même et toujours, pleinement vertu et la première des vertus.

    B. L'ad primum : amitié et vertu

    S. Thomas paraît hésiter entre deux interprétations d'Aristote. Ayant défini la charité comme une amitié, il ne veut pas qu'on puisse tirer argument du texte de l'Ethique à Nicomaque pour en conclure qu'elle n'est pas une vertu.

    1. Si on se place au plan naturel, on peut dire :

    a) qu'il y a une certaine vertu qui s'appelle amitié. Nous la trouverons parmi les annexes de la justice. C'est une vertu de la vie sociale, qui se distingue de la justice stricte en ce qu'elle ne répond pas à un véritable droit chez l'autre. Elle est affabilité, urbanité, en un mot cette attitude à la fois d'accueil et de bienveillance, de disposition [46] à rendre service en dehors même de ce qui est dû, sans laquelle la vie commune devient lourde et par trop difficile à mener. On n'est pas pleinement bien disposé dans les rapports avec autrui, si on ne parle qu'en termes de droit et de devoir et si on agit en conséquence : summum jus, summa injuria.

    b) mais l'amitié au sens général, habitusl, ne désigne pas une vertu, pour la bonne raison qu'elle peut être mauvaise ou fort imparfaite dans sa notion même : c'est le cas de l'amitié « délectable » et de l'amitié « utile ». Et dans le cas même où elle est bonne, de par sa notion, (amicitia honesti), elle suppose la vertu et la suit ; elle consiste à aimer ceux qui sont vertueux, qui en cela nous ressemblent ou à qui nous nous efforçons de ressembler, à entrer en société avec eux et à nous unir à eux dans l'exercice des vertus. On ne voit pas qu'au plan naturel cela requière une vertu spéciale. C'est l'inclination même de la raison et ce n'est pas difficile.

    2. Mais si on se place au plan surnaturel, il en va tout autrement : ici cette amitié qu'est la charité, au lieu de supposer les vertus, les précède et les fonde, parce qu'elle constitue l'entrée dans une « société » qui dépasse la nature et que cela ne peut être donné que par élévation gratuite, constituée par un habitus nécessairement vertueux et rectifiant.

    C. L'ad tertium : la charité comme être créé

    L'ad tertium nous ramène aux catégories que nous avons utilisées l'an dernier pour parler de la grâce en général.

    Dans l'incréé, la charité est Dieu même ; en nous, elle ne peut se réaliser que par manière d'accident. Il n'y a pas de substance intrinsèquement surnaturelle en dehors de Dieu. Ce serait une contradiction dans les termes : être divin par manière de substance, c'est l'être par nature, essentiellement, c'est être Dieu ; être divin par participation, c'est l'être par un surcroît qui suppose la substance déjà constituée en sa nature, et donc par des principes qui sont métaphysiquement de l'ordre de l'accident.

    De là vient pour le redire en passant que, comme la grâce, la charité n'est pas créée, en ce sens qu'elle serait produite par manière de création, ex nihilo ; elle fait partie de l'être créé, mais elle vient à l'existence in et ex subjecto ; elle suppose un sujet et, dans ce sujet une capacité qui est ici pure puissance obédientielle.

    Si donc on compare la charité et l'âme qui la reçoit, au point de vue de leur excellence, il faudra dire :

    - d'une part, que l'âme a cette noblesse métaphysique d'être substance, ens in se et per se ; alors que la charité en nous est dans cette condition de n'avoir l'existence que comme accident, in alio ;

    - d'autre part, qu'en sa raison formelle, quoi qu'il en soit des conditionnements métaphysiques de l'être créé, la charité est infiniment supérieure à l'âme, plus noble et plus précieuse qu'elle, et l'ennoblit parce qu'à ce point de vue, elle est l'amour même que Dieu a pour soi, alors que l'âme ne comporte que la dignité de la nature humaine.

     

    Article 4 - La charité est-elle une vertu spéciale ?

    Annotation

    On peut attribuer à la charité les œuvres de toutes les vertus, en ce sens que toutes dépendent d'elle et n'ont leur perfection que par elle ; c'est ce qu'on expliquera avec précision dans la seconde partie de la question. A ce titre, on peut dire que la charité est une vertu générale, mais c'est une généralité d'influence sur les autres, non d'identification avec elles. En elle-même elle est une vertu spéciale, parce qu'elle a un objet spécial, que les autres vertus n'atteignent pas. Elle porte sur Dieu selon qu'il est l'objet de la béatitude, Dieu tel qu'il se possède et s'aime lui-même.

    Nous avons déjà rencontré cette formule, assignant comme objet à la charité : « Deum sec.quod est objectum beatitudinis » ; elle est constante chez S. Thomas. Elle serait équivoque si on ne la comprenait pas dans le contexte de sa doctrine de l'amitié et de son application à la charité, où la béatitude est le bien commun qui fonde et par conséquent spécifie la communicatio. Car on peut bien aussi dire de l'espérance qu'elle atteint Dieu comme objet de la béatitude. La différence, d'ailleurs maintes fois soulignée par S. Thomas, est dans la raison formelle de l'amour selon laquelle, par la charité, le Dieu objet de la béatitude est aimé à raison de lui-même et pour lui-même, par l'espérance et par l'amour surnaturel de convoitise, est atteint comme principe de notre béatitude. C'est ce que nous expliquaient déjà les art. 6 et 8 de la qu. 17 :

    « Potest autem aliquis alicui rei inhaerere dupliciter : uno modo propter seipsum, alio modo inquantum ex eo ad aliud devenitur. Caritas ergo facit hominem Deo inhaerere propter seipsum, mentem hominis uniens Deo per affectum amoris. Spes autem et fides faciunt hominem inhaerere Deo sicut cuidam principio ex quo aliqua nobis proveniunt » (17, 6)

    « Spes facit tendere in Deum sicut in quoddam bonum finale adipiscendum et sicut in quoddam adjutorium efficax ad subveniendum. Sed caritas proprie facit tendere in Deum uniendo affectum hominis Deo, ut scl. homo non sibi vivat, sed Deo » (ibid. ad 3m).

    Et dans l'article 8, rappelant la distinction entre l'amour, toujours imparfait, de convoitise, et l'amour parfait d'amitié, il conclut :

    « Primus autem amor Dei (amor amicitiae) pertinet, ad caritatem quae inhaeret Deo secundum seipsum ; sed spes pertinet ad secundum amorem, quia ille qui sperat, aliquid sibi obtinere intendit ».

    C'est l'enseignement que nous retrouverons dans l'article suivant (23, 5) :

    « Caritate diligitur Deus secundum seipsum. Unde una sola ratio diligendi attenditur principaliter a caritate, scl. divina bonitas quae est ejus substantia... » (ad 2m).

     

    Article 5 - La charité est-elle une vertu unique ?

    Annotation

    Fondée sur la communication de la Béatitude divine la charité aime Dieu, Objet de cette béatitude, pour lui-même et à raison de lui-même. Il faut aussi l'aimer d'une autre manière, le désirer à soi, il faut l'espérer ; mais la charité n'est pas n'importe quelle affection suscitée par la présentation de l'Objet divin ; elle est une amitié et par conséquent une bienveillance. C'est d'abord à Dieu lui-même qu'elle veut ce bien de sa Béatitude, ensuite à nous et aux autres, à tous les amis de Dieu, qui sont par le fait même nos amis.

    [48] Et elle le veut à raison de sa propre bonté, de son amabilité divine. C'est la seule « ratio diligendi » qui la spécifie. C'est pourquoi elle restera unique : il ne peut y avoir sous cette raison aucune autre amitié fondée sur la communication de cet objet.

    Jean de S. Thomas dit très bien :

    « Ultimam rationem specificativam caritatis posuit D. Thomas in ipsa divina bonitate ut est beatitudinis objectum :

    - non quatenus illam beatitudinem appetimus nobis : sic enim pertinet ad concupiscentiam ;
    - nec quatenus beatitudinem volumus Deo praecise : sic enim salvatur in simplici benevolentia ;
    - sed quatenus volumus ipsi bonum ut amico conviventi et communicanti se nobis per beatitudinem : sic enim amatur, non simplici benevolentia, sed benevolentia amicabili et mutua in genere supernaturali ».

    Ce pourrait être ici le lieu de parler de la charité fraternelle ; mais la question reviendra pour elle-même aux q. 25-26, consacrées à l'extension objective de la charité.

     

    Article 6 - La charité est-elle la plus excellente des vertus ?

    Annotation

    L'article reprend un raisonnement que nous connaissons déjà et qui, après les explications données, ne fait pas, je crois, de difficulté spéciale : les vertus théologales. sont supérieures aux vertus morales, parce qu'elles atteignent Dieu lui-même comme Objet : parmi les théologales, la charité a cette prééminence qu'elle se porte à Dieu à raison de Dieu et pour Dieu même, alors que la foi en attend la connaissance du vrai et l'espérance la possession de la béatitude.

    Notez seulement l'ad lm. Il explique pourquoi aimer Dieu vaut mieux que le connaître, encore qu'il faille déjà le connaître pour pouvoir l'aimer et que l'amour incline à la mieux connaître. C'est que la connaissance s'accomplit au niveau de celui qui connaît, l'amour au niveau de ce qu'on aime.

    Cajetan fait remarquer qu'au ciel les conditions seront changées et la raison ici donnée ne vaudra plus. Par un privilège singulier de la vision béatifique, la connaissance se fera au niveau de Dieu même, à sa propre lumière, et sans donner à l'essence divine aucun être intentionnel et supplétif dans notre esprit : ni comme espèce impresse, ni comme verbe. Il n'y aura pas d'autre verbe que le Verbe de Dieu, pas d'autre terme auquel l'intelligence s'assimile que l'essence divine. Nous ne l'abaisserons pas à nous pour la connaître à notre manière, elle nous élèvera pleinement à elle. La connaissance alors reprendra sa primauté, elle sera plus unissante que l'amour.

    « Intellige hoc de cognitione et intellectione viae, ubi dilectio ad Deum in seipso, cognitio autem Deum in nobis per speciem attingit. In patria autem secus est, ubi tam visio quam dilectio Deum secundum se attingit ».

    [49]

     

    Articles 7 et 8

    L'influence de la charité sur les autres vertus

    La primauté de rang que nous venons d'attribuer à la charité a pour conséquence une primauté d'influence. La fin dernière se subordonnant toute fin intermédiaire et tout objet plus particulier auquel puisse porter notre action, la vertu qui assure le vouloir de la fin dernière va se trouver subjectivement au principe de l'ordination de tout autre vouloir à cette fin et par suite au principe de toute autre vertu. A l'universalité d'influence finalisante de la fin dernière va correspondre l'universalité d'influence efficiente et ordonnatrice de la charité, vertu de la fin dernière.

    A propos de cette influence, deux sortes de problèmes vont se poser :

    - 1. d'abord celui de son universalité même : la charité est-elle si bien au principe des autres vertus que sans elle aucune autre ne puisse exister ? - art. 7

    - 2. ensuite de la modalité de son influence : comment s'exerce-t-elle ? L'exprime-t-on bien en disant que la charité est la forme des autres vertus ? - art. 8

    Ces deux problèmes sont étroitement liés ; et si le second consiste à amener à sa précision technique la juste expression de ce que fait la charité, le premier a une importance décisive pour l'appréciation des conditions réelles de la vie morale dans l'état de nature où nous nous trouvons et de ce que peut être un « humanisme chrétien ».

    1. Sans elle, pas de vraies vertus

    Introduction

    Voici un problème particulièrement important, qui, met en question la possibilité d'une vie morale réussie en dehors de la vie chrétienne. Il est au cœur de toutes les discussions sur l'humanisme et, par suite, de toutes ses incidences naturalisme et christianisme, laïcisme et chrétienté, etc...

    S. Thomas y est revenu à diverses reprises : la doctrine de S. Augustin suffisait à le poser avec acuité à la pensée chrétienne. Cette doctrine y représente d'ailleurs un extrême, surtout en ces déviations de l'augustinisme que seront baïanisme et jansénisme. Il reste qu'aucune solution ne pourra plus se dispenser de se définir par rapport à l'augustinisme. La position de S. Thomas n'est pas tellement facile à dégager des nombreuses distinctions qu'il avance dans ses divers textes ; je croie pourtant qu'elle est fort nette et que, s'il était trop aristotélicien pour ne pas apporter à l'augustinisme, tel qu'il a eu à le combattre, de sérieux correctifs, il a conservé toute la substance des intuitions profondes d'Augustin. Mais il importe de se rappeler que ses textes expressément consacrés à cette question ont pour contexte doctrinal l'ensemble de ses positions sur la grâce et ses rapports avec la nature, sur les effets du péché originel et le rôle indispensable de la gratia sanans.

    Quoi qu'il en soit d'ailleurs de l'exégèse de S. Thomas, il s'agit ici d'un problème réel et toujours débattu. Il est facile d'écarter [50] les positions extrêmes, que d'ailleurs l'Eglise a rejetées

    - d'une part, l'humanisme pélagien qui naturalise même la vie chrétienne ;

    - d'autre part, le pessimisme ultra-augustinien qui, en dehors de la grâce et de la charité, ne voit que péché.

    Mais, à l'intérieur de l'orthodoxie, il reste encore de la latitude. Maintenons ces deux points :

    - 1/ contre Pélage rien de salutaire et de méritoire, rien de valable pour la vie éternelle ne peut être ni accompli ni même commencé sans la grâce ;

    - 2/ contre Baïus : tous les actes des infidèles ne sont pas des péchés ; même sans la grâce la nature est encore capable d'un bien d'ordre naturel.

    C'est précisément sur cette possibilité naturelle d'un bien moral que va porter le débat. Comme toujours, dans l'école thomiste elle-même, nous allons trouver deux tendances. Ceux qui entendent les blessures du péché originel uniquement comme des privations par rapport à la nature intègre attribueront à l'homme déchu pratiquement les mêmes possibilités qu'aurait eues la nature pure. A l'inverse, ceux qui, plus augustiniens, voient dans ces blessures une véritable corruption du bien de nature, sans nier que celle-ci puisse encore faire quelque bien, ne lui en attribueront pas beaucoup et, s'ils doivent parler de « vertus », auront tendance à entendre « vertus apparentes ». Je crois pour me part, vous vous le rappelez, que S. Thomas a une position plus complexe et plus nuancée que chacune de celles auxquelles je viens de faire allusion. Oui, les blessures sont essentiellement privatives et se définissent d'abord par opposition à la justice originelle, dont les privilèges gratuits constituaient une dot de nature ; mais par contrecoup elles ont un autre effet, privatif aussi, sur la nature, qu'elles placent dans un état bien inférieur à ce qu'eût été la pure nature : elles la déséquilibrent, dit S. Thomas, précisément au point de vue de l'inclination à la vertu, parce qu'elles la privent de la seule fin dernière sur laquelle la vie morale puisse se rectifier pleinement ; et c'est toute la raison d'être de l'office de « guérison » de la grâce.

    Cette prise de position ne peut pas rester sans conséquences sur notre question présente. Quand S. Thomas, poussant les choses au plus gros, dit que l'homme peut, sans la grâce, planter des vignes et bâtir des maisons, ou même connaître des vérités d'ordre naturel, il ne se montre pas exagérément optimiste sur ses capacités morales en état de nature déchue. Je sais bien que ce sont là des exemples et qu'en réalité S. Thomas en admet beaucoup plus, nous le verrons ; mais qu'il ait recouru à ces exemples est significatif et il faudra tenir compte, pour ce problème particulier, de l'ensemble de ses assertions.

     

    Article 7 - Sans la charité peut-il y avoir quelque vraie vertu ?

    Annotation

    Ce qui embrouille passablement le problème que nous étudions, c'est qu'aux difficultés réelles s'ajoutent les difficultés d'un vocabulaire subtil, un peu flottant, et le fait que S. Thomas, comme il fait souvent, s'efforce de garder au maximum les expressions de S. Augustin, alors même qu'il propose de sérieux correctifs à sa pensée, ou du moins lui apporte de notables précisions. Au plan du vocabulaire, il s'agit de l'attribution du mot vertu et de la portée qu'il faut donner à l'expression « vraie vertu » ; au plan de l'histoire, on voudrait garder le langage de S. Augustin tout en montrant que la nature reste capable d'un vrai bien moral et pas seulement de vertus [51] apparentes ; au plan du réel, il s'agit de savoir jusqu'où peut atteindre une réussite morale humaine sans la charité.

    Je crois que si l'on discerne ces diverses incidences, on trouve chez S. Thomas une position parfaitement nette et qui rejoint facilement celle qu'il a maintes fois exposée dans des textes parallèles, mais pas toujours avec autant de nuances, de sorte qu'à les considérer à part on pourrait le faire pencher tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre. Ajoutons que le débat ne pouvait manquer d'être repris dans la tradition thomiste et que nous le recevons des commentateurs en des termes plus évolués, ou qui en tout cas veulent être plus précis, et dont il faut bien comprendre le sens. On aurait beau vouloir les mettre entre parenthèses, leurs expressions se sont incorporées au problème et on est bien obligé d'en tenir compte. C'est ce qui va nous obliger à consacrer une première partie à des précisions de vocabulaire et de notions où nous devons reprendre toute la technique scolastique du traité des habitus et des vertus ; j'hésite d'autant moins à le faire, d'ailleurs brièvement, que la question suivante nous reportera au même traité et demandera plus de précisions encore.

     

    I - Précisions de vocabulaire et de notions

    Qu'est-ce que la vertu et comment se réalise-t-elle au plan de la vie humaine ? Quelles en sont les conditions et que signifie l'expression : « vraie vertu » ? Ne s'oppose-t-elle qu'à « vertu apparente » (et donc fausse) ou y a-t-il, entre ces deux termes, quelque réalité qui mérite, en un sens diminué, mais encore véritable, d'être aussi appelé vertu ?

    A. Vertu au sens général et sa réalisation chez l'homme

    « Vertu » est un nom de perfection. Sa signification générale est celle d'une puissance active à laquelle rien ne manque pour produire parfaitement son acte.

    1. S'il s'agit de puissances purement actives, qui sont déterminées à leur acte par la nature, vertu désigne la puissance elle-même. S'il s'agit d'une puissance passive à laquelle il convient non de mouvoir mais d'être mue, on ne parlera pas pour elle de vertu ; ce mot s'appliquera à la puissance active de l'agent supérieur qui la met en acte ; ce que la puissance passive reçoit de cette motion ne s'enracine pas en elle, pour la qualifier : c'est une impression transitoire, dont le principe reste la vertu de l'agent principal.

    2. Il en va autrement pour une puissance qui, à la fois active et passive sous divers aspects, a par rapport à ses actes une certaine indétermination. Celle-là peut être intrinsèquement perfectionnée comme agissante parce qu'elle n'est pas entièrement déterminée par la nature ; il pourra se développer en elle une qualification permanente, acquise ou reçue, qui précisément amènera sur ce point la puissance à l'état de vertu, c'est-à-dire lui donnera dans sa ligne une détermination parfaite. Cela implique un mode d'agir non plus précisément « naturel », déterminé ad unum, mais « volontaire ». (cf. Qu. disp. de Virtutibus in communi, art. 1).

    3. Nous envisageons ici « vertu » dans ce dernier cas : elle est une qualification surajoutée à le puissance par rapport à un type d'acte auquel cette puissance n'est pas suffisamment déterminée par la nature pour en être à elle seule le principe parfait. Cette qualification évoque immédiatement l'idée de disposition et d'habitus ; c'est à cette catégorie qu'elle appartient. Les puissances opératives proprement humaines n'atteignent toute leur « vertu » que si elles sont ainsi cultivées [52] et qualifiées par des habitus qui réalisent, mais à un plan supérieur et avec toute la perfection du volontaire, ce que fait pour les puissances inférieures la seule détermination donnée par la nature. Le notion de vertu va donc dépendre ici de celle d'habitus et de disposition. (Pour ne pas surcharger inutilement ce rappel, je m'en tiendrai au plan des puissances opératives et donc aussi des habitus dits opératifs, laissant hors de considération ce qu'on appelle les habitus entitatifs).

    B. Habitus et disposition

    Tout ce qui vient déterminer, qualifier, habitusllement une puissance la dispose par rapport à sa fin, qui est l'opération ; mais ce peut être de diverses façons.

    1. Ce peut être tout d'abord bien ou mal. C'est la rançon de cette latitude caractéristique des puissances opératives supérieures que leurs qualifications acquises ou reçues sont plus ou moins conformes à leur nature, à l'ordination de cette nature à sa fin. Disposition ou indisposition, habitus bon ou mauvais : l'opposition du bien et du mal fait dans cette catégorie une division spécifique, au sens fondamental de conformité ou d'opposition à l'ordination de la nature ; opposition qui ne prendra d'ailleurs tout son sens que dans l'ordre moral, là où le mode d'agir volontaire qui déjà lui suffit, implique proprement la liberté.

    2. Mais ce peut être aussi d'une façon plus ou moins stable et permanente, soit en bien soit en mal. Et une telle division sera essentielle elle aussi pour ce genre de qualification. Si cette qualification est de soi stable, on l'appellera un habitus ; si elle est de soi passagère, on lui laisse le nom commun de disposition. Et l'expression « de soi » implique qu'on considère le principe spécifique de cette forme : c'est-à-dire ici son objet. Pour apprécier le caractère essentiel de cette stabilité, il ne faut pas se placer au point de vue du sujet : il est accidentel. Une disposition héréditairement reçue ou que l'éducation a renforcée peut être beaucoup plus indéracinable que l'habitus le plus authentique ; mais ce n'est pas en vertu des exigences de l'objet, ce n'est pas en vertu de ce qu'elle est essentiellement, spécifiquement. Inversement un habitus proprement dit, dont l'objet demande qu'il soit stable et possédé de façon permanente, pourra se trouver dans tel ou tel sujet de façon précaire : soit parce qu'il n'est que commençant, soit parce qu'il y a des dispositions contraires déjà enracinées, soit parce que quelque protection qui lui était subjectivement nécessaire vient à faire défaut. Ainsi la science chez un débutant ; à l'inverse, l'opinion chez un entêté : à ne considérer que l'objet, la science demande à être stable, l'opinion à être facilement abandonnée, ne serait-ce que pour laisser le place à la science.

    On dire que cet habitus n'est encore possédé que par manière de disposition, alors que cette disposition est possédée par manière d'habitus. De là vient un jeu de vocables, qu'il importe surtout de noter pour le mot disposition parce qu'il intéressera notre question le mot disposition peut avoir trois sens :

    a) ou bien le sens général où il désigne, avec habitus, l'ensemble de cette catégorie qu'est la première espèce de qualité (tout habitus est génériquement une disposition) ;

    b) ou bien le sens spécifique où il désigne, par opposition à habitus, une qualification de soi facilement changeante une telle disposition peut laisser la place à un habitus (l'opinion à la science), mais elle ne devient pas habitus en s'enracinant, ce serait changer d'espèce (habitus s'oppose spécifiquement à cette « disposition ») ;

    [53] c) ou bien ce sens adapté où il désigne le mode d'être d'un habitus véritable qui est encore accidentellement précaire et facilement amissible en ce sens-là, une disposition devient un habitus, mais parce qu'elle l'est initialement, comme un enfant devient un homme. Quelques actes de tempérance à la suite d'une bonne résolution peuvent commencer un habitus ; avant que celui-ci soit affermi, on dit que ce n'est encore qu'une bonne disposition, qui reste fragile.

    C. L'attribution du mot « Vertu »

    Revenons maintenant au mot « vertu », dont nous avons dit qu'au plan des puissances humaines il se réalise en qualifications ajoutées à la puissance, qualifications qui sont de l'ordre de l'habitus. Toute vertu chez nous est un habitus, mais tout habitus n'est pas vertu, parce que l'idée de vertu exige une très particulière perfection : elle est « dispositio perfecti ad optimum ».

    I. Il suit d'abord de cette exigence de perfection que le mot vertu ne saurait être attribué, du moins au sens propre ni à ce qui est mauvais dans l'ordre de l'habitus et de la disposition. Un habitus mauvais est un vice et, s'il arrive que par manière de parler on dise « vertu » à son sujet, c'est pour exprimer qu'il atteint la perfection et la maîtrise dans le mal ;

    ni à une simple disposition au sens spécifique où celle-ci s'oppose à l'habitus. Le science pourra être une vertu, l'opinion jamais, ni la foi humaine. C'est que la disposition, en ce sens-là, inclut, dans sa notion même, une imperfection congénitale, elle n'est pas faite pour durer, elle doit céder la place à mieux qu'elle, non pas en atteignent un meilleur état, mais en disparaissant devant un habitus véritable ou, en tout cas, en restant distincte de lui, même si elle demeure comme une de ses conditions accidentellement utilisée dans ce sujet-là.

    Il n'y a donc de vertus que parmi les habitus proprement dits et seulement parmi les habitus bons.

    2. Il suit, en second lieu, que même tout habitus bon ne méritera pas le nom de vertu. Ce sera un peu comme, dans le vocabulaire des transcendantaux, pour les notions d'être et de bien. Il suffit de la première réalité pour mériter le nom d'être ; pour mériter tout à fait celui de bien, il faut une perfection : « ens simpliciter, bonum secundum quid : bonum simpliciter, ens secundum quid ». Toute vertu est un habitus, mais cet habitus ne sera vertu qu'à raison d'une certaine plénitude ou perfection qui implique davantage que sa seule essence ; celle-ci ne change pas ; il s'y ajoutera une certaine intégrité, sens laquelle il n'y aurait pas détermination à une opération vraiment parfaite pour l'homme. Nous avons trouvé une illustration de cette idée dans le cas de la foi et de l'espérance qui, sans changer de nature, perdent la perfection de vertu ai la charité disparaît. Notion importante : la seule essence spécifique d'un habitus ne suffira pas à décider s'il faut l'appeler une vertu, surtout au sens plein.

    3. Il faut aller plus loin encore, et ce dernier exemple nous y introduit. Vertu est si bien un nom de perfection que pour l'attribuer pleinement il faute tenir compte de la place et du rôle de l'habitus appelé vertu dans l'ensemble de la perfection propre de l'homme. Quelque perfection, même éminente, que puisse avoir un habitus particulier, et par son essence et par son développement, par son intégrité, il ne sera absolument vertu que s'il qualifie la personne même au point de vue de la perfection de la vie humaine. C'est pour cela qu'en parlent des vertus purement intellectuelles : intellectus, science, art et même [54] sagesse, qui sont les qualités entitativement les plus nobles de la plus haute faculté de l'homme, nous disions, dans la Prima-Secundae, qu'elles ne sont pas des vertus simpliciter : elles assurent l'intelligence dans une œuvre bonne et excellente, parfaite en sa ligne intellectuelle, elles ne qualifient pas la personne dans son orientation vers la fin dernière parce qu'elles n'incluent pas la perfection de l'usage libre qu'on en fait. Cela relève de la volonté et, par conséquent, d'autres vertus que celles de l'intelligence pure. On peut être un savant ou un philosophe éminent et un mauvais homme.

    Nous réserverons donc le mot vertu au sens le plus fort, de vertu absolument parlant, simpliciter, à celles qui, non seulement assurent une puissance humaine dans la production d'une œuvre parfaite, mais rendent bon l'homme tout entier parce qu'elles incluent la rectitude du vouloir : vertus morales et, éminemment, vertus théologales. « Bonum facit habentem et opus ejus bonum reddit ».

    4. Ce sont donc elles qui nous intéressent ici en premier lieu. Mais la difficulté se fait plus grande et le vocabulaire va s'en ressentir. Soyons attentifs aux choses mêmes ; les mots s'éclaireront ensuite ainsi que les usages divers qu'en font les auteurs.

    Pour être une vertu morale, il ne suffit pas que l'habitus considéré se porte à un objet bon ; il faut qu'il s'y porte bien non solum ad bonum sed bene ; et cela veut dire : selon la mesure de la raison telle que la détermine la prudence. Et cela fait qu'une vertu ne peut pas se réaliser isolément. Il n'y a pas de vertu morale proprement dite sans la prudence ; il n'y a pas davantage de prudence sans vertu morale, sans l'ensemble des vertus morales, parce que la prudence ne saurait être particularisée à un domaine moral parmi les autres : étant qualification de la raison dans son activité régulatrice, elle s'étend à toute la vie morale comme la raison. D'où cette conclusion très notable, qui va d'ailleurs donner tout son poids à notre problème : les vertus morales naissent ensemble à la qualité de vertu proprement dite, elles sont connexes, à tel point qu'elles croîtront ensemble aussi et à égalité (proportionnelle).

    Faudra-t-il dire que l'acte d'un seul habitus, par exemple la justice, en fait acquérir plusieurs ? Non, bien sûr. Chaque habitus vertueux naîtra par un acte ou plusieurs actes qui correspondent à son espèce. Mais plus une action particulière se rapproche, dans son domaine, de l'affermissement dans la conformité à la raison, plus la prudence se développe aussi et fait que, dans tous les autres domaines, la juste conduite est assurée, au moins « in praeparatione animi », si l'occasion n'a pas été donnée de l'exprimer encore effectivement dans sa vie. Par le progrès d'un ou de quelques habitus moralement bons, c'est une attitude plus générale de conformité habituslle à la raison en toutes ses exigences qui s'instaure, c'est une genèse commune qui se prépare. Mais aucun ne passera le seuil où on commencera à parler de vraie vertu sens que les autres y soient aussi, peut-être encore fort peu exercés, mais déjà en puissance prochaine à un acte proportionné à la perfection de l'ensemble. Dès ce moment, ce qui n'était qu'habitus bon, plus ou moins enraciné en telle ou telle ligne, devient vertu morale, partie intégrante de cet ensemble qui assure la bonté, non seulement des œuvres, mais de la personne.

    5. Là-dessus se sont formées diverses manières de s'exprimer. La plus généralement suivie dans l'école thomiste est celle de Cajetan, reprise par les Salmanticens : avant ce point de perfection où les vertus sont connexes, les habitus bons particuliers ont déjà l'essence [55] de la vertu, ils n'en ont pas encore l'état. La justice est déjà justice, mais elle n'est pas à l'état de vertu tant qu'il n'y a pas aussi tempérance, force, etc... Et comme la justice même est menacée si on n'est pas fort et tempérant, on ajoutera que cette justice, tout en étant par son essence un habitus proprement dit, est en fait encore à l'état de disposition, parce que cet habitus est exposé à être perdu, par exemple par lâcheté devant la menace. Il ne sera tout à fait possédé par manière d'habitus que s'il est aussi à l'état de vertu.

    Jean de S. Thomas préfère dire au contraire que la connexion est nécessaire à l'essence même de la vertu morale ; cette essence de la vertu ne peut donc pas être attribuée à un habitus bon avant qu'il ne soit connexe avec tous les autres. Comme habitus, il a déjà le même objet et donc la même espèce ; mais, au point de vue de cette qualification morale, de soi parfaite, qu'est la vertu, celle-ci acquiert alors une dimension nouvelle, qui n'est pas seulement un nouvel état de ce qui existait déjà, mais qui commence vraiment et qui est précisément la vertu.

    6. De toute façon, il reste qu'on peut avoir, dans la ligne de ce qu'on pourrait être tenté d'appeler vertu morale :

    1/ de simples dispositions naturelles (v. gr. une certaine inclination à la tempérance, du courage naturel, etc..) : disposition spécifiquement distincte de l'habitus ;

    2/ des habitus acquis par des actes réfléchis, mais encore précaires parce qu'ils sont isolés ;

    3/ l'ensemble des vertus morales (dont certaines au moins in praeparatione animi), connexes dans la prudence.

    Tout le monde accorde que la première catégorie est en dehors de l'ordre de la vertu et ne peut être appelée telle que par abus de langage. Tout le monde accorde aussi que la vertu n'est pleinement réalisée que dans la troisième catégorie. Faut-il dire que, dans la seconde catégorie, il y a déjà l'essence de la vertu, mais non l'état de vertu ? Ce qui est sûr, c'est qu'il y a l'essence d'un habitus qui n'aura pas à changer d'objet pour être vertu ; mais il est sûr aussi qu'il n'a pas encore cette note essentielle de la vertu morale de rendre bon le sujet lui-même, de rectifier la personne.

     

    II - Pas de vraies vertus sans charité

    Je crois que ces précisions qui, au vocabulaire près, ne font que résumer l'enseignement le plus incontestable de la Prima-Secundae, nous permettent de comprendre et de situer exactement la véritable pensée de S. Thomas, en la distinguent à la fois d'un humanisme exagéré auquel nos sources aristotéliciennes portent un certain courant de la pensée thomiste, et de l'augustinisme strict que S. Thomas a consciemment combattu.

    1. Commençons par ce qui ne fait pas de difficultés.

    a) Il y a, et, bien entendu, sans charité, beaucoup de vertus apparentes, illusoires : ce sont des contrefaçons de vertu, des vertus fausses. Nietzsche disait : « Je ris de ceux qui se croient bons parce que leur patte est infirme ». On se trompe facilement sur la vraie valeur d'une attitude. Il est incontestable que S. Augustin a particulièrement insisté sur ce point quand il a parlé des vertus qu'on a l'habitude de louer chez les païens.

    b) Il y a également chez tous les hommes, avec ou sans charité, de bonnes dispositions, naturelles ou acquises, à telle ou telle vertu.

    [56] A l'un, qui est naturellement courageux, l'attitude de force sera plus facile à prendre, même de façon habituslle ; un autre, naturellement délicat et noble, restera plus facilement chaste et pudique, etc... Il ne s'agit encore, à ce plan, ni d'habitus proprement dit, ni, à plus forte raison, de vertu, car il est essentiel à l'un et à l'autre qu'on se porte à un objet bon, bien défini, par choix et consciemment. Ce sont ou des dispositions innées, résultant de caractères individuants, ou des dispositions précocement acquises par l'effet de l'éducation : dispositions parce que, quoique stables et peut-être indéracinables à raison du sujet et de leur origine, ce n'est pas leur objet ni donc leur essence qui exige leur permanence. Ces dispositions ne deviendront pas habitus et vertus ; mais elles les facilitent et l'habitus une fois né se les intègre comme des conditions matérielles qu'il utilise. De là vient que, même chez les plus grands saints, certaines vertus paraissent plus faciles, plus « naturelles » que d'autres.

    2. Il peut y avoir, sans la charité, des habitus bons, acquis par rapport à un bien raisonnablement déterminé. On est bien obligé de l'admettre, s'il est vrai que la nature, même déchue, reste capable d'un bien naturel, sous la direction de la raison. Des actes bons répétés engendrent un habitus de même espèce, aussi bien chez le pécheur que chez le chrétien en état de grâce.

    Il est vrai, nous l'avons vu l'an dernier, que l'homme ne peut pas, sans les restaurations de la grâce, observer tous les commandements, même de la loi naturelle. Quelques habitus bons qu'il ait acquis sans la grâce il ne restera pas sans pécher ; mais le péché mortel actuel ne détruit pas les vertus acquises ; le pécheur peut encore reprendre son effort et perfectionner ces « vertus ».

    On ne pourrait nier ce premier point qu'en reprenant l'assertion de Baïus et de Jansénius, condamnée par l'Eglise et que S. Thomas avait déjà réfutée : que tous les actes d'un infidèle sont des péchés. C'est un point qui n'est pas très clair chez S. Augustin et Baïus trouvait, dans ses textes, bien des appuis littéraux, encore qu'à la juger par l'ensemble la pensée de S. Augustin, certainement pessimiste, ne soit pas allée jusqu'à cet excès. Il est moralement impossible de dire que tous les actes de vertus loués chez les grands païens soient en réalité des péchés et leurs attitudes habituslles de fausses vertus. S. Thomas, à propos de la magnanimité, rappellera avec admiration ce qu'un historien dit de César : « Il avait coutume de ne rien oublier, si ce n'est les injures ». Et quand le même César, ayant battu Pompée et apprenant qu'on a découvert toute une correspondance qui pourrait compromettre beaucoup d'alliés de son rival et les lui livrer, donne néanmoins l'ordre de détruire et brûler cette correspondance parce qu'il ne veut pas utiliser de tels moyens, il est difficile de ne pas voir là une grandeur dont beaucoup de chrétiens ne donnent guère l'exemple. Et nous savons cependant que César n'avait rien d'un saint, ni même d'un homme vraiment vertueux dans l'ensemble de sa vie. Il n'empêche qu'on peut lui accorder au moins une attitude habituslle de magnanimité.

    Ce qui fait hésiter à parler de vertus, c'est que ces habitus mêmes restent précaires tant qu'ils sont isolés, exposés à être perdus, faute de régulation sur un autre point. Cet infidèle est juste ; s'il n'est pas chaste, sa justice risque de sombrer dans une occasion habituslle d'adultère.

    3. Quelqu'un peut-il, sans la charité, arriver à posséder l'ensemble des vertus naturelles en leur connexion dans la [57] prudence acquise ?

    Je pense que c'est impossible et que S. Thomas ne l'accorderait pas. La raison en est que la prudence, qui dépend immédiatement des fins prochaines des vertus particulières, dépend aussi de l'intention de la fin dernière. Or, s'il est vrai que le pêcheur puisse encore poursuivre un bien global conforme à la nature humaine tel que la raison droite suffit à le connaître, il est de fait qu'il ne peut pas trouver là une fin dernière rectifiante. S'il n'a pas la charité, l'homme est fixé dans le péché, il adhère à une fin qui, loin de le rectifier, est mauvaise. Il n'y a pas de milieu entre les deux. Il en résulte pour sa prudence une infirmité congénitale et cette infirmité ne peut pas ne pas se traduire dans son office de régulation de l'ensemble des mœurs humaines.

    On pourrait néanmoins faire une instance au plan des « vertus politiques », c'est-à-dire encore de l'ensemble des vertus naturelles mais dans l'ordre précis de ce vrai bien humain qu'est le bien commun de la Cité temporelle : celui-ci n'est-il pas, dans son ordre, une fin véritablement « dernière » ? Et cette fin ne permet-elle pas une prudence politique qui arriverait à cette perfection de grouper en une véritable connexion les vertus acquises ?

    Je crois qu'il faut donner à cette question la même réponse qu'à la précédente, mais avec plus de nuances. Il est vrai, d'une part, que le bien commun politique constitue une fin qui a une certaine autonomie ; il est vrai, d'autre part, qu'ici la réussite engage tout un art et des techniques qui, n'étant pas du domaine moral, peuvent être tout aussi bien possédés par un pécheur que par un saint et, selon les cas, beaucoup mieux. Mais en définitive, la prudence politique elle-même ne saurait être vertu sans rectification profonde de la personne et union à la prudence personnelle. Ici encore, la droite intention de la seule vraie fin dernière simpliciter pour l'homme s'avère indispensable. Nous n'excluons pas qu'un véritable amour du bien commun n'amène à développer, sous la direction de la raison, tout un ensemble d'habitus bons ; mais cela ne suffit pas.

    4. Car il reste - et c'est là le point capital pour notre question - que même alors on ne les appellera pas de vraies vertus, simpliciter.

    Et c'est la notion nouvelle que vient apporter dans le débat notre élévation à l'ordre surnaturel et donc la nécessité de la charité. L'idée qui nous a guidés jusqu'ici, c'est qu'il est essentiel à la vertu simpliciter de rendre bon le sujet, i.e. de rectifier le personne ; et cela ne peut être que par continuité avec l'intention de la vraie fin dernière. Autant dire ce n'est possible que par le charité.

    Nous avons déjà manifesté une conclusion analogue pour les vertus de foi et d'espérance. Pour elles, le vocabulaire de Cajetan prend tous ses avantages. La charité leur confère le « statua virtutis », la qualité pure et simple de cette perfection qu'exprime le mot : vertu simpliciter. Sans elle, il y a l'essence d'habitus qui doivent être vertus, il n'y a pas encore de vraie vertu, parce que pour un nom de perfection comme vertu, vrai porte sur l'intégrité et non sur la seule essence.

    Le cas des vertus morales est analogue. Pour les vertus infuses, le problème ne se pose pas liées à la charité, elles ne peuvent demeurer sans elle ; elles sont vraies vertus ou elles ne sont pas. Les vertus naturelles au contraire ne disparaissent pas avec le charité ; [58] supposons qu'elles aient atteint leur perfection de vertus dans le sujet en état de grâce : c'est dans la prudence naturelle acquise qu'elles trouvaient le principe prochain de leur connexion ; or cette prudence ne disparaît pas davantage. Pourquoi dès lors la charité étant perdue, ces vertus ne garderaient-elles pas, avec leur connexion, leur perfection de vertu ?

    C'est qu'il y a désormais deux conditions nouvelles : a) elles perdent cette note, pourtant nécessaire à la « vraie vertu », de rectifier la personne : « bonum facit habentem » ; elles rendent encore l'homme bon par rapport à une fin particulière, le bien de la Cité par exemple, elles ne le font pas bon purement et simplement ; détourné de sa fin dernière, il est pécheur, il est mauvais. b) la perte d'une intention droite de la fin dernière ne leur enlève pas seulement quelque chose qui leur serait resté extrinsèque : cette ordination est nécessaire à une bonté, à une intégrité, que leur nature demande, comme le précisera l'article suivant et en outre cette perte ne peut que se traduire en un déséquilibre pour la prudence, même naturelle et acquise, car celle-ci suppose absolument la rectification de l'appétit.

    Il faut donc conclure que ces vertus perdent leur être de vertu simpliciter - « état » de vertu ou « essence » de vertu, peu importe - tout en gardant l'essence que, comme habitus, elles tiennent de leur objet. Et on peut dire également qu'elles régressent vers l'« état » de disposition, parce que la prudence ne peut plus assurer pleinement leur connexion : de là résulte pour elles une certaine précarité qui ne s'oppose pas seulement à leur caractère de vertu, mais déjà plus profondément aux exigences normales de l'habitus comme tel.

    5. Vous le voyez, nous sommes très loin à la fois de Baïus et de Pélage, assez loin sans doute aussi de S. Augustin, séparés de lui par une conception plus métaphysique de la nature et une notion plus purement privative des blessures du péché originel. Mais nous nous écartons aussi, à l'intérieur du thomisme contemporain, d'une tendance plus humanisante, parce que l'idée que nous nous faisons du rôle de la fin dernière nous oblige à penser que l'homme déchu, privé de la grâce, n'est pas blessé seulement par rapport à la nature intègre, confortée par la justice originelle, mais aussi par rapport à la nature tout court : celle-ci ne trouve plus à son niveau le principe de la rectification morale décisive et par conséquent de la « vraie » vertu, la fin dernière.

    2. « Forme » des vertus

    Qu'il n'y ait pas de vraies vertus sans charité, cela n'implique pas seulement que la charité doit être présente comme une manière de couronnement ; c'est son action qui est requise, son influence positive sur tout notre agir. Comment faut-il comprendre cette influence ? A quel type de causalité se rattache-t-elle ? Nous devons dépasser certaines métaphores traditionnelles, qui suggèrent d'ailleurs des idées justes : la charité « mère », « nourrice », « racine » des vertus ; en un langage plus technique nous dirons qu'elle les « informe ». Encore faut-il comprendre cette expression qui revêt ici un sens tout spécial.

    C'est aussi une question que S. Thomas a plusieurs fois traitée et on peut noter, entre ses divers exposés, une certaine évolution de la terminologie. Quelques auteurs récents, après celui qui est aujourd'hui le Cardinal Van Roey, ont voulu voir dans cette évolution un changement profond de position : d'une conception d'abord trop réaliste, se plaçant [59] dans la ligne de la causalité formelle, S. Thomas en serait venu à l'idée que l'influence de la charité, limitée à l'ordre de la causalité efficiente, reste tout à fait extrinsèque par rapport aux autres vertus. Cette interprétation me parait très matérielle et, pour le texte de la Somme, inexacte. Il y a eu progrès dans la précision de la pensée, non changement essentiel, sinon sur tel ou tel point assez secondaire ; encore n'est-ce pas très net. Vous pourrez lire l'interprétation thomiste traditionnelle d'abord ici même dans le bref commentaire de Cajetan et, si le cœur vous en dit, tout au long dans les Salmanticenses de Caritate, disp.VIII, dub. III (Palmé XII, p. 309-322). Le P. Deman en a fait un bon exposé contre Van Roey : Bull. thom. 1930, [p.80-81].

    Article 8 - La charité est-elle la forme des vertus ?

    Annotation

    Le raisonnement de S. Thomas et sa conclusion ne laissent aucun doute : c'est proprement dans la ligne de l'efficience que la charité exerce sa causalité sur les autres vertus. Comment dès lors expliquer l'assertion traditionnelle assurant qu'elle en est la forme ? Cette assertion, S. Thomas veut expressément la maintenir. Or l'efficience n'est pas propre à la charité : bien d'autres vertus provoquent par imperium les actes de vertus inférieures : la religion, par exemple, peut impérer cet acte de vertu qu'est le jeûne, les vœux de religion ne font pas autre chose pour l'obéissance, la chasteté... Faudra-t-il dire également que la religion est la forme de ces vertus ? ou bien y a-t-il, dans le cas de la charité, quelque chose de tout à fait spécial ?

    1. Si l'efficience de la charité aboutit à ce que nous appellerons une « information », ce n'est pas précisément et proprement par le détour de la causalité exemplaire.

    On peut en effet penser à elle. Il y a, entre les vertus et la charité, un rapport qui rappelle celui de l'image à son exemplaire : c'est la manière d'opérer car, par l'influence de la charité, les autres vertus reçoivent de tendre vers Dieu à sa manière à elle, comme vers leur fin dernière. Dans le de Veritate (XIV, 5 ad 3m), S. Thomas écrivait :

    « Modus quo caritas dicitur forma virtutum appropinquat ad modum illum quo exemplar formam dicimus ; quia id quod est perfectionis in fide a caritate deducitur, ita quod caritas habeat illud essentialiter, fides vero et caeterae virtutes participative ».

    C'est de l'exemplarité sans en être : « appropinquat ». Aussi me paraît-il difficile


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