• Silences coupables…

                Voici une œuvre, celle de Moïse Karim.

                Moïse Karim, j’ai ri, et sur un ton de plaisanterie j’ai demandé si ce n’est pas le Moïse qui a conduit le peuple Hébreu de l’Égypte ; si ce n’est pas le sauveur du peuple Hébreu de la servitude égyptienne. Et nous avons ri. Et pourtant Moïse Karim est notre Moïse des temps modernes. Il nous libère de nos servitudes, de nos « silences » qui sont « coupables ». De son bâton « Silences coupables », il prend la tête du peuple en marche pour dire ce qu’il sait en invitant les autres à faire de même. Il guide le peuple Ivoirien, et à travers lui l’humanité. Pourquoi Silences coupables ?

    Composé d’un nom pluriel (Silences) et d’un adjectif qualificatif (coupables) et suivi de points de suspension, le titre de son œuvre nous a interpellés. C’est pourquoi nous avons décidé de partager ce que nous savons, car nous taire deviendra pour nous des « Silences coupables » interminables.

                Silence, c’est l’absence de bruit ; c’est aussi le fait de se taire, de ne pas parler (de ne pas s’exprimer). Nous pouvons dire que « silence », c’est garder ce qu’on sait dans le cœur et s’abstenir de le dire quel que soit le prix à payer. Mieux, c’est mettre une « croix » aux choses sues et ne plus en parler, mettre un terme définitif, réduire au néant… N’est-ce pas notre refus de dire ce que nous savons qui est coupable ?

    L’adjectif « coupable » désigne une personne qui a commis une faute, un crime…On dit aussi des sentiments, des pensées qu’ils sont coupables, parce que condamnables ; or on condamne celui ou celle qui a commis une faute. Le fait de ne point s’exprimer est considéré comme une faute, donc condamnable. Que dit le titre de l’œuvre de Moïse Karim ?

    Lorsque nous prenons l’écriture de « Silences », nous constatons qu’au lieu de « i » nous avons une croix. La croix est le symbole de l’affliction, du calvaire, de l’épreuve, du tourment. Si vous voulez la croix est le gibet fait d'un poteau coupé par une traverse et sur lequel on attachait des condamnés pour les faire mourir. Le titre de l’œuvre sous-entend que le fait de se taire est comme une sorte de fautes, de calvaire pour nous et pour les autres, que nous devons crucifier à la croix pour notre salut. Quant à l’écriture de « coupables », nous avons un cœur au lieu de « o » pour dire que les silences dont il est question sont les silences de notre cœur. Or le cœur est l’organe vital de l’homme, le siège des sentiments. C’est dans le cœur que tout homme prémédite et médite, enfouit ses peines, sa joie… Le fait de refuser le cœur d’exprimer ses sentiments est d’un lourd fardeau à supporter. Le refus de s’exprimer, de s’ouvrir (car silence, c’est aussi isolement, enfermement) est un crime condamnable, voire un péché. Et ce péché nous devons le porter à la croix, d’où la grande croix séparant « silences » et « coupables ». Nous taire, c’est donc mettre des obstacles à notre épanouissement, à notre éclosion intellectuelle et spirituelle. Insistons sur « l’éclosion spirituelle », car Moïse Karim est un prêtre.

                Il oriente ses nouvelles vers l’éclosion spirituelle des hommes, d’où les points de suspension, pour dire une continuité (vers). Ce n’est pas fortuit si nous avons employé « éclosion ». En effet, de la couleur dominante (marron) nous avons un jaune orangé comme le jaune d’œuf. Ce jaune orangé peut être interprété comme une lumière surgissant de l’obscurité pour éclairer (l’aurore) …Assez de symboles se dégageant de la première page de couverture. Ici retenons que le jaune orangé est le jaune d’œuf pour insister sur la re-naissance, l’éclosion. Car c’est le jaune d’œuf qui porte les germes de l’embryon du fœtus, de la naissance. En déposant nos « silences coupables » au pied de la croix « chrétienne » c’est accepter de ré-naitre, accepter l’éclosion spirituelle, car « la croix est la vraie épreuve de la foi, le vrai fondement de l'espérance, le parfait épurement de la charité, en un mot le chemin du ciel; Jésus-Christ est mort à la croix, il a porté sa croix toute sa vie; c'est à la croix qu'il veut qu'on le suive, et il met la vie éternelle à ce prix (…) »[1]. Ne taisons pas nos sentiments devant la croix qui porte nos souffrances, car le faire c’est être donc des coupables.

    BONNE LECTURE !

     

    BOUATENIN Adou

    Un lecteur-critique



    [1] Bossuet, Discours sur l'Histoire universelle, ii, 19


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  • ANALYSE DU THÈME PASTORAL 2013-2014

     

     

    En cette année, des défis sacrificiels nous attendent.

     

                C’est le 22 juin 2013 en la paroisse Saint Esprit de Mockeyville, à Grand-Bassam que Monseigneur Raymond AHOUA a annoncé le thème de l’année pastorale 2013-2014 : « Dans l’unité et dans l’espérance, construisons notre Église. » C’est un thème riche de sens à telle enseigne que nous ne pouvons pas rester indifférents. Il nous faillait partager la signification de ce thème qui nous est un appel impératif, qui de la singularité, de l’individualité à la pluralité et à l’universalité, nous interpelle pour la construction de notre Église, en tant que communauté, en tant qu’édifice. Les lignes qui suivent essayeront de mettre en lumière les contours de ce thème pour nous orienter, et nous permettre de mieux le vivre enfin de relever les défis qui s’annoncent, et qui semblent être sacrificiels. Pour notre analyse, nous nous attarderons sur « l’unité », « l’espérance » et « construisons ». Ces mots seront le leitmotiv de notre analyse.

                 « Dans l’unité et l’espérance, construisons notre Église », de cette phrase bi-significative en découlent deux propositions. La première proposition : «  Dans l’unité, construisons notre Église », et la seconde : « Dans l’espérance, construisons notre Église ». Nous faisons ce découpage propositionnel dans le but d’« aiser » le cheminement de notre réflexion. En effet, nous avons une conjonction de coordination (et) reliant « l’unité » à « l’espérance », or ces deux mots renferment en eux deux idées différentes. C’est-à-dire que « l’unité » diffère de « l’espérance ». D’où les propositions susmentionnées. Ces deux idées coordonnées sont mises en apposé par l’emploi de la virgule (,), et influencent le verbe « construisons », conjugué à l’impératif présent de l’indicatif. Le tout est donc introduit par une préposition de lieu (dans). Cette préposition désigne ici, c’est-à-dire son emploi dans le thème, une situation, un état, une disposition où une personne quelconque occupe, est, se trouve….pour dire qu’en cette année, l’évêque et le diocèse veulent voir ses chrétiens unis et espérants. « L’unité » et « l’espérance » sont la situation, l’état, la disposition dans lequel/ laquelle doivent se trouver les chrétiens en cette année.

                 « L’unité » est le caractère de ce qui est un, singulier. Parler de l’unité revient à parler de la pluralité, de l’universalité en un, c’est-à-dire que plusieurs personnes venant d’origines différentes décident de mettre leurs capacités, leurs dons, leurs projets ensemble pour un seul but, un seul objectif, celui du groupe. L’unité, c’est « tous pour un ; un pour tous », pour reprendre le slogan de D’Artagnan et les trois Mousquetaires. L’unité implique alors que nous partons de la singularité, de l’individualité pour aboutir à la pluralité, à l’universalité en un. En d’autres mots, que l’individu singleton met au profit de la communauté ses capacités intellectuelles, physiques, morales, financières, etc.…. Pour qu’il y ait « unité », il faut plusieurs personnes et que les idéaux personnels convergent vers le même but, ou l’objectif doit être commun à ces plusieurs personnes décidées de s’unir. Être chrétien, c’est décider d’être avec d’autres personnes qui ont décidé de suivre le Christ. C’est dire que le Christ est ce que les chrétiens ont de commun. Pour le Christ, nous sommes un ; d’où l’unité (1 Corinthiens 12,12-27). L’unité de l’année pastorale 2013-2014 est un rappel du thème de l’année pastorale précédente. Nous devrons nous unir ; nous devrons être un. Cependant, l’objectif commun en cette année pastorale est la construction de « notre Église », notre maison. Notre maison, avons-nous dit ; et bien, parce qu’il s’agit de la maison de toi, de moi, de lui, d’elle, et de nous et de vous ; parce que c’est « notre maison ». Vous voyez que l’adjectif possessif « notre » n’est pas d’un emploi fortuit, car il implique la possession d’une chose, d’un être par plusieurs personnes. La chose possédée par l’ensemble des chrétiens de Grand-Bassam est bien sûr l’Église, surtout sa construction. Ce n’est plus l’affaire d’une seule personne mais de tous. Même si c’est l’affaire d’une seule personne, parce que c’est elle l’argentier ; elle a au moins besoin des apports des autres. Et lorsqu’il y a apports des autres, on ne parle plus de la singularité, de l’individualité mais de la pluralité, de l’universalité, de la communauté, en un mot de l’unité. Extirpons donc nos préjugés, de notre singularité pour nous mettre ensemble afin de construire « notre Église ».

                 « L’espérance » est le caractère de ce qui est « espérer » ou autrement est l’action d’espérer. Nous ne parlons pas d’espoir, car « l’espoir » s’inscrit dans le quotidien humain, matériel…, or l’espérance, c’est sa dimension eschatologique qui est mise en évidence ici. Certes, le diocèse a l’espoir en les apports de tout un chacun de nous pour la construction de notre Église ; mais ce que veut susciter l’évêque, c’est croire que l’Église est déjà construite même si ce n’est pas le cas au moment où nous analysons ce thème. Croire que notre 2glise est construite relève de l’espérance, et de l’espérance la foi (Hébreux 11). Notre 2glise, notre communauté, notre maison de prière n’est plus un mythe mais une réalité voire une espérance ; parce que les chrétiens de Grand-Bassam ont décidé de conjuguer l’effort individuel en un pour bâtir la maison commune, notre communauté visible. Croire que notre Église est construite relève de l’action, de la participation de tous car « la foi sans les œuvres est une foi morte » (Jacques 2,17). Espérer, c’est posséder, avoir déjà ce qu’on projette posséder ou avoir. Depuis des années, les chrétiens de Grand-Bassam ont voulu de tout leur cœur posséder une cathédrale digne de l’histoire de leur diocèse et à la statuaire de leur foi ; mais aujourd’hui nous avons cette Église non imaginaire, réelle qui sort de la terre à la place Saint Esprit de Mockeyville de Grand-Bassam. La Cathédrale est visible, palpable, et elle se construit devant nous, sous nos yeux grâce à l’unité de notre effort. Certains chrétiens ont voulu toute leur vie toucher  cette Église mais sont allés sans jamais la toucher ; mais ils avaient dans leur cœur la certitude qu’elle était là devant eux. Pour cela ils ont donné de tout d’eux pour la construction de l’Église. C’est cela l’espérance ; croire qu’on a déjà ce qu’on veut et se donner de tout pour ce qu’on veut. Croire que cela est possible et sans chercher à philosopher sur l’existence de Dieu, et se donner les moyens pour réaliser cela, relève de l’espérance. C’est donc de cette espérance que le diocèse attend des chrétiens en cette année.

                C’est avec « construisons » que nous parlerons de l’impératif. En effet, « construisons » est conjugué à l’impératif présent de l’indicatif impliquant non pas un ordre mais une obligation, un devoir. « Construisons notre Église » devient une obligation, un devoir pour nous. D’ailleurs « construire » est un verbe d’action demandant des efforts, que chacun se meut, bouge… Un ordre est discutable et refusable or une obligation implique une contrainte personnelle voire impersonnelle. Qu’il neige, qu’il vente, qu’il pleut, qu’il « soleille », il faut que « notre Église » soit construite en cette année. C’est un impératif, une nécessité obligatoire pour nous, et cela s’impose, quel que soit le cours des événements, nous devons construire notre Église. C’est pourquoi à l’entrée du jeu nous avons dit que les défis semblent être des défis sacrificiels. Chacun de nous doit se sacrifier, sacrifier sa singularité, son individualité pour l’ensemble, pour la pluralité, pour l’universalité afin de construire « notre Église » dans l’unité et l’espérance. Oui chacun doit se sacrifier, donner tout de lui, s’il veut voir construire « notre Église », la maison de tout un chacun. Et le diocèse demandera en cette année le sacrifice, le don total de tout un chacun car « la foi sans les œuvres est une foi morte ». Notre Église sera le témoignage de notre espérance, de notre foi et de l’ampleur notre unité, chrétiens de Grand-Bassam.

    Ceci est donc une analyse du thème pastorale 2013-2014, le samedi 28 septembre 2013 en la paroisse Saint Esprit de Mockeyville, l’évêque nous attend pour nous donner les orientations et les perspectives de ce thème. Soyons donc tous présents pour mieux appréhender ce thème, riche en signification.

     

    BOUATENIN Adou


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    UNIVERSITÉ FÉLIX HOUPHOUËT BOIGNY

    U.F.R LANGUES, LITTÉRATURES ET CIVILISATION

    Département de Lettres Modernes

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     
       

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    (Travail de maison)

    Théorie du Roman

    UE : HTG 6401/ ECU : HTG 6401.2

    Master 1

     

     

     

     

    Présenté par :                                                                                  Chargé du cours :

    BOUATENIN Adou Valery Didier Placide                                 Professeur Adama

                                                                                                              COULIBALY,

                                                                                                               Maître de Conférence

                                                                          

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Année universitaire

    2012-2013

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     LES ASPECTS CARNAVALESQUES DANS LE ROMAN DE PAULINE DE CALIXTHE BEYALA

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    (Travail de maison)

    Théorie du Roman

    UE : HTG 6401/ ECU : HTG 6401.2

    Master 1

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    UNIVERSITÉ FÉLIX HOUPHOUËT BOIGNY

    U.F.R LANGUES, LITTÉRATURES ET CIVILISATION

    Département de Lettres Modernes

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     
       

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    (Travail de maison)

    Théorie du Roman

    UE : HTG 6401/ ECU : HTG 6401.2

    Master 1

     

     

     

     

    Présenté par :                                                                                  Chargé du cours :

    BOUATENIN Adou Valery Didier Placide                                 Professeur Adama

                                                                                                             COULIBALY,

                                                                               Maître de Conférence

                                                                          

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Année universitaire

    2012-2013

    SOMMAIRE

     

     

     

     

    Introduction                                                                                                             pp.3-4

     

     

     

    I-                  Le roman de pauline et l’inversion des valeurs                                            pp.5-9

     

     

     

    II-               Le roman de pauline et la vulgarité des propos                                            pp.10-13

     

     

     

    III-            Le roman de pauline et l’humour                                                                 pp.14-17

     

     

     

    Conclusion                                                                                                               p.18

     

     

     

    Bibliographie                                                                                                            pp.19-20

     

     

     

    Table des matières                                                                                                    p.21

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    INTRODUCTION

     

     

                Le Roman de Pauline est le dernier livre de Calixthe Beyala. Ce livre raconte la vie de Pauline, une adolescente métisse élevée à Pantin, en banlieue parisienne. C’est une sorte d’autobiographie, car c’est Pauline qui raconte sa vie dans un langage vulgaire et sans tabou. C’est une fille hors convenance sociale et morale.

    « Le Roman de Pauline est un roman inclassable : ni un roman d’apprentissage, ni un roman d’amour, ni un roman sur les relations mères-filles et sans doute un peu les trois à la fois. », nous dit Nadège Badina en présentant le livre de Calixthe Beyala sur evene.fr[1]. Paru aux Éditions Albin Michel en 2009 en livre de poche,  Le Roman de Pauline  « aborde un thème quasi inédit dans la littérature française, celui de l’adolescente de la jeunesse noire de banlieue […] », enchérit Paul Yange sur Grioo.com[2]. Toute les critiques portées sur Le Roman de Pauline dès sa parution sont excellentes, et nous disent que Calixthe Beyala adopte « un style baroque d’intuitions tranchantes, balayé de ses éclairs de lumière qui tombent de la boule d’ambiance. » (Claude Imbert,  Le Point)[3]. Notre lecture de cette œuvre nous fait dire que le style de Calixthe Beyala est plutôt carnavalesque. Il s’agira donc pour nous de montrer que  Le Roman de Pauline est un roman carnavalesque. Qu’est-ce que le carnavalesque ? Quels sont les aspects carnavalesques d’une œuvre romanesque ?

    « Le carnavalesque que procédé littéraire bien connu et pourtant difficile à définir à. Dans son acceptation littéraire la plus courante, le carnavalesque désigne une inversion temporaire des hiérarchies et, par conséquence des valeurs »[4]. Nous devons la théorie de la carnavalisation à Mikhaïl Bakhtine. En effet, cette théorie prend naissance, à vrai dire, dans Problèmes de la poétique de Dostoïevski en 1970 mais se théorise dans le même année avec L’œuvre de Français Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance. Pour Bakhtine, la carnavalisation se repose sur le grotesque, l’humour, la grossièreté car « le langage carnavalesque regorge d’injures et de grossièreté. [Et] chacun doit pouvoir s’exprimer, peu importe son statut ou sa capacité à parler le français officiel. »[5]. Cette théorie, surtout les œuvres de Mikhaïl Bakhtine, est vulgarisée par Julia Kristeva en Europe (en France). Et de ce fait, elle deviendra une théorie incontournable dans l’approche critique du roman, et sans doute du théâtre.

    En littérature, le carnavalesque implique un renversement ludique et délirant des hiérarchies de valeurs, grâce notamment à l’emploi d’un comique corrosif, vulgaire et grotesque. Pour appréhender le carnavalesque, notre choix est porté sur Le Roman de Pauline de Calixte Beyala, car après lecture, nous avons constaté « que Calixthe Beyala restitue avec humour, tendresse et liberté »[6] l’itinéraire de Pauline, tenant des propos grossiers dans un langage familier choquant parfois les valeurs morales et sociales. Sous la langue de Pauline et ses amis, les mots sont dénudés ; les adultes censés inculquer les bonnes manières aux adolescents sont ceux qui « foutent la merde ». C’est donc le désordre à Pantin (Banlieue parisienne, et non une personne influençable et versatile).

    De ce fait, pouvons-nous confirmer que Le Roman de Pauline relève-t-elle du carnavalesque ? Si tel est le cas, quels sont les aspects carnavalesques propres à Le Roman de Pauline de Calixthe Beyala ?

    Y répondre revient à relever dans l’œuvre les éléments qui justifient le caractère carnavalesque de Le Roman de Pauline. Ce qui nous amène à mettre en évidence le caractère inversif des valeurs, le caractère vulgaire des propos tenus, et le caractère humoristique. Ces éléments susmentionnés constitueront les différents axes de notre analyse.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    I-                 LE ROMAN DE PAULINE ET L’INVERSION DES VALEURS

     

     

                À Pantin, « [la population est convaincue] que tout le monde doit se plier à [leurs] désirs, parce que la société a été injuste avec [leurs] parents et que ce n’est que justice si [elle bafoue] les règles et [emmerde] tout le monde. (Elle nique tout, crache sur tout], et c’est normal parce qu’[elle est] de la banlieue » (Le Roman de Pauline, p.174)[7]. Voici planter le décor dans lequel baigne Le Roman de Pauline. Nous constatons qu’à Pantin, c’est un monde en dessous et en dessus ; pas de règles de conduite, c’est la bassesse, aucune avaleur en est respectée, chacun fait ce qui lui semble bon, et personne n’ose en parler. C’est vrai qu’ à Pantin il « est plus facile de gifler une nana que de lui dire je t’aime, plus facile de la violer que de lui dire je t’aime, plus facile d’aller lui cueillir des étoiles que de lui dire je t’aime » (p.26), plus facile de braquer une banque sans être dénoncé que de «griller les feux tricolores". L’on ne sait pas si à Pantin, « …c’est l’œil qui prend la décision de capter telle image ou telle image ou bien  […] c’est le cerveau en quête d’excitation nerveuse qui lui en intime l’ordre » (p.149), parce que les Pantinois agissent comme si rien n’était ; comme leur quotidien est le plus normal ; car ce qui est normal à Pantin, c’est ce qui est contre la morale et la société. Pantin est un monde en envers.

     

    1-     L’inversion des valeurs morales

     

     

                Lorsque nous parlons des valeurs morales, nous faisons allusion au bon sens, à la conduite, à ce qui normal. Ce qui est normal, c’est que les adultes sont censés donner des conseils à leurs enfants ; ce qui est normal, c’est que « l’obéissance aux lois est liberté »[8]. À Pantin les adultes ont des relations sexuelles avec les jeunes ; l’on fait l’amour où l’on veut pourvu qu’on se satisfasse. C’est la bassesse morale, la déchéance totale de l’éthique à Pantin. Dans les rues, les adultes n’ont pas honte de se promener bras en dessous et en dessus avec les jeunes filles.

          Une jeune fille entalonnée déambule au côté d’un grand roux barbu. « Merde ma femme », chuchote-t-il en s’écartant de la jeune fille qui s’éloigne en riant. (p.113)

    C’est aussi avoir des relations sexuelles avec l’amie de son fils. C’est l’exemple de Pégase ; il a eu des rapports sexuels avec Pauline, sache bien qu’elle est la petite amie de son fils Nicolas.

          Mon propre père baise ma copine […]

    T’as aucun conseil à me donner après ce que tu viens de faire. (p.172)

    On ne comprend pas l’attitude des adultes ; pour le comprendre, il faut se situer dans un carnaval. C’est dans un carnaval qu’on agisse de la sorte parce que « tous les éléments étaient considérés comme égaux, [il] régnait une forme particulière de contacts libres, familiers entre des individus séparés dans la vie normale par des barrières infranchissables que constituaient leur condition, leur fortune, leur emploi, leur emploi, leur âge et leur situation de famille. »[9]

    Pégase, « ce vieillard de seize ans », l’aîné de Pauline, dit à cette dernière qu’elle soit sa maîtresse, ne sait pas qu’il est irresponsable, mais s’agissant de « servir un gin tonic » (p.166) à Pauline, il sait qu’il est responsable, et qu’  « il y a des domaines dans lesquels une fille de quinze ans reste quand même une enfant » (p.167). L’attitude antithétique de Pégase est en deçà de la morale. Un moment l’on se libère des principes moraux pour se situer à la bassesse de la morale ; un moment l’on inverse temporairement les valeurs morales pour « la bêtise humaine.»[10] Ceci est le propre de la carnavalisation littéraire.

          Dans son acceptation littéraire la plus courante, le carnavalesque désigne une inversion temporaire des hiérarchies et, par conséquence des valeurs.[11]

    C’est cette inversion temporaire des valeurs, peut-être, qui fait que Pauline, consciente de ce qu’elle fait, se déshabille et se laisse « baiser » par Pégase.

          Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à enlever, que nous soyons aussi nus que les paumes de nos mains, un homme et une femme, le mâle quelque peu vieillot et la femelle un brin encore immature dans sa constitution. […] Mon désir pour lui est aussi limpide que les raisons pour lesquelles j’ai  aimé son fils sont obscures. […] Je flotte hors du temps, me libère de la peur, de l’angoisse. Je ne veux pas revenir à la réalité de cet univers froid où mon avenir est si incertain, si grelottant. (p.114)

    De cet extrait, nous constatons que Pauline quitte la réalité, laisse le bon sens pour se satisfaire. Elle laisse donc la vie réelle avec ses barrières morales pour « la seconde vie ». « Dans le silence de la chambre » de Pégase, les lois morales sont abolies, Pauline et Pégase peuvent ‘se dépouiller de tous les artifices que la société [leur] impose pour définir l’égal de l’autre. »[12] Nous pensons que ces quelques exemples pris ici et là suffisent pour mettre en évidence les tensions des individus avec leur sentiment, leur moral. Les personnages de Le Roman de Pauline agissent comme s’ils étaient dans un carnaval (p.171), comme dans une « fête foraine » (p.76 et 131) ; en plus à Pantin, l’on hait la vertu et les personnes vertueuses, tel le cas de Lou, méprisée par ses camarades de classe (p.30).

          S’il est une chose au monde qui a un pouvoir destructeur potentiellement supérieur au vice, c’est bien la vertu. (p.29)

    De cet extrait, nous apprenons que pour vivre heureux et sans problème à Pantin, c’est être en marge de la société, de la morale, de la vertu… C’est donc se comporter bizarrement, car la vertu est signe de folie à Pantin.

          Je n’ai pas envie de lui expliquer qu’il y a en banlieue une manière de se comporter et de parler qui donne son sens à la couleur de sa peau, à sa condition sociale… (p.30)

    Nous concluons cette sous partie avec cet extrait pour aborder l’autre sous partie qui est l’inversion des valeurs sociales.

     

    2-    L’inversion des valeurs sociales

     

     

                La société perd ses repères, les enfants tiennent tête à leurs parents : « Mais la prochaine fois qu’il te prendra l’envie de me frapper, je ne te laisserai peut-être pas faire » (p.54) ; ainsi va la vie à Pantin. Une société en désordre ; une société ou la politesse est le dernier souci de la jeunesse : « Les jeunes d’aujourd’hui ne respectent plus personnes. T’as vu, Pauline, ce gamin m’a bousculée pour passer. » (p.150) Voici la trame de cette sous partie : l’irrespect des valeurs sociales. L’inversion des valeurs sociales consiste à bafouer les règles sociales pour se fixer ses propres règles. À Pantin, on se permet de tout faire ; c’est la liberté exagérée comme dans un carnaval. Et cette liberté exagérée est mise en évidence par Pauline. En classe, elle se maquille croyant sans doute être chez elle, à la maison.

    -          Pauline, hurle M. Denisot, nous ne sommes pas dans un salon de beauté. Si vous voulez vous maquiller, vous n’avez qu’à sortir.

    -          Mes lèvres sont desséchés, alors…. (p.33)

    De cet extrait, nous voyons  que chez Pauline, il n’y a pas de limites. C’est donc tout à fait normal ou naturel qu’elle se repeint les lèvres, parce qu’elles sont desséchées. En plus, elle conteste M. Denisot lorsqu’il lui dit de sortir. Pour elle, cela est injuste car elle n’a rien fait de grave, selon elle, qui mérite d’être au dehors.

    -          Moi ? Pourquoi moi ? J’ai pas dit un seul mot depuis que nous sommes entrés. Alors que les autres n’arrêtent pas de foutre le bordel. Vous ne m’aimez pas , n’est-ce pas ? (p.33)

    Elle a trouvé le prétexte pour culpabiliser M. Denisot : « Vous ne m’aimez pas, n’est-ce pas ? » ; ce qui sous-entend que M. Denisot est un raciste, parce qu’elle est noire. C’est un coup de théâtre, l’astuce magistral ; elle renverse les données pour que cela soit de sa faveur ; le scenario classique, elle, une bonne fille, juste, et M. Denisot, injuste, mauvais, raciste. Finalement, elle reste en classe. Ceci n’est pas notre affaire, ce qui nous intéresse et le fait qu’elle se maquille en classe. La classe n’est pas le lieu pour se maquiller, le faire donc c’est inverser les valeurs de la société, car une société civilisée veut que la classe soit faite pour les études, et que la maison ou le salon de coiffure soit pour le maquillage.

    Nous avons dit, ce qui est anormal est normal à Pantin. En effet le fait de voler est normal puisqu’on ne dénonce pas le voleur. Cependant, il y a des limites qu’il ne faut pas franchir. On ne vole pas les habitants de Pantin lorsque on est à Pantin, mais lorsque on le fait, on n’est pas dénoncé : « on ne fait pas ce genre de coup aux habitants du quartier » (p.66) tout le monde savait que le voleur de mademoiselle Mathilde était Moussa, que les braqueurs de la banque étaient Fabien et Nicolas, mais personne n’osait dénoncer les truands, les voleurs, parce que c’est normal de voleur. Pauline reçoit une gifle de Nicolas, parce qu’elle s’est mêlée dans les affaires de mecs en prenant la clé à Moussa pour la remettre à mademoiselle Mathilde.

    De ces quelques exemples nous pouvons ajouter l’attitude de Lou qui trouve que sa mère « l’éduque bizarrement » alors que cette dernière pense lui apprendre « les bonnes manières » (p.96). Elle a « ras le bol d’être toujours à la maison » (p.132) pour être une « bibliothèque » (p.21). L’inversion des valeurs morales, c’est aussi des gosses qui fument, qui se droguent (p.24), des jeunes filles qui acceptent d’être "baisées" « en échange de quelques euros qu’Ousmane, le propriétaire du Sanctuaire, encaisse » (p.131). Vraiment le renversement des valeurs sociales peut nous amener à nous demander « c’est carnaval aujourd’hui ? » (p.132) En effet, « le renversement des valeurs s’opère ici en ce qui a trait à la différence entre le bien et le mal, par rapport à ce qu’on considère comme étant bon ou mauvais »[13], et les personnages de Le Roman de Pauline bousculent tout ou renversent tout tant dans leur vie vécue que dans leur idéologie du quotidien. Ces différents aspects font de l’œuvre une œuvre carnavalesque. Ce caractère carnavalesque de Le Roman de Pauline est le fait que « …presque toutes les scènes et les événements de la vie réelle, représentés le plus souvent de manière naturaliste, [laissent] entrevoir la place de carnaval.»[14] De ce fait, sans transition, nous abordons la vulgarité des propos des personnages.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    II-             LE ROMAN DE PAULINE ET LA VULGARITÉ DES PROPOS

     

     

                Dans Le Roman de Pauline, il est impossible de ne pas remarquer la brutalité et la cruauté qui caractérisent tous les gestes et les paroles des personnages. En effet, les personnages, tous et sans exception, s’expriment grossièrement et dans un langage familier, voire parfois, tenant des propos injurieux. Les propos vulgaires tenus par les personnages ont le trait d’une langue carnavalesque, car «  la langue carnavalesque regorge d’injures et grossièretés. »[15] Les personnages s’expriment librement, affirment ce qu’ils pensent sans gêne, car avec la langue carnavalesque « chacun doit pouvoir s’exprimer, peu importe son statut ou sa capacité à parler le français officiel.»[16] Sans s’attarder sur les spéculations dénudées de sens, revenons sur l’œuvre de Calixthe Beyala pour appréhender mieux la vulgarité des propos. Nous le saisirons à travers l’emploi de la langue familière, et des injures grossières.

     

    1-     L’emploi de la langue familière

     

     

                « Que c’est joli ça, " enquiquiner", ai-je pensé. C’est vraiment chou comme tout. "Enquiquiner". Il faudrait que j’utilise ce mot. " Faire chier" est vulgaire, grossier, ça fait langage de rue, mais "enquiquiner" est imagé, distingué, élégant, on se croirait dans un téléfilm en costume. » (p.31), affirme Pauline qui ne sait pas que « faire chier » et «  enquiquiner » sont du même registre langagier : le registre familier, la langue de la rue, le « langage si familier de la rue » (p.141). En effet, les personnages emploient des mots usités voire familiers qui désacralisent leur statut (p.141), car « ce qui compte, c’est la libre circulation des paroles et des idées »[17] pour se faire comprendre. En parcourant l’œuvre, Le Roman de Pauline, l’on rencontrera au cours de sa lecture des mots tels « chier » (p.31), « mauviette » (p.24), « gonzesse » (p.34), « bordel » (p.55), « taule » (p.59), « trouillarde » (p.59), « mon pote » (p.100), « fric » (p.117), « sales cons ! » (p.141), « cafarder, petite conne, pute » (p.143) etc. ; et des phrases de type « j’ai besoin de repas, vu ? » (p.9), « […] des hommes qui bouffaient son salaire » (p.10), « j’ai envie de faire pipi » (p.40), « ne me dis pas que tu en pinces encore pour Nicolas, parce qu’il kiffe pas mal Adélaïde… » (p.89), « j’ai petit déj… » (p.89), etc. Ce type de langage est pour les jeunes, les adolescents, et les adultes sont obligés de parler comme eux pour se faire comprendre, tel est le cas de mademoiselle Mathilde (p.174). Souvent, par moment donné, l’on corrige les propos tenus par les jeunes.

    -          No, madame, l’école me faisait chier

    -          On dit « l’école m’ennuyait », m’interrompt-elle. « Chier » est un mot vulgaire, surtout venant de la bouche d’une aussi jolie fille que toi. (p.94)

    Ou

    -          Dites toujours.

    -          On dit « je vous écoute, madame. »

    -          D’accord, madame. Je vous écoute, madame

    -          Bien Pauline. (p152)

    Dans ces deux extraits, nous voyons que l’interlocuteur de Pauline essaie de la ramener à la norme langagière ; et ces passages sont les seuls dans l’œuvre où l’on trouve que la langue est réhabilitée par les interlocuteurs. Vu l’espace entre ces deux passages et leur brièveté, l’on suppose que la langue de rue engloutit ou submerge la langue soutenue ou la langue courante.

    L’emploi de la langue familière, c’est aussi la déconstruction syntaxique des phrases employées. Ce sont des phrases, parfois, employées sans sujet grammatical : « t’es dégoutante » (p.8), « T’approches plus de ma fiancée, t’entends ? Salope ! » (p.30), « T’as peur ? » (p.142) ou des phrases privées de l’adverbe de négation "ne" : « sais pas » (p.127), « Et c’est pas bien ? » (p.127), etc.

    L’emploi de la langue familière carnavalise Le Roman de Pauline, car la carnavalisation de la littérature est le « processus par lequel la culture populaire pénètre et imprègne la culture sérieuse », c’est-à-dire que tous les discours de la culture populaire côtoient tous les discours officielle. On assiste dans, Le Roman de Pauline, à un mélange de discours, mais également à un mélange de source. Calixthe Beyala utilise autant de mots familiers que de mots archaïques, désuets, or « la narration carnavalesque est généralement une hybridation textuelle, un mélange de plusieurs styles (haut et bas), de plusieurs tons sérieux et comiques, d’insertions de lettres, de citations, de dialogues reconstitués, de parodies »[18]. Donc Le Roman de Pauline obéit à la narration carnavalesque. Ce qui sous-entend que l’œuvre de Calixthe Beyala est une œuvre carnavalesque. Cependant en deçà de l’emploi de la langue familière se dévoile un langage injurieux et grossier.

     

    2-    L’emploi des injures grossières

     

     

                À Pantin, tout le monde injure tout le monde. C’est une manière d’exprimer leur sentiment, et cette manière est une sorte de violence, voire une violence verbale, pourrons-nous dire. Dans Le Roman de Pauline, « l’injure est bien présente comme une violence qui est faite au monde en ordre, à la société conformiste. »[19] Si l’injure peut passer par un geste, un regard, un silence, bref par d’autres voix/voies, il est cependant évident que la plupart des injures passent par des mots grossiers chez Calixthe Beyala dans Le Roman de Pauline. Ces injures participent, comme la fête ou le carnaval, d’un espace de liberté, d’un instant de refoulement, de relâchement. Tel est le cas des deux prostituées dévisagées par Pauline (p.143). la conversation qu’elles auront avec Pauline est à la mesure d’une provocation dans laquelle chacune est l’offensive.

    -          Qu’est-ce que tu as à nous dévisager, hein ? me demande l’une d’elles en avançant ses grosses lèvres peintes d’un orange vif

    -          Tu veux une photo ?demande l’autre en battant des cils

    -          Je fais déjà des cauchemars, dis-je. Non, sans façon.

    -          Répète ce que tu viens de dire, font elles en s’approchant

    -          Oh, rien. Je vous trouvais héroïques, c’est tout

    -          Écoutez-moi ça ! Elle nous trouve héroïques. Et pourquoi donc ?

    -          Parce que vous permettez aux mecs de moins cafarder, c’est héroïque, je trouve.

    -          Fiche le camp, petite conne, crient-elles. Remue ton sale cul ! Bouge ton putain de derrière. Héroïque ! Héroïque ! (p.143)

    De cet extrait, nous apprenons que Pauline dévisage les prostituées, son regard est provocateur et indiscret à telle enseigne que l’une des prostituée ose lui demander qu’est-ce qu’elle a à leur regarder de la sorte. Et à la suite de l’échange et sous l’effet de la colère viendront les injures telles que « petite conne », « sale cul ». Nous ne devenons-nous pas nous étonner de voir sous la langue des personnages des propos injurieux de la sorte : [« salope » (p.17 et 30), « cette mauviette » (p.24), sale petite perverse » (p.40), « bordel » (p.55), « bandes de nœuds, enculée de ta mère » (p.66), « espèce de traînée » (p.91), « sales cons » (p.141), « bande de couillons » (p.147), etc.], dans le but de se libérer des émotions un moment, de laisser exploser la violence intériorisée. Il faut bien qu’un moment l’on « pète les plombs » (p.17).

    À Pantin, l’injure fait donc parte de vécu quotidien des habitants, et fait de cette banlieue un monde à part. Cependant l’utilisation des injures grossières n’est pas le seul aspect carnavalesque de Le Roman de Pauline. Il y a aussi l’emploi de l’humour.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    III-         LE ROMAN DE PAULINE ET L’HUMOUR

     

     

                Si l’humour est destiné à divertir et à amuser, son usage permet également de relever un point de vue particulier, de critiquer une situation, de se moquer d’un discours comme conformiste, réactionnaire et inacceptable, et d’interpeler le lecteur donc la complicité active est suscitée par les affirmations ou les « non-dit » de l’œuvre. L’humour peut enfin, et également, ridiculiser. L’humour qui se déploie donc dans l’œuvre Le Roman de Pauline de Calixthe Beyala est particulier à elle en effet, l’on reconnait le caractère humoristique de Le Roman de Pauline. Dominique Mataillet, dans Jeune Afrique, dira qu’ « avec ce livre à l’humour grinçant, Calixthe Beyala dresse un tableau très sombre d’une certaine jeunesse… »[20], et Mémoire des arts d’enchérit en affirmant que « Calixthe Beyala restitue avec verdeur, tendresse et humour la quête d’amour… »[21]. L’on ne saurait s’empêcher de sourire devant la description faite par Pauline des personnages, voire devant leurs faits, gestes et attitudes. En lisant donc Le Roman de Pauline, l’on se trouve « dans une exhibition consciente, [dans] un tourbillon de bouffonnerie » (p.13) ou dans « une fête foraine » (p.76 et 171), et l’on peut alors s’interroger comme Pauline face à l’accoutrement de Lou, « c’est carnaval aujourd’hui ? » (p.132). À cette interrogation de Pauline, nous pouvons répondre « oui », car l’humour qui se dégage de l’œuvre est à la lisière de la dérision et de la raillerie.

     

    1-     La dérision

     

     

                Le sentiment par lequel l’on juge les personnages, surtout Pauline, et sa conduite relève de la ridiculisation voire du mépris. Ce mépris, à vrai dire, incite à rire, à se moquer. Cependant loin de ridiculiser Pauline ou les autres, c’est toute une convention, une hiérarchie qui est ainsi mise en dérision. L’on se moque des mœurs dites de bonnes mœurs, ou des bonnes manières.

    -          Et la fourchette, on n’utilise pas de fourchettes chez toi ?me demande la mère de Lou.

    -          […]

    -          Une fourchette pour manger du riz avec du poulet sauce arachides ? Mais c’est bien meilleur avec les doigts.

    -          À table, on utilise une fourchette, jeune demoiselle. (p.95)

    Cet extrait nous montre bien qu’il y a un effet d’humour ; la mère de Lou interpelle Pauline sur le fait qu’elle mange à la main alors qu’elle devrait manger avec une fourchette à table. Pour la mère de Lou, les bonnes manières veulent qu’on mange donc à table avec cuillers, fourchettes, couteaux, etc. ; ce qui sous-entend que Pauline est mal élevée, que sa mère ne lui ait pas apprise les bonnes manières, parce qu’elle fait feindre de ne pas savoir qu’on mange à table avec fourchette : « Et la fourchette, on n’utilise pas de fourchettes chez toi ? » (p.95). Pour la mère de Lou, Pauline méprise les règles de bonne conduite d’où sa réaction. Cette réaction intrigue Lou, sa fille, qui l’appelle : « Tu peux venir instant, maman ? », et lui dit « Pauline est mon invitée, maman. Tu n’as pas à la critiquer. Si elle veut manger avec ses pieds, tu n’as rien à dire. […] Tu mangeais bien avec tes doigts en Afriques, non ? ». En effet, Lou est intriguée parce que sa camarade Pauline est ridiculisée par sa mère. Lou essayera toujours de défendre Pauline à chaque fois que cette dernière est ridiculisée.

    La dérision est en son paroxysme lorsque la mère de la mère de Pauline, ou si nous voulons, la grand-mère de Pauline se fait aveugle, pouvons-nous dire, (se) ridiculiser, sa fille (p.83). Et lorsque ses petits enfants (Pauline et Fabien) découvrent son jeu, elle dit « il y a tant d’horreur dans la vie qu’il vaut mieux de temps à autre se décréter aveugle pour ne pas les voir ». En effet, elle se moque de sa fille d’être une mauvaise mère alors que cette dernière l’accuse d’être aussi une mauvaise mère ou d’être la cause de ce qu’elle est aujourd’hui. Nous pouvons croiser les mains sur notre poitrine pour ne pas éclater de rire comme Pauline, et nous étonner comme Fabien en disant «  Tu n’es plus aveugle » (p.83). Le comportement de la grand-mère de Pauline relève de l’autodérision. Cette autodérision se perçoit aussi chez Lou dont «  sa robe excessivement courte découvre ses cuisses de grenouilles habituées à être moulées dans de jeans ». Lou se ridiculise dans un tel accoutrement (p.132), et Pauline qui se trouve sa nouvelle vie banale qui fait d’elle une autre personne (p.125).

    La dérision dans l’œuvre de Calixthe Beyala met en relief le mépris des mœurs et des valeurs sociales. Ce n’est pas seulement la dérision qui se dégage du ton humoristique de Calixthe Beyala, il y aussi la raillerie.

     

     

     

     

    2-    La raillerie

     

     

                Dans  Le Roman de Pauline, la raillerie est mise en évidence par la description physique (le portrait physique) qu’établit Pauline des personnages, et par la satisfaction des besoins naturels. Cependant, le fond de la toile de cette raillerie porte sur Sarkozy qui raconte des mensonges, « des bobards » : « Tu pourras un jour comme Sarkozy influencer des foules entières en leur racontant des bobards » (p.133). Calixthe Beyala reconnait qu’ « en arrière fond, il y a la France de Nicolas Sarkozy »[22]. Comme susmentionné, la raillerie est appréhendée à travers la description que fait Pauline. En effet,, « le seul médecin au monde à ne […] terroriser » Pauline, le docteur Benssoussian est si maigre qui flotte dans ses vêtements (p.40).

          C’est le docteur Benssoussian, un homme maigre à la peau basanée, fragile et cassante comme une branche séchée, qui donne l’impression de n’avoir plus un gramme de graisse dans le corps. […] Sa chemise en coton beige pendouille sur ses épaules, son pantalon tombe en accordéon sur ses chevilles et ses chaussures sont étrangement disproportionnées à moins qu’elles ne soient de deux pointures supérieures pour lui donner une meilleure aisance.

    Quant à la mère de Pauline, sa situation d’une femme qui ne sait pas garder un homme fait d’elle la risée de Pantin : « on se moque d’elle, on ricane dès qu’elle tourne le dos » (p.51). En parlant de la mère de Lou, l’on apprend qu’elle est très courte, et très intellectuelle, et qu’elle a rendu sa fille Lou « comme bibliothèque » (p.21). En d’autres mots, la mère de Lou est très laide bien qu’elle soit intellectuelle.

          À part ça, ses seins en torpille sous son chandail rose flottant font le désespoir du vocabulaire ; à part ça, sa taille minuscule ne peut éblouir qu’un étranger aux normes en vigueur à Pantin ; à part, ses cheveux crêpelés ont été aplanis par les chocs sismiques du défrisant Skin Success. Leurs pointes rouges comme cul de guenon frisollent autour de son cou. (p.92)

    Le comble de la laideur est mis à nu à travers le portrait de la concierge, Mme Boudois. En plus d’être laide, elle est idiote

          Ses talons retentissent sur le macadam. Son gros manteau froufroute autour de ses énormes chevilles. Son corps est surchargé de vêtements et de courses qui tanguent lourdement à droit, puis à gauche. Elle me sourit jusqu’aux oreilles. Ses poils noirs au-dessus de ses lèvres se durcissent, le froid sans doute. Elle doit se croire très rafraîchissante, l’idiote [avec ses seins qui la tirent au sol]. (p.149)

    Ses différents portraits permettant d’appréhender la laideur dans toute sa splendeur incite au rire, un rire carnavalesque. Ce rire n’est pas une réaction individuelle devant tel ou tel fait drôle.

    La raillerie se perçoit aussi par la satisfaction des besoins naturels. « De la même que les expressions du corps étaient une forme essentielle de la créativité humaine dans le monde carnaval, aussi la littérature carnavalesque […] se concentre sur le corps et ses produits, la passion et la sensualité et la panne des limites. Le monde du carnaval actuel et la littérature carnavalesque sont ultimement conduits par les mêmes forces qui provoquent toujours l’expression et la liberté »[23] et le rire. Pauline, sans gêne, qui dit «  en réalité, je chante, alors que j’ai envie de faire pipi. Je ne pourrai pas atteindre le troisième étage sans pisser. Je me suis arrêtée entre deux étages et je me suis accroupie…» pour pisser (p.40). Plus loin, elle baise son pantalon pour uriner : «  À l’abri d’un arbuste, je baisse mon pantalon et relâche mon corps. Je pisse longuement ». (p.111)

    Le fait de « pisser » relève du carnavalesque, et non seulement elle «  pisse », mais elle «  baise » quand l’envie lui prend. (p.50 et p.169)

    Calixthe Beyala va néanmoins susciter le rire&n


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