• A partir de la théorie de Daniel Delas et Jacques Filliolet, proposez une lecture du poème de Bernard Dadié je vous remercie mon dieu, sous l’angle de la poétique

     

     



     
     

     

     

     

     

     

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    BOUATENIN                                                                                                        

    Adou Valery Didier Placide                                                                         

     

     

     

     

                      La théorie de Daniel Delas et Jacques Filliolet se fonde sur la théorie de Ferdinand de Saussure et d’Emile Benveniste. Ferdinand de considère la langue comme «un système dont toutes les parties peuvent et doivent être considérées dans la solidarité synchronique »[1], c’est-à-dire la langue et un système dans lequel les signes par leur interdépendance sont chargés d’une valeur. Quant à Emile Benveniste, il considère la langue comme un discours, c’est-à-dire une actualisation individuelle de la langue. Ce qui implique une interdépendance des éléments linguistiques qui le constituent. En s’appuyant sur la théorie de ces deux linguistes, Daniel Delas et Jacques Filliolet définissent le texte poétique comme un ensemble de signifiants organisés en un système, mieux comme une « unité auto-fonctionnante»[2] en affirmant que c’est le lecteur qui donne sens au texte poétique et non l’auteur en étudiant les rapports que les signifiants établissent entre eux tout en intégrant les différents niveaux d’analyse qui convergent pour produire la signifiance ( le sens).

    À partir de la théorie de Daniel Delas et Jacques Filliolet, nous proposerons donc une lecture (possible) de Je vous remercie mon Dieu, un poème extrait de La ronde des jours de Bernard Dadié (1956). Il s’agira de nous interroger sur le fonctionnement du poème en mettant sa constitution linguistique en évidence. Et cette lecture est possible aux analyses structurales de la poésie, qui à la suite d’Émile Benveniste, considèrent le poème comme un système clos de signes.

     

     

     

                      Le premier contact avec le poème de Bernard Dadié donne l’impression que le texte est très compréhensif, accessible à tous. Un texte ponctué avec, semble-t-il, des mots qu’on a l’habitude de rencontrer. Le titre même du poème donne la simplicité du texte. Il est révélateur. En effet, il révèle la nature du poème : « Je vous remercie mon Dieu ». C’est une action de grâces. Ce titre est repris dans le poème comme un refrain donnant au texte poétique non seulement une allure de chant de louange, mais aussi une forme de cercle.

    Ce poème a, en effet, la forme d’un cercle. Il débute par « Je vous remercie mon Dieu, de m’avoir créé Noir, » et se termine par « Je vous remercie mon Dieu, de m’avoir créé Noir ». Cette forme cyclique qu’a le poème montre que le Noir est au début et à la fin de la création. Par lui commence le monde, par lui finit le monde. Le «  Noir » est omniprésent. Cela se voit par l’emploi emphatique de « m’avoir créé Noir ». Par cet emploi « le Noir » est mis en vedette, il est au centre de la création ; il a été créé avant tous les autres êtres. Par ce fait, le poème confirme la thèse qui fait de l’Afrique le berceau de l’humanité. Cette confirmation prend toute sa charge véridique dans l’emploi des groupes nominaux  suivants : « depuis le premier  matin », « depuis le premier soir », « depuis l’aube des temps » ; et par l’emploi de l’adjectif numéral ordinal « premier ». Le « Noir » est le premier des êtres. Et pour rechausser le « Noir », le poète procède par un emploi antithétique dans lequel il dit que la couleur blanche est éphémère tandis que la couleur noire est pérenne :

    Le blanc est une couleur de circonstance

    Le noir, la couleur de tous les jours.

    Et l’emploi des articles « une » et « la » n’est pas fortuit dans ce sens. En effet, l’article « une » est indéfini et l’article « la », défini. Employer « une couleur de circonstance » implique ce qui est provisoire, indéfini, c’est-à-dire « le blanc » est provisoire, sans valeur tandis que le « noir » est défini, durable et a une valeur. En d’autres mots, le Noir est incontournable. Il a de la valeur. Cette valeur s’appréhende dans la mission qui lui est assignée. Et la mission assignée est de « porter le monde sur sa tête », d’ « humer tout le vent du monde » par son nez, de « courir toutes les étapes du monde » avec ses jambes. En effet, chaque membre de son corps est fait pour être utile pour le monde. Sa physionomie n’est pas fortuite. Lorsqu’il présente une partie de son corps, il définit le rôle que cette partie joue. Ce fait est souligné par l’emploi des groupes nominaux « la forme de ma tête », « la forme de mon nez », « la formes de mes jambes », qui respectivement sont joints par d’autres groupes nominaux « faites pour porter le Monde », « qui doit humer tout le vent du Monde », « prêtes à courir toutes les étapes du Monde ». Cependant, le poète insiste sur le fait que le Noir est la pierre angulaire du Monde. En effet, le syntagme « porter le Monde » est employé de façon répétitive dans le texte à telle enseigne de dire qu’il constitue une métaphore obsédante chez le poète. Pour lui, la première mission assignée au Noir est celle de « porter le Monde ». Et cette insistance se saisit par l’emploi de la conjonction de coordination « et » en tête de vers constituant une sorte de parallélisme syntaxique.

    Et je porte le Monde depuis le premier matin.

    […]

    Et je porte le Monde depuis le premier soir.

    Au-delà de montrer que le Noir est incontournable, qu’il est à tous les niveaux de la création, le poète expose les souffrances endurées par ce dernier.

     

                      Les souffrances endurées par le Noir font de lui « la somme de toutes les douleurs ». Le poète affirme par la que le Noir est le résultat des douleurs. Par un emploi hyperbolique et additif, le poète montre qu’il a beaucoup souffert. En effet, par « trente-six épées ont transpercé mon cœur », « trente six baisers ont brûlé mon corps », l’on saisit un nombre indéfini et exagéré d’épées et de baisers qui ont transpercé ou brûlé le cœur ou le corps du Noir. C’est un emploi hyperbolique. Cet emploi hyperbolique est renforcé par des groupes nominaux tels « tous les calvaires », « tous les levants ». Dans ces groupes nominaux, l’on saisit l’exagération de la douleur ou des douleurs endurées par le Noir. Ces grandes douleurs seront additionnées dont le résultat est le Noir, lui le poète. Cette addition se perçoit dans l’emploi de la conjonction de coordination « et » en tête de vers de façon anaphorique pour insister sur le fait d’être « la somme de toutes les douleurs ».

    Et mon sang sur tous les calvaires a rougi la neige.

    Et mon sang à tous les levants a rougi la nature.

    Par cette addition, l’on voit que le Noir a tellement versé son « sang » pour porter « le Monde depuis l’aube des temps ». L’emploi des participes passés en témoignent pour le sang versé : « transpercé », « brûlé », « rougi » ; ce dernier participe passé est employé deux fois dans le poème impliquant ainsi une insistance sur la quantité de sang coulé sur la « neige » et dans « la nature ». Malgré les douleurs endurées, le poète dit son satisfecit.

     

                      C’est ce satisfecit qui fait de ce poème une action de grâces. Il remercie Dieu de l’avoir créé tel que tel. Le poète manifeste sa joie, son contentement, sa satisfaction d’être « créé Noir », d’être « la somme de toutes les douleurs ». La manifestation de sa satisfaction s’appréhende par l’emploi des adjectifs attributs « content », « satisfait », « heureux ». Ces adjectifs nous renseignent sur l’émotion du Noir, sur l’état d’âme du poète. Par ces adjectifs, nous croyons le poète se dit « content » de la forme de sa tête, de son nez, de ses jambes, de ses bras courts, de ses bras longs, de l’épaisseur de ses lèvres. Sous ces adjectifs attributs, se lit la fierté du poète d’être créé « Noir » et d’accomplir la mission qui lui est assignée, celle « de porter le Monde ».

    À la surprise de tous, croyant qu’il renoncera de manifester sa joie, le poète nous laisse entendre que malgré tout, malgré les difficultés, les douleurs subies ou endurées il est quand même content :

    Je suis quand même

    Content de porter le Monde…

    Ce qui attire notre attention c’est l’emploi de la locution adverbiale « quand même ». En effet, cette locution est employée pour insister, dans le poème, sur la satisfaction du poète malgré les pénibles épreuves qu’il a traversées. C’est donc l’une des raisons de plus de remercier Dieu de l’avoir créé Noir, de l’avoir permis d’être au commencement du Monde. Voilà ce qui fait du poème une action de grâces.

     

     

     

                      La lecture du poème Je vous remercie mon Dieu, à partir de Daniel Delas et de Jacques Filliolet, a révélé qu’on ne peut pas construire le sens d’un texte poétique en dehors du texte lui-même. C’est-à-dire que le sens du texte s’appréhende à partir des éléments qui composent le texte, parce que considéré comme un système clos. Pour dégager le sens du poème, nous avons convoqué la forme cyclique qu’a le poème, utilisé quelques notions grammaticales voire stylistiques. Cela nous a été permis grâce à la théorie de Delas et de Filliolet, qui veut que l’analyse du texte poétique se mène sur divers plans (syntaxique, stylistique, sonore,…). Cette lecture nous a donc permis de savoir qu’il s’agit d’une action de grâce dans laquelle le poète dit sa fierté d’être Noir. Nous pouvons dire que Je vous remercie mon Dieu est empreint indélébile de la négritude. UUUU



    [1] Ferdinand de SAUSSURE, Cours  de Linguistique Générale

    [2] Daniel DELAS et Jacques FILLIOLET, Linguistique et Poétique


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