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    Le mythe

    par Michel Robert, du cégep du Vieux Montréal

     

    Introduction

    Lorsque nous observons certains de nos comportements, dans le monde actuel, nous pouvons être surpris des rapports que nous établissons entre certains de nos gestes et les raisons que nous formulons dans notre tentative de comprendre ces comportements. La justification de nos actes, de certains d'entre eux, appelle à l'indifférence collective et quelquefois la réussite de ces mêmes actes exige une assurance que le seul silence accueille. Sans que l'ensemble des idées que nous ayons sur nous-mêmes et sur les autres prennent l'allure d'une vérité dogmatique, il nous semble néanmoins concevable que nous puissions donner un sens à notre vie. Ainsi, par exemple, ma présence à un cours le lundi matin huit heures, revêt la forme d'un comportement positif articulé à ma croyance qu'il y a dans cette activité quelque chose qui en vaille la peine; apprendre, maîtriser une technique, etc. La surprise, dans cet exemple, est peut-être le fait que je ne pense rien de cela. Je vais au cours parce que c'est écrit dans mon horaire; je ne pense à rien d'autre... (Ci-contre: Frankeinstein)

    J'ai, bien sûr, donné en exemple une situation qui exigerait d'en nuancer certains contours. Je l'ai fait pour introduire la question du sens de certaines de nos activités relativement à nous-mêmes et aux autres. Schématiquement, il s'agit d'aborder ce qui, dans une culture, participent de nos actes sans que nous en ayons une notion claire et cohérente; sans même que nous y voyions là, nécessité, de notre part, d'y réfléchir. Une expression comme la suivante: "plus on a de l'argent, plus on est heureux", indique autrement le même phénomène culturel. Chacun, à part soi, y croit suffisamment pour l'énoncer tout en doutant que tel soit bien le cas. Alors, les jeux de loteries engendrent des gestes individuels qui participent, tout de même, d'une certaine pensée collective. C'est ce que nous appelons un mythe. Peut-être voit-on mieux, dans mon premier exemple, se profiler l'ombre du geste forcé, subi, obligé, tel un destin. Bien d'autres images de cet exemple sont aussi possibles, je le sais. Celle-ci, me semble-t-il, permet tout de même de saisir au quotidien l'importance que peut prendre dans notre vie la banalisation de certains de nos gestes. Comme si nous pouvions vivre d'un côté et qu'il y ait un sens de l'autre; et que si les deux m'appartiennent, ni leur registre ne s'accorde ni leur temps se rythme. Regardons ceci de plus près.

    Définition

    Nous pouvons penser que de tout temps l'être humain a cherché dans un ailleurs, un au-delà, le sens, à la fois du monde et de son existence et, à la fois le sens des gestes qu'il posait dans ce monde. Souvent cet ailleurs était surhumain, supérieur et garant de la survie du monde. Le mythe est l'histoire de cet ailleurs. Cette histoire, ce récit se veut la vérité.

    Dans la période archaïque de l'humanité, le mythe servait de connaissance aux humains. Son importance résidait dans le fait que cette connaissance venait fonder l'existence humaine, car, par le mythe, l'homme savait l'histoire du monde et ainsi son histoire. Si tous connaissaient cette histoire, tous ne pouvaient cependant la raconter. Cette histoire exigeait un temps et un espace réservés. C'est le sacré. Dans les moments de catastrophes, le sacré garantissait la recréation de ce qui pouvait être disparu; les rituels sacrés, gestes précis effectués par un groupe fonctionnel précis, les sorciers, chamans, prêtres, l'assuraient. Vivre le mythe est surtout une expérience religieuse.

    La période archaïque est marquée par la culture de l'oralité. Le mythe est raconté, au travers un rituel qui comportait costumes, maquillage, danses et chants. Une quantité de formules précises assuraient un fondement commun à chaque interprétation du mythe. Ainsi se voyait assurée la transmission d'une tradition précise. C'est cette tradition qui formait la mémoire collective d'une société; son fond culturel commun en quelque sorte.

    Dans la Grèce antique

    Après sa période archaïque, la Grèce antique passa de la tradition orale à celle de l'écriture. Cette transformation ne fut pas subite, mais elle allait modifier considérablement le rapport aux mythes. En effet l'oralité engendrait une forme d'expression fondée surtout sur l'écoute et l'identification. La gestuelle du barde ou du poète récitant impliquait une identification aux êtres mythiques dont il racontait l'histoire; les "Muses" déesses qui inspiraient sa mémoire, en assuraient la vérité; ne lui restait plus qu'à séduire son auditoire. L'écriture apportait une exigence formelle différente. Il devenait maintenant possible, pour ceux qui le pouvaient, de revenir sur le texte et de méditer sur son sens. Apparaissaient alors toutes sortes d'incongruités liées aux mythes. Ces histoires exemplaires mettaient en scène des dieux aux mœurs scandaleuses; caprices, querelles, meurtres, incestes. C'est ainsi que parallèlement aux récits s'organisa une nouvelle expression; la formulation argumentative. Celle-ci se raffinant jusqu'à prendre chez Platon le statut de seul discours permettant la connaissance. Toutefois, nous savons que même à cette époque (~IVe siècle) les croyances et les doctrines traditionnelles liées aux mythes étaient encore bien vivantes. Le ver, cependant, était dans la pomme.

    Deux autres définitions

    Dans la définition précédente, nous n'avons donné que le sens du mythe traditionnel. Deux autres sens sont aussi possibles: les mythes se référant aux religions de salut et ceux concernant les idéologies modernes.

    Par son rapport au salut, l'individu élabore dans le mythe sa place dans la hiérarchie des valeurs du discours religieux. Ainsi, le mythe sert de justification universelle à l'entreprise individuelle que constitue le salut de son âme. Donnons en exemple le christianisme.

    Quant aux idéologies modernes, celles-ci greffent, dans un premier temps, sur le plan collectif, le mythe, comme un processus sans cesse renouvelé du savoir. La finalité inéluctable se trouvant déjà inscrite à l'intérieur du mythe, le savoir agit en tant que signe de ce qu'il faut faire. Le collectif devient le miroir de ce qui est nécessaire pour l'individu. Ce qui s'y reflète représente pour l'individu la voie à suivre, le chemin à parcourir. Donnons en exemple le marxisme.

    Aujourd'hui

    Les mythes présentent, dans une société qui les vit, une espèce d'approfondissement du mystérieux. Une forme de connaissance ritualisée et codifiée. De plus le mythe, dans une culture archaïque, sert de lien à la collectivité qui y puise ses représentations collectives. Qu'en est-il aujourd'hui.

    Ce qui a changé d'abord et avant tout est bien sûr lié à la rationalité occidentale. L'utilisation de la seule raison générant ses règles de fonctionnement et déterminant le but à atteindre est devenu la norme. Évidemment, c'est ce processus critique qui a dénoncé l'artifice et l'illusoire du mythe, de même, ce processus a installé dans l'individu seul, la réception et l'énonciation de la vérité; ou plutôt, du véritable intérêt de celle-ci pour celui-là.

    Mais à son tour la raison n'a-t-elle pas cherché à répondre aux récits comme si elle était un au-delà, une transcendance? N'a-t-elle pas créé un espace culturel manifestant ainsi de nouvelles expressions aux rites; par la libération des liens sociaux et communautaires inhérents au mythe traditionnel, la recherche du "moi", de son identité véritable?

    Une forme de banalisation occupe aujourd'hui cet espace. Certaines expressions parlent même "de l'ère du vide". Et si, le fond culturel commun contemporain, semble en créer à répétition, l'important réside dans le processus de création de ces espaces et de ces expressions et non, dans le produit. L'important, malgré tout, demeure les possibilités que permet la raison humaine et dans celles-ci, l'horizon même de sa limite.

     

    Dans le roman de Mary Shelley, Frankenstein est le nom du docteur et non celui de la créature qu'il fabrique...

     


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