• À partir de la théorie de Michael Riffaterre, montrez le processus de la construction de la signifiance dans « Djerbiennes » de Léopold Sédar Senghor

    À partir de la théorie de Michael Riffaterre, montrez le processus de la construction de la signifiance dans « Djerbiennes » de Léopold Sédar Senghor 

     

     

                Léopold Sedar Senghor est à la fois un grammairien et un poète. En d’autres mots, Senghor est un homme de lettre, et chaque mot pour lui est significatif. Rien ne se fait au hasard chez lui, lorsqu’il s’agit des mots pour dire son poème : « les mots du français rayonnent de mille feux, comme des diamants. Des fusées qui éclairent notre nuit. »[1]

    On voit que les mots français tiennent une place importante dans les poèmes de Senghor, et parfois ils (les mots) leur donnent la quintessence de leur signification. À cet effet, Frantz Fanon a vu juste lorsqu’il dit « les mots ont pour moi une charge. Je me sens incapable d’échapper à la morsure d’un mot, au vertige d’un point d’interrogation. »[2] De ce fait, pour mieux appréhender les textes poétiques de Senghor, il est préférable de prendre les mots dans leur emploi dénoté et connoté dans le texte car, « la langue de la poésie diffère de celle de la l’usage courant (…) Un poème nous dit une chose et en signifie une autre. »[3] La langue de la poésie peut être désignée par le langage poétique, lequel langage poétique exige une lecture pour appréhender la signifiance. Pour dire que la poésie se veut un système cohérent de significations ou de signifiances. La lecture que nous proposons est une lecture herméneutique. Il s’agit donc pour nous de montrer la signifiance dans la poésie à partir de la théorie de Michael Riffaterre. Ce travail proposé a pour corpus « LES DJERBIENNES »[4] , un poème de Léopold Sédar Senghor, extrait de Poèmes divers. De ce fait, il est donc question de faire ressortir la signifiance de ce’ poème à partir de la théorie riffaterrienne. Ce qui nous amène à nous demander comment se construire la signifiance dans ce poème ; quels procédés sont-ils convoqués pour mettre en évidence cette signifiance. Pour y répondre, un seul point de la théorie riffaterrienne sera convoqué à savoir l’hypogramme.

     

     

    À partir d’un mot, il nous est possible de générer la signifiance d’un texte poétique.

    Pour cela, il nous faut nous référer à la structure du poème pour y repérer ce mot, appelé « mot noyau ». Les autres mots qui se grefferont au « mot noyau » constitueront avec lui l’hypnogramme. En d’autres termes, c’est lorsque les lexèmes sont mis ensemble établissent un hypogramme construit autour du « mot noyau » que la signifiance se lit. « Le mot noyau » ou le signe double est générateur de deux sens ; il génère un hypogramme et peut subsumer sa dualité pour donner la signifiance du texte poétique. Qu’est-ce qu’un hypogramme ?  Vahi Yagué dira « l’hypogramme-inspiré des anagrammes de Ferdinand de Saussure-construit un programme sémantique sur la base d’une co-présence dans laquelle deux figures d’un même lexème traduisent concomitamment un sens souterrain et manifeste ».[5] Aux dire de Vahi Yagué, l’hypogramme est le fait que deux sens se lisent ou se construisent à partir d’un même lexème (mot) en même temps pour générer la signifiance, et ses deux sens qui se lisent à partir du « mot noyau, l’un est caché, voilé (souterrain) et l’autre visible, lisible (manifeste).

    Pour étudier l’hypogramme dans « LES DJERBIENNES », comme l’avons-nous mentionné plus haut, nous devons nous référer au texte pour trouver le « mot noyau ». Ce mot peut être un simple syntagme nominal ou verbal, une idée, une phrase…, mais il doit avoir un caractère référentiel. L’appréciation de « LES DJERBIENNES » de notre part nous permet de dire que « Tendre » (v.1) est le « mot noyau ». L’hypogramme qui sera donc mis en évidence dans ce poème est construit du lexème « Tendre ». De ce lexème, deux sens se dégagent : un sens souterrain et un sens manifeste. Le sens souterrain se lit lorsque le lexème « Tendre » est pris pour verbe à l’infinitif. Quant au sens manifeste, lorsque « Tendre » est pris pour syntagme nominal, comme l’on le voit dans le texte « la Tendre » (v.1)

    Le sens souterrain qui se dégage donc de « Tendre » est lorsqu’en tant que verbe signifie tirer, étirer, allonger. Dans ce cas, nous voyons que « Tendre » met en évidence la grande taille des Djerbiennes. Elles sont, en effet, élancées, étirées ; elles ont une grande taille. Et pour le dire, Senghor emploie des adjectifs qualificatifs qui mettent en relief la forme élastique (élancée) et la taille étirée (grande de taille) des Djerbiennes : sveltes (v.4), longues (v.6), hauts (v.7), fine (v.10). Ces adjectifs mis en orbite autour du « mot noyau », et avec lui, cet ensemble donnera un sens au texte ; un sens dit sens souterrain car il n’est pas lisible à la première approche du texte. Nous comprenons dès lors que les Djerbiennes sont des femmes minces, de grande taille. Elles sont tend(ues), étirées, élancées. À travers ce sens, c’est la physionomie des Djerbiennes qui est mis en relief. Cependant, ce n’est pas seulement ce sens que le « mot noyau » met en évidence, mais elle met aussi le sens manifeste de «Tendre ».

    Le sens manifeste de « Tendre » s’appréhende à partir des adjectivèmes «  lisses » (v.6), « fine » (v.10), « soyeuse » (v.10), « souples » (v.11), « gracieuses » (v.12). Ces adjectivèmes autour du « mot noyau » « Tendre » montrent que les Djerbiennes sont affectueuses, douces et délicates ; d’où l’emploi dans le poème « la Tendre ». L’emploi donc de l’article défini n’est pas fortuit dans ce cas, il nous fait savoir que « Tendre » un syntagme nominal. Le sens de ce syntagme nominal est lisible, il n’est pas sous-entendu. C’est le sens manifeste. Les adjectifs employés dans le texte viennent renforcer ce sens et lui donne plus de crédibilité dans sa saisi/compréhension.

    Nous voyons que l’emploi de ces deux sens (souterrain et manifeste) n’altère pas la signifiance du poème. Au contraire, cette signifiance est donc à élucider. En effet, Senghor, par l’emploi de « Tendre », qui selon nous est le « mot noyau » donnant une signifiance à son texte, magnifie la beauté des Djerbiennes ; laquelle beauté s’appréhende par la taille, la forme et l’affection de ces dernières. En d’autres termes, les Djerbiennes sont très belles par la taille, par la forme, par l’affection. Et cette beauté suffit à elle seule à mouvoir le poète Senghor à les chanter (les Djerbiennes) : « Quand je chante les Djerbiennes au rythme des tam-tams et tabalas. » (v.2et 3)

    À ce stade de l’analyse, nous apercevons que l’emploi du champ lexical de la musique n’est pas fortuit dans l’appréhension de la signifiance du texte poétique : « Inspire-moi » (v.1), « chante » (v.2), « au rythme des tam-tams et tabalas » (v.2 et 3), « la dance » (v.4), « pour rythmer leurs pas » (v.7), etc. La lecture devient alors une lecture herméneutique, c’est dire qu’au fur et à mesure que nous avançons dans l’analyse du poème, nous nous référons sans cesse aux éléments déjà vus/lus ; et cela modifie notre compréhension du texte. Chanter la beauté des Djerbiennes mérite une touche particulière, c’est pourquoi le poète demande à la déesse « Tanit la Tendre » de l’inspirer :

    Inspire-moi, Tanit la Tendre, Tanit la Tunisienne,

    Quand je chante les Djerbiennes au rythme des tam-

    tams et tabalas

    Nous pouvons alors dire que l’hypogramme participe à la lecture herméneutique du texte poétique en occurrence le texte poétique « LES DJERBIENNES » de Léopold Sédar Senghor. Cette lecture produit donc la signifiance.

     

     

    Chez Michael Riffaterre, le processus de construction de la signfiance s’opère à plusieurs niveaux. En ce qui concerne l’analyse de « LES DJERBIENNES » de Léopold Sédar Senghor, nous avons opté pour l’hypogramme. Bâti autour d’un « mot noyau », l’hypogramme participe à la lecture herméneutique du texte poétique. Et avec elle, ils produisent la signifiance. Les Djerbiennes, nous sûmes par l’hypogramme bâti autour de « Tendre », qu’elles sont à la fois grandes de taille et affectueuses. Ces deux aspects ou descriptions (physique et moral) ont ému Senghor à telle enseigne qu’il décide de les chanter. Cette étude nous a révélé qu’à partir d’un seul mot l’on peut saisir la signifiance d’un poème.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    LES DJERBIENNES

     

    Inspire-moi, Tanit la Tendre, Tanit la Tunisienne,

    Quand je chante les Djerbiennes au rythme des tam-

    tams et tabalas

    Les voilà entrant dans la danse, vases sveltes, un vase

    sur la tête altière.

    Les voilà longues lisses, les Djerbiennes à la tête d’or

    Et les hauts dieux d’ébène pour rythmer leurs pas.

    Les tam-tams dansent et les tabalas, les tam-tams sous

    Les mains d’ébène dur.

    Les voici de soie fine, les Djerbiennes, soyeuses et

    souples

    Et déroulant rythmée leur fuite frissonnante, gracieuse.

    Et montent les hosannahs dans la nuit bleue étoilée.

     

     



    [1]Léopold Sedar SENGHOR, « comme les lamantins vont boire la source », Éthiopiques(poèmes), Paris, Édition du Seuil,1964 et 1973,p.165 

    [2] Frantz FANON, Peau noire, masques blancs

    [3] Michael RIFFATERRE, La sémiotique de la poésie, Paris, Seuil, 1978

    [4] Le texte « LES DJERBIENNES » sera donné en annexe.

    [5] Extrait du résumé de son article « Contribution à une étude sémiotique du discours poétique, l’exemple de Les voix de l’aube de BabacarSall »


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